Contrairement aux versions officielles que les bonnes âmes nous servent aujourd’hui, les allemands de l’Ouest, ceux de Bonn la petite capitale de la RFA, n’aimaient guère les Berlinois de l’Ouest. Deux années avant la chute du mur, la vitrine la plus avancée de l’Occident libre, le petit joyau enfoncé dans le cul des pays du Pacte de Varsovie, et plus concrètement dans celui de l’autre Allemagne dite Démocratique, coûtait aux contribuables ouest-allemands la bagatelle de 22 milliards de deutschemarks, soit comme l’écrivait un de ces économistes adepte de la formule qui frappe les esprits « 41 857 marks à la minute ». Berlin-Ouest relevait pour beaucoup de la danseuse coûteuse et, chaque fois qu’ils postaient une lettre, le timbre de solidarité obligatoire du Notopfer Berlin – 10% de sacrifice pour la détresse – ça leur laissait, de 1948 à 1956, un goût amer sur la langue. Bien sûr, l’image humble et courageuse, du bourgmestre Willy Brandt qui saura par des gestes symboliques, lors de la répression sanglante par les russes de l’insurrection hongroise en 1956, où il prit la tête dizaine de milliers de jeunes manifestants se mettant en route vers la porte de Brandebourg au cri de « Russes dehors ! » ou lors de son agenouillement en 1970 devant le mémorial du ghetto juif de Varsovie, masquer toutes ces petites mesquineries petite bourgeoise.
Pour en revenir aux petits jeux du Berlin des années 70, qui peuvent prêter à sourire en ce début du XXIe siècle, où par-delà les effets d’intoxication du camp de ceux qui justifiaient l’enfermement, donc l’asservissement de leurs populations à un régime policier et bureaucratique, par la résistance à une autre mainmise : celle de l’impérialisme américain, choisir son camp relevait d’un vrai courage. S’en tenir au discours bêlant des pacifistes « plutôt rouge que mort » ou à celui des partisans de la lutte armée des FAR débouchant sur le vide et la violence aveugle, c’était se donner bonne conscience. Chloé et Benoît avaient choisi de se situer à la lisière mais d’en être, de se plonger les mains dans la merde même si les éclaboussures les transformaient en « traîtres à la cause des peuples opprimés ». La responsabilité des communistes occidentaux et de leurs compagnons de route, dans ce partage stupide en deux camps irréductibles, était entière. Qu’ils viennent aujourd’hui, surtout en France, se recycler en derniers défenseurs des opprimés les glaçait et les énervait à la fois. L’Opération Rouge Gorge, même si elle était foireuse, relevait du seul vrai combat, celui qui permettait d’entretenir la flamme dans les têtes de ceux qui ne voulaient ni fuir la RDA, ni se coucher ou coucher avec les séides de la Stasi. Pourrir la vie des hiérarques calcifiés d’en face et foutre la merde chez les allumés des FAR, même avec le fric et la logistique des services américains, c’était inconfortable mais fichtrement plus utile que les soit disant engagements de Sartre et des frelons de la GP.