« Il n'y avait personne comme Lautrec pour croquer des capitalos gaga avec des putains rusées qui leur lèchent le museau pour les faire payer. »
C’est signé Félix Fénéon, critique d'art, dans Le Père Peinard, une feuille anarchiste.
Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec-Monfa, héritier de l'une des plus vieilles familles aristocratiques, qui immortalisa Aristide Bruant et Louise Weber, plus connue sous le sobriquet de "La Goulue", tient une place centrale dans l'ouvrage de Joyant.
Cet ouvrage oublié de Maurice Joyant paru en 1930 sous le titre de La Cuisine de monsieur Momo, célibataire republié par les éditions Menu Fretin sous le titre La Cuisine de monsieur Momo, signé de Maurice Joyant&Henri de Toulouse-Lautrec. Il s'agit de la refonte, augmentée d'une préface de Pascal Ory et de plusieurs recettes d'Antoine Westermann.
Maurice Joyant, alias Momo, était un ami d'enfance de Toulouse-Lautrec (1864-1901), à qui il survécut trois décennies. Devenu marchand de tableaux célèbre, il se décida à rassembler ce recueil inclassable, mélange de doctes considérations sur la table, d'anecdotes savoureuses et de recettes en souvenir de leurs agapes à la Belle Epoque.
Dans sa préface de La cuisine de monsieur momo Maurice Joyant&Henri de Toulouse-Lautrec Pascal Ory écrit que :
Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec-Monfa au lieu d’être voué toute sa vie à jouer le rôle de l’aristocrate fin-de-race partagé entre l’armorial et l’équitation. « Un mariage consanguin et une chute de cheval en décidèrent autrement. Au lieu d’être un simple descendant des comtes de Toulouse parmi d’autres – quelle vulgarité –, Henri serait un dessinateur, peintre et viveur de qualité unique, amateur de tous les mauvais genres : le cirque, la lithographie, le café-concert, l’affiche, le bordel, les alcools forts. Le mélange absinthe-syphilis ne lui permettra pas d’atteindre sa trente-septième année, mais la postérité le revanchera de toutes ses souffrances et de tous ses excès. »
Joyant est « un bon vivant, type achevé du gastronome célibataire, si répandu au XIXe siècle, porté vers les plaisirs de la chère comme de la chair mais bien décidé à faire passer s’il faut, les premiers avant les seconds, non sans une bonne dose de misogynie. »
« Ce goût des nourritures, il le partageait assurément avec Lautrec […] « gourmet émérite et maître queue tyrannique » pour reprendre les mots de Joyant dans sa préface. Les témoignages ne manquent pas, en effet, qui nous montrent un Lautrec très à cheval sur la qualité des boissons et des mets dont il aimait à se régaler et à régaler ses amis, mettant plus souvent qu’à son tour la main à la pâte, qu’il s’agisse d’un cocktail ou d’un gigot de sept heures – sans parler des menus qu’il s’amusait à illustrer. Excitée par la vie d’enfer qu’il s’acharne à mener quand il est à Paris, exaltée par son sens aigu de la camaraderie, la gourmandise du peintre s’enracine, on le verra, dans des traditions de bonne table provinciale, qu’il s’entend à alimenter dès qu’il revient sur les terres familiales ; après tout, la comtesse Adèle aidant, la propriété où il tendra à revenir de plus en plus souvent sur le tard de sa courte vie – et finalement pour y mourir – n’est autre qu’une propriété viticole du bordelais, le Château de Malromé (aujourd’hui lieu de production en Bordeaux supérieur de qualité, dominée, comme il se doit par une cuvée Adèle. »
« Maurice Joyant et Toulouse-Lautrec participaient du groupe des nabis et de la Revue blanche des frères Natanson. Misia Natanson recevait dans sa maison de Valvins (Seine-et-Marne) l'élite dreyfusarde, peintres, poètes et musiciens. Les repas sont pris "le long d'une rivière torrentueuse en pleine forêt". Mallarmé est leur voisin.
Tous partageaient leur amitié avec Alfred Jarry, poète érudit symboliste, ami d'Huysmans. Dans son recueil, Momo tantôt s'avance masqué sous la toque d'un cuisinier capable d'imaginer une terrine de lapin sans lapin ou d'attribuer un boeuf miroton à "Mme Pipelet, concierge", tantôt scrupuleux lorsqu'il s'agit d'expliciter la recette bordelaise du homard à la Bonnefoy à l'ancienne, comparée à celle de la langouste américaine. A leur table, on trouve Vuillard, Bonnard bien sûr, et toute la maisonnée cuisinante dont c'est le jour de fête. Alfred Jarry recevait également et menaçait les marmots de ses voisins d'un coup de fusil. De Jarry lui-même sont adjointes deux recettes, le "saint sur le gril", réalisable seulement si l'on a des relations au Vatican, et la mystérieuse recette antique du "chou-Fleur à la m..." de Mère Ubu. Ces traits d'époque dessinent une gastronomie joviale différente de celle, régionaliste et grégaire, qui prévaudra à la veille de la défaite de 1940. »
Signé Par Jean-Claude Ribaut
Toulouse Lautrec, sur un vin de Bordeaux, Château Malromé
6 Mai 2015, Publié par Elisabeth Poulain ICI