Suite à ma chronique de vendredi : Je voudrais déjeuner en paix et pourtant je suis troublé « Rien n’est poison, tout est poison: seule la dose fait le poison. » Paracelse, j’ai lu sur Médiapart
Entre plaintifs et constructifs, choses vues chez les militants écolos
8 juin 2018 par Frédéric Denhez sur son blog
L’intégrale ICI
Je vous propose de lire la seconde partie concernant le combat d’un homme contre Monsanto :
« Et maintenant, Évreux. Quel bonheur.
En décembre 2017, Paul François, le paysan qui a réussi à faire condamner Monsanto pour son intoxication aiguë au lasso, un pesticide, m’avait demandé alors qu’on causait ensemble à Lyon de bien vouloir animer les rencontres annuelles de son association. L’homme est singulier. Meurtri, abîmé, malade, autant épuisé par le poison que par le combat judiciaire pour faire reconnaître sa maladie auprès de la Mutuelle sociale agricole (la MSA), il aurait toutes les raisons d’être agressif, vindicatif et caricatural comme les outragés de l’éolienne. Il pourrait se vautrer dans l’émotion, se draper dans la toge impériale de la victime médiatique, et faire pleurer dans les chaumières en décrivant ses malheurs, bien plus graves que ceux des pleurnichards égocentriques de l’Occitanie. Et on n’y trouverait rien à redire car il souffre chaque jour, Paul.
Lisez son livre !
Un paysan contre Monsanto, paru chez Fayard
Et bien, c’est étrange, Ô miracle, il ne l’est pas, victime.
Paul François a réussi à s’extraire de ce statut bien pratique, ultra-valorisé dans notre société qui adore les opprimés (enfin, tant qu’ils restent sur des combats manichéens). Étrange, difficile pour les médias : voilà un homme qui devrait être sans cesse monté sur un prétoire, déclamer bruyamment pour se plaindre et dénoncer, pleurer et hurler, caricaturer les industriels et les agences sanitaires en riches méchants et les paysans en pauvres bougres sans défense, et qui reste sur la mesure, la nuance et jamais ne se laisse embarquer dans la facilité. Mais comment fait-il ? Vouloir l’interdiction des pesticides ne l’empêche pas d’affirmer que prohiber le glyphosate n’est possible qu’après avoir au préalable formé à l’agronomie les paysans, en particulier ceux et celles qui ne labourent plus, ou si peu. Paul François, c’est l’antidote contre Marie-Monique Robin qui ramène tout à elle, qui ne supporte pas de partager la lumière et s’est arrogé le pouvoir de dire ce qui est bien et mal. Un homme rare.
La volonté de comprendre
Le colloque de l’association de Paul François, Phyto-victimes, s’est logiquement déroulé à son image. Dans une organisation, le chef déteint sur tout le monde. Lever 5 h 30, train à 6 h 45. Voiture jusqu’à la fac parmi des rues vides. Parking en face d’un Mac Do presque aussi volumineux que le cinéma. Accueil souriant, proclamations de petite taille, les messages sont sobres. Les murs ne hurlent pas, c’est bien, quand on est encore fatigué. Sur l’affiche, le slogan « Pesticides & santé, tous concernés » suffit à poser le débat en lettres blanches sur fonds noir. Un peu classique, mesuré, le ton est là. La photo en bas à droite est celle d’un enfant debout dans un champ de blé encore vert qui regarde au loin un tracteur flou en train de pulvériser. Simple comme la réalité. Il y a dans l’amphithéâtre une table avec le livre de Paul (Un paysan contre Monsanto, paru chez Fayard) qui est en vente, et une autre avec du café, gratuit. Paul n’est pas là, car il est bien trop fatigué. Il a délégué une vidéo pour souhaiter bonne réussite à tout le monde. Pendant une journée, devant une bonne soixantaine de personnes effectivement concernées, beaucoup dans leur chair, des chercheurs et des directeurs se sont succédé. On a discuté de l’histoire des pesticides, du scandale de l’amiante qu’il faut toujours avoir en tête, de l’épidémiologie du cancer dans le monde agricole. Le niveau était élevé, les chercheurs pédagogues. L’avocat de Paul François expliqua l’état de la loi, de la justice en la matière. De sa lenteur, de ses accès de lucidité, parfois.
Dialoguer avec l’accusé
Après un déjeuner sans alcool, car on était à la fac, on revint autour de tables rondes. Le directeur de la MSA et son médecin national ; le directeur de l’Anses et sa directrice adjointe se tenaient prêts à affronter l’amertume générale. Les paysans souffrent de ce qu’on leur a enseigné à pulvériser, il y a aussi des riverains qui ne savaient pas ce qui leur tombait dessus. La mutuelle sociale agricole a fermé les yeux, se retranchant derrière la sempiternelle absence de lien de cause à effet et l’inexistence des pathologies constatées dans les tableaux des maladies professionnelles. Pratique. L’Anses est chaque jour accusée de compromission avec les industriels, seule explication pour des avis sanitaires que l’opinion trouve toujours trop pudiques et donc, suspects. Il faut qu’il y ait des coupables. Paul François a largement fait la fête à la MSA dans son livre, et la fête avait continué durant la matinée. Ces messieurs-dames allaient se faire déchaumer.
En fait, ils ressortirent bien vivants. Et même satisfaits. Car ce public qui ne leur était pas acquis, qui était un reproche vivant à leur gestion de ce qui n’est pas encore une crise sanitaire d’ampleur comparable à celle de l’amiante, mais on y arrive ; ce public qui n’a pas été tendre est resté civilisé, respectueux, au moins du courage qu’il fallait d’oser se mettre face à lui. Pas de sifflements, de huées, d’insultes, pas de censure ni d’opinions tranchées, pas une seule fois n’ai-je eu à intervenir pour calmer les ardeurs. Même ce médecin emporté contre les pesticides comme personne, qui sut déraper sans se vautrer dans le ridicule. On s’écoutait, à Évreux. On interrogea la FNSEA qui disait ne pas savoir faire sans pesticides sans lui envoyer de bidon de chlordécone à la figure. Les victimes n’étaient pas indignées, elles étaient courageuses, voulant que les choses changent en comprenant ce qui leur était arrivé, sans flétrir pour autant leur écœurement ni leur fureur.
Deux visages de la société d’aujourd’hui, deux visages de l’écologie. Le sectarisme des idiots utiles du système là-bas, l’ouverture de constructifs ici en Normandie. Celle-là me fait continuer ce métier chaque jour amoindri par le régime des plaintifs dont je me demande s’il n’a pas contaminé Nicolas Hulot. Le ministre se lamente beaucoup sur son sort mais que fait-il ? À voir le gâchis qu’est la loi sur l’alimentation, on peut répondre par « rien ». S’indigner en permanence ce n’est décidément pas avoir du courage. Quand on accepte l’ombre d’un ministre de l’agriculture qui se croit toujours sous Pompidou, on ferait mieux de se taire. Et de laisser place à quelqu’un d’autre, mais à qui ? Voilà où en est l’écologie au niveau de l’État. Heureusement, elle avance, se banalisant, dans les territoires de la République. Tiens, la région Pays-de-la-Loire vient d’installer sa stratégie de biodiversité, élaborée avec la plupart des représentants des usagers de la nature. Il n’y a eu qu’un seul vote contre. Une association de petits propriétaires forestiers. »
Empoisonné par un pesticide commercialisé par Monsanto, l’agriculteur charentais a osé s’attaquer au grand industriel américain. Sa vie en a été changée à jamais: pour le meilleur, et pour le pire ICI