Le retournement de Sacha passait bien sûr par les femmes, Karen et Chloé s’y employèrent avec la rouerie du sexe dit faible en exploitant sans vergogne le goût qu’ont les nabots pour les hautes tiges. Pour ne pas éveiller de soupçons Benoît servit d’intermédiaire en plaçant lors d’une beuverie en tête à tête avec Sacha que Chloé en pinçait pour lui. Il s’esclaffa bruyamment avant de lui servir que ses responsabilités de chef lui interdisait de se laisser aller aux folies de l’amour, baiser lui suffisait. Cette profession de foi déboucha, dès le lendemain soir, par une irruption de Sacha dans l’alcôve où Chloé qui, comme par hasard, dormait dans les bras de Karen. Elles le consommèrent, telles des mantes religieuses, sans répit, le pompant, l’asséchant, le réduisant à l’état de serpillère essorée. La nuit n’y suffit pas, elles ne le lâchèrent qu’en fin de matinée. Karen vint rejoindre Benoît alors qu’il s’apprêtait à sortir. Dans son style inimitable elle entreprit de le délester de la semence qu’il avait dû accumuler en pensant à elle toute une nuit sans elle. Son agenouillement fut sublime et, pendant que ses longs doigts glacés le défaisaient, elle lui disait que tout ce qu’elle venait de faire avec Sacha c’était pour lui qu’elle l’avait fait, par amour. À l’instant où elle désincarcérait son sexe déjà en érection Karen, lui jurait une fidélité absolue. Lui seul pouvait revendiquer la possession absolue de son corps. Il était son homme, son maître, le futur père de ses enfants.
Le plan des américains consistait à faire en sorte que Sacha, soi-disant démasqué par leurs services, passe le Mur pour se réfugier en RDA et, bien sûr, de continuer de travailler là-bas pour la Stasi à d’autres tâches – le travail de flicage ne manquait pas dans cette sinistre démocratie populaire – tout en entretenant, avec l’accord de ses chefs, des relations avec ses anciens copains de l’Ouest qui, bien sûr, lui fourniraient des renseignements gracieusement offerts par les services occidentaux. Ce type d’opération relevait du pur classicisme sans pour autant qu’une quelconque des parties en présence puisse réellement savoir au bout du bout qui intoxiquait qui, qui manipulait qui. Avec le recul Benoît était intimement persuadé que tout le monde s’en foutait, l’important c’était d’entretenir la machine, de développer le fonds de commerce du renseignement, de pomper le maximum de crédits aux gouvernements, d’entretenir l’illusion de la menace, de conforter les chefs dans leur paranoïa, de se donner l’illusion de vivre dangereusement. La grande famille des espions se serrait les coudes, elle pratiquait un marketing de l’offre très efficace pour une demande qui ne recelait aucune limite. Restait à convaincre cette bourrique de Sacha d’entrer dans le jeu sans qu’il ait le sentiment de trahir ses idéaux.
Comme toujours la solution vint de là où ils ne l’attendaient pas : de Sacha lui-même. Son entichement pour Chloé relevait du calcul : pour lui, elle seule, du fait de sa culture politique, de son sens aigue de la stratégie, de son goût du pouvoir, pouvait prétendre au titre envié de compagne officielle du guide suprême. Il la saoulait de ses analyses alambiquées mais elle tenait bon. Bien lui en pris car un soir, après un dîner arrosé et pour une fois plantureux car l’un de leurs nouveaux camarades venaient de débarquer de son Piémont avec une valise pleine de victuailles, il se déballonna sans qu’elle ne lui demande quoi que ce soit. Pour lui, la cause de la paix, le triomphe des travailleurs, passait non par nos manifestations stupides au cœur du Berlin embourgeoisé mais par la RDA qui, en dépit de ses insuffisances, de ses atteintes aux libertés, de sa soumission aux Soviets, recelait encore des ingrédients susceptibles de bouter l’impérialisme américain hors d’Europe. Son projet, qu’il murissait depuis des mois, était de plier bagages et de passer à l’Est. Chloé tenta pour la forme de le dissuader. Imperator il la coupait « tu viens avec moi, bien sûr ! » Alléluia le poisson était bien ferré, elle lâcha du fil en l’assurant qu’elle le suivrait mais qu’il lui fallait faire un aller-retour en Italie avant. Pour encore mieux le tenir au bout de sa gaule Chloé ajoutait qu’il valait mieux qu’elle ne le rejoigne que plus tard pour que les pointilleuses autorités de la RDA évite de les soupçonner de je ne sais quel coup tordu. Sacha apprécia à sa juste valeur cette précaution et intima l’ordre à Chloé de satisfaire son péché : se caresser devant lui, ce qu’elle fit avec un réel enthousiasme.