En 1935, les communistes chinois, en pleine débâcle, font halte dans le village de Maotai et les soldats vont trouver dans la puissante eau-de-vie « une alliée idéale pour panser leurs plaies et reprendre courage. « La Longue Marche a été un succès en grande partie grâce au Maotai » assurera Zou Enlai lors de la proclamation de la République populaire. Peu après, la distillerie devient propriété de l’Etat et la boisson fétiche accède au rang d’alcool national. »
Le 19 octobre 1935 s'achève la Longue Marche des communistes chinois et de leur chef Mao Zedong. Après une épopée de douze mille kilomètres à travers la Chine, les communistes se réfugient au Chen-si (ou Shaanxi). Dans cette province montagneuse isolée du nord-ouest, ils échappent aux attaques du parti rival du Guomindang ou Kouo-Min-Tang et de son chef, Tchang Kaï-chek. Mais de 130.000 au départ, un an plus tôt, ils ne sont plus que 30.000. La faim et la lutte contre les troupes du Kouo-Min-Tang ont eu raison des autres.
Depuis le toast réussi avec Nixon lors de sa visite à Pékin en 1972, les dirigeants chinois font couler le Moutai, eau-de-vie de sorgho titrant 53° (dit aussi Maotai petite ville de la province du Guizhou au sud de la Chine) dans le gosier de tous les chefs d’Etat et hauts dignitaires en visite en Chine. En effet, lorsque Deng Xiaoping, deux ans plus tard, se rend aux USA, Henry Kissinger lui confiera « Si nous buvons assez de Moutai nous pourrons résoudre tous nos problèmes. »
Après l'arrivée au pouvoir des communistes, en 1949, les États-Unis avait refusé de reconnaître la Chine populaire. Les relations entre les deux pays restaient tendues au début des années 70. Cependant, l'accueil fait à une équipe américaine de ping-pong en tournée et les visites secrètes en Chine du conseiller du président Nixon, Henry Kissinger, pavent la voie à un rapprochement. Le 21 février 1972, Nixon entreprend un voyage officiel en Chine au cours duquel il rencontre le premier ministre Zhou Enlai et l'ancien président Mao Zedong.
« Nixon n'a pas été reçu comme le représentant coupable d'un impérialisme vaincu par les contradictions du capitalisme. Il n'a pas été reçu comme un tacticien avec lequel on fait une expérience que l'on se réserve le pouvoir de désavouer aussitôt. Il a été reçu comme un chef d'État avec lequel on peut conclure la paix et on peut fonder la coexistence. Mao lui-même s'est engagé. Il n'est plus en mesure, comme certains sinologues s'aventuraient à le conjecturer, de désavouer Chou En-lai.»
Jean Daniel, «Les surprises de Nixon» Le Nouvel Observateur 28 février 1972
Je l'avais appelé Mao parce que je revenais de Chine. Je voulais qu'il règne sur moi comme le grand empereur de la nouvelle dynastie sur son peuple. Certains virent là un signe de mépris pour le vainqueur de la Longue Marche. Pour cela, il aurait fallu donner son nom à un porc ou à un veau. Mon dernier chien s'appelait César comme celui de la ferme de mes grands-parents dans la Mitidja. Ainsi à nous deux portions-nous le nom du général qui conquit la Gaule et la soumit à Rome. Dans l'idée que, ce Mao-là, du moins, je pouvais l'aimer, et qu'il m'obéissait, j'avoue qu'on pourrait discerner quelque secrète démarche ou fourberie : sans penser à ramener, symboliquement, la Chine au servage de l'Occident, j'admets que se nichait là une innocente ironie, mais quoi, j'aurais aussi bien appelé mon chien Charlie pour me gausser espièglement de notre roi, si grand, si fier et si puissant. Après tout, quand on donne aux chiens le nom d'un homme, c'est que cet homme est illustre, et l'hommage ainsi décerné flatteur pour un monarque, qu'il soit roi de France ou empereur de Chine. Et puis Mao peut s'écrire comme un vieux nom français. Un gendarme de Vézelay s'appelle Mahaut, et il eut assez d'humour pour ne pas se vexer quand il a su que mon chien portait le même nom que lui. Chaque fois que nous allions chez le menuisier, c'était des Mao par-ci et des Mao par-là. La gendarmerie est au-dessus, et le fils du gendarme Mahaut un familier de l'artisan, qui tient bistrot.
