« Fais-moi une confiance aveugle... » Le message de Chloé avait le mérite d’être simple et clair. Benoît réduisait le bristol en mille morceaux et il tirait la chasse d’eau. Pendant sa courte absence le cercle s’était élargi de deux unités : debout derrière Bob Dole un grand noir, sosie de Sidney Poitier, costume gris perle impeccable, qui mâchouillait du chewing-gum d’un air las et, assise aux côtés de Chloé une femme blonde, très fardée, en tailleur noir dont la veste cintrée soulignait une taille de guêpe. Elle affichait en le voyant un sourire carnassier dévoilant une dentition blanc de blanc. Pour me conformer au désir de Chloé Benoît s’abstint de toute remarque même si le côté mise en scène de cette étrange réunion commençait à lui taper sur le système. Nonchalamment le grand noir venait vers lui, le prenait par le bras et l’entrainait vers un grand Chesterfield au cuir craquelé qui occupait une sorte d’alcôve recouverte d’une grande verrière donnant sur un jardin potager. La blonde sophistiquée vint les rejoindre lorsqu’ils furent assis. Avec une décontraction surjouée elle se posait sur l’un des accoudoirs du canapé et sa jupe droite, en un retrait qu’elle ne cherchait pas à contrecarrer, dévoilait des cuisses d’un galbe impeccable et surtout le haut de ses bas retenus par un porte-jarretelles. En plongeant son regard dans son entrecuisses Benoît l’apostrophait grossièrement « Ma poule je carbure au café. Alors magne ton beau cul pour aller m’en chercher... » Ses faux-cils tressautèrent sous l’effet d’une incompréhension manifeste. En prenant le grand noir à témoin Benoît ajoutait « désolé mais ne comptez pas sur moi pour faire l’effort de parler votre putain de langue...»
Le français de Benoît les déroutait. Sur un claquement de doigt du grand noir Bob Dole rappliquait à grandes enjambées. Benoît exigea sitôt la présence de Chloé. La blonde, pensant qu’il n’entendait rien à leur sabir compressé et débité à la hache, s’adressait à Bob Dole d’un air courroucé en lui disait en substance « Que me veux cette petite merde de français ?» Bob, chagriné, tentait de l’apaiser en lui expliquant que Benoît tentait une diversion. Elle fronçait ses sourcils. Bob reprenait l’initiative « il nous comprend mais il fait sa forte tête et exige de ne parler que français. » La blonde suffoquait. Benoît en profitait pour lui tendre un index d’honneur. Chloé lui empoignait l’épaule « arrête tes conneries ! » Bob surenchérissait « vous jouez à quoi ? » Benoît explosait « au con bordel de merde ! J’en a plein le cul de votre cinéma. Si ça vous a échappé je viens de passer trois jours formidables dans un trou à rats trois étoiles entre les mains de nazillons à la manque qui m’ont attendri selon votre expression. Je croyais que nous étions raccord Bob, cartes sur table et voilà que vous tentez de me bluffer en me sortant cette pouffiasse qui se prend pour Veronica Lake et ce gandin qui joue les muets du sérail. Puisqu’avec votre arrogance congénitale vous prétendez tout savoir sur tout moi le petit con de français je vais vous dire ce que vous ne savez pas sur moi. Je bouffe à tous les râteliers. Pour du fric et du cul je vendrais ma mère, je prostituerais ma sœur et je trahirais même mon putain de pays... » Au grand étonnement de Benoît, dans un français impeccable, sans le moindre accent, le grand noir impassible interrompait ma diatribe d’un « ce jeune homme à parfaitement raison. Nous nous sommes mal conduits à son égard. Entre alliés ce n’est pas correct... » Il lui tendait sa grande main « Robert J. Parker ancien attaché financier à Paris. J’étais très ami de Claude Pompidou et du couple Chalandon... » Son large sourire soulignait la grosse perche qu’il venait de tendre à Benoît qui lui secouait la main en se disant qu’il savait maintenant dans quelle catégorie il devait boxer.