Pour coller à l’actualité parlons ce matin de la Russie.
Nous sommes à Smolensk le samedi 27 mars 1943
« … un homme au faciès comme une boîte de limaille de fer et avec qui, visiblement, Bartov avait été en affaire par le passé, me vendit une chekouschka, un quart de litre de vodka estonienne. La bouteille était assymétrique, de sorte que vous aviez l’impression d’être déjà ivre, et la gnôle qu’elle contenait n’avait pas l’air moins douteuse que le samogon, mais Bartov m’assura du contraire, raison pour laquelle, probablement, je décidai d’en acheter deux et lui proposai de me tenir compagnie. »
« Nous bûmes deux autres verres, mangeâmes le pain et les cornichons – Batov appelait ces amuse-gueule des zakouski –, et la première bouteille fut bientôt finie. Il la posa à côté du pied de la table.
« En Russie, une bouteille vide sur une table est de mauvaise augure »
Le berlinois Bernie Gunther et Batov le russe discutent, ce dernier explique :
« Depuis la guerre de 1920, il est presque aussi difficile d’être polonais sous les bolchevicks que juif sous les Allemends. Une vieille cicatrice historique, mais, comme toujour, ce sont des cicatrices profondes. Les Russes ont perdu, vous comprenez. Les forces soviétiques commandées par le maréchal Toukhatchevski ont été battues par le général Pilsuldski devant Varsovie – le miracle de la Vistule, comme on l’appelle. Staline en a toujours imputé la faute à Toukhatchevski, qui, de son côté, en imputait la faute à Staline. Ils ne pouvaient pas se voir, de sorte qu’on se demande comment il a duré aussi longtemps. Finalement, il a été arrêté en 1937,et lui, sa femme et deux de ses frères ont été exécutés ; il me semble que ses trois sœurs et une de ses filles ont été envoyées dans un camp de travail. Alors je suppose que nous pouvons nous estimer heureux d’être encore là pour pouvoir relater les faits, ma fille et moi »
- Et moi qui pensais que Hitler était un sale type »
Batov sourit.
« Hitler n’est qu’un démon mineur de l’enfer, mais Staline est le diable en personne. »
La Pologne célèbre "le Miracle de la Vistule" le 14 août 2010
« La Pologne a célébré samedi le 90e anniversaire de la Bataille de Varsovie contre l'Armée rouge en 1920, qui a permis de lui barrer la route dans sa marche vers l'Europe de l'Ouest. Le nouveau président polonais Bronislaw Komorowski a assisté à une messe solennelle célébrée à l'église d'Ossow en présence de militaires hauts gradés. plusieurs centaines de personnes en uniformes d'époque et armes à la main ont pris part samedi à une reconstitution des opérations militaires, en présence des milliers de spectateurs. La Pologne a remporté cette guerre, également appelée "le Miracle de la Vistule", peu après son retour à l'indépendance en 1918, mettant fin à 130 ans de son partage entre la Russie tsariste, la Prusse et l'Empire austro-hongrois. »
« Les Soviétiques commencèrent à concentrer sur les frontières polonaises les meilleurs détachements parvenus de tout le pays. Le 10 mars 1920, à Smolensk, eut lieu la réunion des chefs de l’Armée rouge, du « Front occidental » et des commissaires communistes, dont Staline. C’est alors que furent prises les décisions d’attaquer la Pologne et l’Europe selon un plan qui devait se dérouler le long de la trajectoire Varsovie, Poznan, Berlin et Paris.
Grâce au brillant travail de l’espionnage polonais, le maréchal Josef Pilsudski, le chef charismatique de l’armée polonaise, était au courant des plans soviétiques et il décida d’agir immédiatement. Le 25 avril, anticipant l’attaque bolchevique, Pilsudski lança l’armée polonaise contre les Russes pour disperser l’Armée rouge et pour créer sur le territoire conquis un État ukrainien indépendant. Malgré la conquête de Kiev, ces objectifs ne furent pas atteints et l’armée polonaise dut se retirer. »
Les zakouski
« Il est d’usage en Russie, le jour d’un dîner, de préparer dans une pièce, laplus près de la salle à manger, une table couverte de différents hors-d’œuvre : tels que, radis, beurre, anchois, caviars, saucissons en tranches, et quelques petits hors-d’œuvre chauds de cuisine, plusieurs carafons de liqueurs, telles que : eau-de-vie blanche, amer, pomeranz, anisette, genèvre de Hollande et arak ; quelques assiettes de tranches de pain blanc et bis. Les convives avant d’aller se mettre à table, passent dans cette pièce et s’arrêtent autour de ce buffet, pour y prendre chacun selon son goût un peu de ces hors-d’ouvre et un petit verre de liqueur ; c’est ce qu’on apelle prendre le zakouski. »
Les ombres de Katyn de Philip Kerr
« C'est la plus sombre des enquêtes de Bernie Gunther. Non seulement parce que, contrairement à l'habitude que nous a donnée l'auteur de La trilogie berlinoise, notre héros, Bernie, n'ouvre pas le bal avec des baffes d'anthologie balancées aux nazis de l'hôtel Adlon, mais manque de périr enseveli sous les décombres de Berlin pilonnée en 1943 par la Royal Air Force... Mais sombre, encore et surtout, parce que Philip Kerr, malgré l'alacrité de son humour anglais (qu'il est), soufflant à Bernie un esprit chevaleresque un brin misogyne (il faut bien coller à l'époque...), s'empare cette fois d'un épisode effroyable de notre Histoire. En 1940, 14 500 hommes, Polonais pour la plupart, furent massacrés et enterrés par les soldats soviétiques aux abords de la ville de Smolensk. »
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Katyn, l'un des pires massacres de Staline
Les communistes soviétiques éliminent, en avril 1940, l'élite de la Pologne. Ils feront porter le chapeau aux Allemands durant cinquante ans. Par Michel Colomès
C'est pire qu'un massacre, c'est un abattoir, tant les gestes sont calculés, méthodiques, froids, précis, et surtout répétés en une procédure implacable, des dizaines et des dizaines de fois. Sans un tremblement, sans l'ombre d'une hésitation, sans une pause. Un homme à la fois, d'abord un noeud coulant passé autour du cou, puis les mains garrottées derrière le dos, trois pas à peine, le temps d'ébaucher une prière, il est saisi aux épaules par deux aides, une seule balle dans la tête tirée par un troisième. Le corps est déjà poussé sur un plan incliné et la flaque de son sang lavée d'un coup de seau.
