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14 juin 2018 4 14 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H au troisième sous la houlette d’un Jésus de Nazareth, enveloppé dans un drap de lin, une grosse douzaine d’individus des deux sexes, déclamaient du Brecht (118)

Le pire c’est que Benoît avait tapé juste. Alors qu’ils venaient de le laisser en plan le grand roux se ruait sur eux pas en gueulant « Comment tu sais ça ? » Sans même prendre la peine de se retourner Benoît gueulait à son tour « T’as la gueule de l’emploi. Communiste un jour, communiste toujours... » Au dévers de l’escalier ils le virent, totalement anéanti, se balancer d’un pied sur l’autre. Ils vivaient vraiment une époque formidable où, à chaque instant, le moindre pékin en rupture de ban pouvait passer de l’exaltation la plus échevelée à la déréliction la plus grande. À chaque étage qu’ils découvraient le tableau changeait : au premier une pouponnière, où flottait une odeur aigre de lait se mélangeant avec le parfum fade de fèces des moutards qui dormaient dans des panières pendant que leurs mères subissaient une séance d’éducation politique délivrée par une duègne revêche dont le sarrau, façon sac de jute, mettait en valeur son cul de poulain ; au second, régnait un calme post-coïtal baignant dans des odeurs d’encens et des fragrances de foutre tiède ; au troisième sous la houlette d’un Jésus de Nazareth, enveloppé dans un drap de lin, une grosse douzaine d’individus des deux sexes, même s’il leur sembla difficile de distinguer qui était qui puisqu’ils étaient tous revêtus de sortes de chasuble taillée dans du carton d’emballage, déclamaient du Brecht ; au quatrième c’était une fourmilière où des types hirsutes, couvert d’encre, s’acharnaient sur des presses manuelles pendant que d’autres tapaient comme des déments sur de vieilles machines à écrire ; enfin au dernier une échelle émergeant du plafond donnait accès sans doute à un grenier.

 

Benoît précéda Chloé, il émergea dans un grenier à peine éclairé par une baladeuse pendouillant d’un plafond bas mangé par des toiles d’araignée. Il tendit la main à Chloé pour la hisser. Devant eux, telle une galerie de mine, s’étendait un long couloir sombre tout au bout duquel ils apercevaient un quarteron, deux hommes, deux femmes, penchés sur un établi métallique couvert de cartes d’état-major et de bouteilles de bière. Les contours des corps étaient flous, vacillants sous la lumière jaunasse de bougies plantées sur des chandeliers d’église. Ils murmuraient. Benoît et Chloé avancèrent avec précaution. Le plus grand des types, genre Barberousse, leva les yeux vers eux sans donner le moindre signe d’inquiétude. À sa droite, l’une des filles, une brune au visage dur et ingrat agitait ses larges mains sous le nez d’une sorte de gnome aux épaules étroites dont la tête, couverte d’un béret noir enfoncé jusqu’aux sourcils, branlait en permanence. La seule se tenant immobile était une blonde bien en chair dont le pull de laine écrue soulignait la générosité de sa poitrine. Pour Benoît, aucun doute, Sacha c’était ce petit hanneton rabougri dont ils commençaient à percevoir les phrases hachées « Restez groupés... affrontez ces porcs toujours à découvert... l’important c’est que les caméras filment ce qu’ils nous font... nous sommes des pacifistes...» Sa voix nasillait. De ses mains de petit baigneur Colin, rose orangée, couvertes d’un duvet frisotant, il repliait les cartes donnant ainsi le signal de la fin de la séance d’état-major. La blonde en profitait pour se relever langoureusement afin de se plaquer son long corps le long du Viking qui lui empoignait les fesses.

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