« Je vous attendais ! » C’était bien lui Sacha, nabot et impérial. La brune peu gâtée par la nature jetait sur Chloé des regards noirs. Ils subirent un examen de passage en règle. Les questions fusaient. Les réponses, comme au catéchisme, Chloé et Benoît les ânonnaient sans grande conviction. L’une d’elle où Benoît affirmait vaillamment qu’il leur fallait résister, par tous les moyens, à toute autorité irrationnelle lui valait une volée de bois vert « Irrationnelle ? Pourrais-tu m’expliquer ce qu’est une autorité rationnelle ? Toute autorité est irrationnelle ducon ! » Le nabot commençait à lui chauffer les oreilles. Benoît contre-attaquait « Tu partages l’avis de Marcuse lorsqu’il affirme que le positivisme logique c’est de la merde ? » Sacha encaissait en pinçant ses lèvres fines. Benoît marquait un point. Sacha enchaînait sur la révolution permanente des masses estudiantines contre les forces contre-révolutionnaires. Elles renouaient avec le passé spartakistes de l’ancienne capitale du 3ième Reich. Benoît ne l’écoutait plus vraiment intéressé qu’il était par le manège de la grande blonde qui, tout en se laissant peloter par Barberousse, lui lançait des œillades appuyées. Sacha stoppait sa diarrhée verbale et d’un geste impérieux congédiait sa cour. Tout le monde s’enfournait dans la trappe, y compris Chloé qui déclarait vouloir aller dormir à l’étage de la nursery. La brune laide lui signifiait que tout était prévu pour eux. Sacha retenait Benoît par la manche alors que la blonde des blés, lui susurrait à l’oreille son prénom, Karen, en plaquant son bassin tout contre lui. Le Viking lui tapait sur l’épaule « T’en fais pas ce sont des gouines... »
Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls Sacha demandait à Benoît, de sa petite voix nasillarde, s’il avait apporté du vin. Celui-ci éclatait de rire car, lorsque le père de Marie lui avait proposé d’emporter dans son sac à dos un Latour 59, et qu’il lui avait rétorqué que ça ne me semblait pas être le breuvage emblématique des « larges masses », sa réponse lui revenait en mémoire « Tu as encore beaucoup à apprendre mon garçon. L’avant-garde de la classe ouvrière est toujours l’antichambre des nouveaux maîtres... » Sacha caressa la bouteille, la serra contre son gros pull et déclara à Benoît « avec de la saucisse ce serait un outrage aux bonnes mœurs... Nous carburerons à la vodka... » Et ils carburèrent à la vodka. Sacha s’épanchait, il affirmait qu’il fallait d’abord « Nettoyer l’ardoise de l’homme », en français postmoderne on dirait aujourd’hui «Changer de logiciel ». La bonne méthode : la purgation ! Benoît objectait « Le lavage de cerveau… ». Il rétorquait « Purification, désintoxication… ». Benoît renâclait. Sacha sortait un bocal de caviar d’un vieux frigo américain, le tartinait du pain noir. « Faut tirer la chasse pour débarrasser les cerveaux des inhibitions, des préjugés, des pulsions ataviques... » La vodka avait dû être distillée en fraude par des cosaques réactionnaires, elle décapait. Benoît reprenait l’initiative « D’accord tu cures les tinettes. Tu laves plus blanc que blanc. Tu fais place nette mais une fois que c’est nickel chrome tu mets quoi à la place ? » La question qui tue. Sacha le contemplait avec une moue dégoutée « Tu es un affreux petit français matérialiste. Quand nous aurons purgé tout ce qui est vieux et pourri nous bâtirons une société harmonieuse, fraternelle, spontanée... » Benoît pouffait. « Je suppose que dans ton grand nettoyage tu ne touches pas au classement de 1855 » Sacha goûta à demi son humour de petit bourgeois français.