4 404 officiers polonais au moins sont morts ainsi, ou plus expéditivement encore, exécutés au bord de la fosse commune qui allait les ensevelir, en avril 1940, dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, en Russie. À l'occasion de l'anniversaire de ce qui fut une tragédie pour la Pologne et pour le genre humain, Arte a eu la bonne idée de diffuser, le 14 avril, le sombre et magnifique film d'Andrzej Wajda, dont le père, capitaine au 72e régiment d'infanterie, fut parmi les victimes. Wajda, ardent patriote polonais, a toute sa vie voulu reconstituer l'histoire et, surtout, rétablir la vérité sur Katyn. Car à l'atrocité des faits s'est ajoutée la honte de leur négation pendant plus de 50 ans par les Soviétiques. Et leur travestissement pour accuser le coupable idéal, le Troisième Reich, responsable, il est vrai, de tant d'horreurs dans cette région d'Europe, et dans d'autres.
Épuration de classe
Lorsque les Allemands envahissent la Pologne, le 1er septembre 1939, ils sont suivis, quinze jours plus tard, par l'Armée rouge. En vertu de leur pacte d'août 1939, Hitler et Staline avaient décidé de se partager les dépouilles du pays. Tout de suite, les Soviétiques font prisonniers 250 000 soldats et officiers polonais. Les agents du NKVD, à qui Staline a demandé de s'occuper spécialement de ce dossier, libèrent une partie des soldats et livrent les autres aux Allemands. Mais ils gardent les officiers, pas seulement ceux de carrière, mais tous les réservistes, étudiants, médecins, ingénieurs, chefs d'entreprise, qui représentent l'élite de la Pologne. Afin de supprimer une menace potentielle pour le nouveau régime qu'il veut imposer à Varsovie, Staline décide de procéder à une véritable épuration de classe. Le 5 mars 1940, il donne l'ordre d'exécution des officiers polonais "nationalistes et contre-révolutionnaires". Le massacre de Katyn est acté.
Tout le monde l'ignorera, jusqu'à ce que l'armée allemande, qui s'est retournée contre l'URSS et a dénoncé le pacte germano-soviétique, envahisse la Russie occidentale et tombe sur les charniers. Dès avril 1941, des identifications sont faites, et de rares objets personnels rendus aux familles. Commence alors une monstrueuse polémique qui prend d'abord la forme, pendant toute la guerre, d'une campagne de propagande organisée par les nazis, accusant les officiers juifs de l'Armée rouge du forfait.
Des revolvers de marque allemande
À cette accusation répondra, pendant 50 ans, un déni total de responsabilité de la part de Moscou. Les communistes non seulement nient toute implication, mais appliquent leur tactique habituelle de l'amalgame, un terrorisme intellectuel très efficace, surtout à la fin de la guerre : ceux qui mettent en doute la thèse soviétique sont des pro-nazis. Au point qu'en 1944, Roosevelt refusera les conclusions d'une commission d'enquête défavorable aux Russes. Les Anglais feront de même après un rapport de leur ambassadeur auprès des Polonais qui aboutissait à la même conclusion. Même la Croix-Rouge refusera de rendre publique l'enquête qui lui a été remise par ses services précisant les responsabilités soviétiques du massacre. En dépit des protestations des Polonais libres - les autres sont devenus un satellite de l'URSS -, Katyn va être catalogué pendant toute la guerre froide comme "une tentative sans importance (sic) des Allemands pour retarder leur défaite".
Il faudra attendre Gorbatchev et la glasnost, vraie déstalinisation, pour qu'à la suite des travaux d'une historienne soviétique, l'URSS reconnaisse, en 1990, la responsabilité de sa police secrète dans la tuerie organisée par le chef du NKVD, Lavrenti Beria. Deux ans plus tard, Boris Eltsine, nouveau président russe, remet à Lech Walesa, président de la République polonaise, plusieurs documents émanant du comité central, dont l'ordre d'exécution des officiers polonais.
Dans ces archives, une note montre à elle seule le cynisme et la duplicité des communistes soviétiques : elle indique que les exécutions doivent être accomplies avec des revolvers Walther, de marque allemande, et des munitions allemandes, elles aussi, saisies en Estonie que l'URSS vient d'annexer. Dès 1940, alors qu'il était encore son allié, Staline avait donc monté une opération destinée à faire croire à la responsabilité de son compère Hitler dans les atrocités de Katyn.