Benoît affichait une mine dégoûtée qui mettait en joie bob Dole « Vous les pacifistes ce que vous ne savez pas c’est que c'est pire que ce vous pensez et dénoncez. Là-bas nous tirons sur tout ce qui bouge. Nous y faisons, comme vous dites à Paris, des trucs à faire gerber. Cette guerre est dégueulasse et nous la faisons dégueulassement ». Le Bostonien le prenait-il pour un con ou était-il en train de le tester ? Comme la faim tenaillait Benoît il fonçait tête baissée « Très franchement vos confidences sur vos horreurs au Vietnam moi je m’en bats les couilles ! Soit vous me sortez illico de ce trou à rats et je veux bien que nous en venions à l’essentiel de ce qui vous amène. Sinon je me tais et les teutons seront bien obligés de me laisser sortir sous la pression de mon consulat... » Benoît bluffait bien sûr puisqu’il savait pertinemment que, même si par je ne sais quel hasard son incarcération revenait aux oreilles du consul, celui-ci ne se précipiterait pas pour le sortir du trou. Bob Dole contemplait ses ongles manucurés avec l’air las d’un type qui a mieux à faire que de « traiter » un petit con de français prétentieux. Son dédain motivait Benoît qui jouait le tout pour le tout « c’est Sacha qui vous intéresse ! » Son affirmation faisait relever les sourcils du ricain dont les yeux bleus s’allumaient. « C’est un bel appât pour la pêche au gros. Il a tout pour nous plaire ce garçon mais il navigue dans des eaux qui ne nous sont pas accessibles alors nous souhaitons vivement que vous nous l’apportiez sur un plateau... » La réponse de Benoît fusait « et ça justifiait le traitement que m’ont infligé ces nazillons... » Dole soupirait « simple préparation psychologique et une couverture en béton vis-à-vis de vos petits camarades : à votre retour ils vous fêteront comme un martyr de la cause... » Benoît ricanait « je vous trouve bien sûr de vous : qu’est-ce qui vous fait croire que je vais marcher dans votre combine ? »
La soudaine gêne de Dole, qui se traduisait par un imperceptible dandinement doublé d’un soudain intérêt pour sa chevalière d’officier qu’il faisait coulisser au long de son annulaire, laissait pressentir à Benoît qu’il tenait du lourd pour le faire céder. Sa bonne éducation de wasp bostonien devait lui faire chercher les bons mots. Le corps endolori de Benoît se cabrait, il se concentrait. Ce salaud policé, indifférent aux massacres des niakoués, qu’est-ce qui pouvait bien le retenir de lui balancer son atout maître ? L’évidence cinglait Benoît qui gueulait « vous tenez Chloé ! » La commisération non feinte de Dole lui donnait des envies de lui foutre son poing sur la gueule. Il se réfrénait. Sa levée d’écrous se fit dans les formes. Il ne fallait pas le griller. Chloé l’attendait à la sortie et ils prirent un taxi pour se rendre dans une villa du Neuilly berlinois de Dahlem. Ils restèrent silencieux tout au long du parcours mais Benoît connaissait suffisamment Chloé pour savoir qu’elle préparait la contre-attaque. Les américains adorent monter des opérations avec un luxe de détails, de précautions, de réassurances et pour ce faire ils mobilisent une flopée de spécialistes en tout genre. Une fois arrivés ils se retrouvèrent donc entourés d’une bonne demi-douzaine de types que l’on eut dit tout droit sorti d’un roman de John Le Carré.
La séance débuta par un diaporama commenté par Bob Dole. Dès les premières images le doute n’était pas permis : ces messieurs disposaient de taupes dans leur tanière. Seule la pruderie américaine les dispensa de visionner leurs ébats. Sacha y tenait bien sûr la vedette. Très vite Benoît comprenait qu’il entretenait avec l’Est des liens étranges : rendez-vous furtifs dans des cafés, passages réguliers à la Grande Poste où il recevait du courrier en poste restante, discussions dans des parcs toujours avec le même homme, un vieux type boiteux et affublé d’un imperméable militaire. Dans l’obscurité Chloé lui glissait un bristol dans la poche de mon pantalon. Quand la lumière se fit, l’un des adjoints de Bob Dole, un petit bouledogue aux yeux exorbités d’hyperthyroïdien, débitait à toute berzingue, en bouffant ses mots, la fiche de Sacha. Benoît l’interrompait en se levant et en proclamant un « j’ai envie de pisser » qui lui valait des regards dégoûtés. La cote de la France et des français, déjà bien basse pour les cow-boys de la CIA, en prenait un nouveau coup derrière la casquette. Benoît s’en tamponnais bien sûr l’important pour lui c’était de prendre connaissance du bristol de Chloé.