Ne devrais-je pas employer l'imparfait de l'indicatif ? A présent, la gendarmerie a été bâtie hors des murs de la ville, le menuisier s'en est allé, le bistrot a changé de propriétaire. Serais-je en vie quand ces pages paraîtront ?
Jules Roy
La Mort de Mao écrit en 1969 à Vézelay et publié chez Christian Bourgois.
« 1972.
Yenan. Au musée de la Révolution, après les manigances ourdies contre Liou Chao-chi d'abord, et contre Lin Piao ensuite, les plus habiles retoucheurs chinois, les experts ès laboratoires, avaient retouché des centaines de photos. Un travail d'orfèvre. La plus impressionnante, pour moi, était celle de Mao à cheval, avec à ses côtés, Lin Piao, à cheval lui aussi. Maintenant, sur le cheval de Lin Piao il n'y avait plus de Lin Piao, mais un petit halo blanchâtre, un ectoplasme, et Mao regardait le photographe droit dans les yeux, en faisant dans le même temps un mouvement de bras pour appuyer les propos qu'il tenait à son ami Lin. Mais à présent que le bandit Lin Piao n'était plus en selle, Mao paraissait s'adresser au cheval, qui d'ailleurs tournait attentivement ses naseaux vers lui, comme s'il comprenait son discours (...)
A Yenan, pendant la nuit, j'eus une discussion animée avec les Chinois qui m'accompagnaient. « Pourquoi retouchez-vous les photos ? » demandai-je.
« Nous ne les retouchons pas, répondirent-ils. Nous avons seulement une conception différente de la photographie.
- N'est-ce pas une conception différente de l'histoire ?
- De la photographie plutôt...
- Non, c'est une conception mutilante de l'histoire, insisté-je (...) "
Extrait de " Deux mille ans de bonheur " Maria-Antonietta Macciocchi chez Grasset pages 88-89
Mao Zedong ou Mao Tsé-toung (毛泽东 Máo Zédōng) : l'ex-grand timonier de la Chine rouge pour l'éternité
«Les maîtres de la Chine-rouge-pour l’éternité n’aimaient pas La Cause* (ou plutôt les bureaucrates qui s’occupaient de ces affaires subalternes dans un recoin de la Cité interdite) : ils y voyaient non sans raison un ramassis d’irresponsables anarchisants susceptibles de gêner leurs négoces avec la France du président Pompe. Et ce n’était pas l’ambassade d’Angelo* qui risquait de les faire changer d’avis. Ils avaient commencé par l’expédier d’autorité chez le coiffeur, ils lui trouvaient les cheveux trop longs. Angelo avait eu beau protester, il avait dû se laisser détourer les oreilles. Puis devant le maréchal Lin Piao, le dauphin de l’époque, il avait détaillé son plan qu’il avait conçu d’établir dans le périmètre Saint-Jacques-Soufflot-Sainte-Geneviève-Saint-Germain une Commune insurrectionnelle étudiante et lycéenne défendue par les armes. Cela fait beaucoup de saints avait juste observé ce maréchal à tête de valet de comédie qui allait quelques années plus tard se désintégrer dans le ciel mongol. On avait finalement introduit Angelo, au sein d’une délégation « d’amis occidentaux», devant le Soleil rouge incarné : boudiné dans la toile kaki, ses petits pieds chaussés de vernis noirs croisés entre les dragons de bois-de-fer de son trône, le despote verruqueux portait à sa bouche, de cette petite main rose et comme bouillie qui avait si fort impressionné Malraux, d’incessantes cigarettes blondes. De l’autre il se tripotait nonchalamment la braguette. Le vieux Minotaure venait sans doute d’honorer une des lycéennes qu’il se faisait livrer »
Olivier Rolin « Tigre en papier »
* Angelo pseudo d’un mao de la GP délégué à Pékin lors d’un Congrès quelconque pour représenter les peuples soutenant la ligne chinoise contre la ligne soviétique
Histoire du petit livre rouge
Pascale NIVELLE
« Best-seller international, le petit livre rouge a été imprimé à plus d’un milliard d’exemplaires. Ce recueil de citations de Mao est rapidement devenu le manifeste de la Révolution culturelle et un objet de culte aussi bien en Chine que pour les maoïstes occidentaux.
Apparu en 1964, les Citations du président Mao Tsé-toung, bréviaire inspiré des discours ou des œuvres du fondateur de la République populaire, est d’abord conçu comme un outil d’éducation politique pour l’armée, puis devient l’« arme spirituelle » des gardes rouges et le manuel de vie de 700 millions de Chinois. En Europe, il séduit une partie des intellectuels, les « maos » français de Mai 68, qui le rebaptisent « petit livre rouge » et en font le talisman de leur propre « révolution », ignorants les atrocités commises par le régime chinois.
Cinquante ans après le début de la Grande Révolution culturelle prolétarienne et quarante ans après la mort de Mao Zedong, la journaliste Pascale Nivelle raconte l’épopée de cette petite bible en vinyle rouge vif qui a été, de Pékin à Paris, le coeur d’une immense et folle passion collective. »
Dans ce livre passionnant je souhaite extraire, pour leur rendre hommage, l’aventure du couple Claudie et Jacques Broyelle emblématique de la mouvance maoïste française, qui travaillait comme traducteurs à mon Pékin Information.
Lui, normalien, prochinois historique, fondateur de l’UJC-ML (Union des Jeunes Communistes marxistes-léninistes)
Elle, a écrit un livre à la gloire des Chinoises émancipées, La Moitié du ciel.
« Leur boulot consiste à mettre en bon français les traductions de leurs collègues chinois pour Pékin Information.
Ils déchantent assez vite. A plupart des articles exportés sont tirés du Quotidien du Peuple, principal organe en langue de bois du Parti. Au siège du journal, raconte Jacques Broyelle, il règne « un culte quelque peu exagéré de la division du travail ». Il décrit un cycle bureaucratique kafkaïen : chaque traduction nécessite une dizaine d’opérations enchaînées les unes aux autres, sans aucune coopération entre les six ou sept personnes qui travaillent dans l’unité française. Procédé qui qui entraîne « le désintérêt absolu des travailleurs », note le normalien coincé dans la chaîne, et la « multiplication des personnes inutiles ». Tout cela, expliquera-t-il plus tard, pour produire « des articles d’une monotonie éternellement triomphaliste ».
« Les traducteurs n’ont aucune marge de manœuvre. Ils sont obligés de piocher dans un énorme fichier d’expressions toutes faites, auxquelles il ne faut pas enlever un tiret ou une majuscule. Tel le bloc « Notre Grand Dirigeant le président Mao » ou le triptyque sacré « ouvriers-paysans-soldats ».
[…]
« Même aliéné par la propagande, même anesthésié par une situation matérielle confortable qui tranche avec celle des années de militantisme parisien, et même aveuglé par sa propre foi, Broyelle a encore quelques réflexes. Un jour, il voit passer la phrase « le modernisme, le fauvisme, le rock’n’roll et le strip-tease dominent dans les pays occidentaux pour la plus grande corruption des peuples ». À envoyer tel quel à Paris et dans toute l’Afrique francophone. Cette fois, le normalien proteste, oubliant d’y mettre les formes : « cette analyse est surtout la preuve de l’ignorance du rédacteur, elle exhale un chauvinisme assez malvenu. » Que n’a-t-il dit ! L’article en question a été dicté à un quotidien chinois par Jiang Qing en personne ! On ne touche pas à madame Mao. « Ce fut une affaire d’État a raconté Jacques Broyelle en 1977, deux ans après être rentré (traumatisé) de Chine.»