On y voit les appareils en dotation au sein du GLAM, le Groupement des Liaisons Aériennes Ministérielles, dans le courant de l’année 1972.
Le surlendemain, ils filaient au fond d’une DS21 vers l’aérodrome militaire de Villacoublay pour embarquer dans un Mystère 20 du GLAM. Ce cher Albin, lorsque Benoît lui présenta Chloé, déploya, avec élégance et détachement, toutes les facettes de son pouvoir de séduction en lui faisant remarquer d’un ton sérieux « Qu’il n’était pas à sa juste place... que son refus de la lumière l’intriguait... » Le silence de Benoît, loin de le désarmer le poussait à plus de causticité « Vous êtes un aventurier, je suis persuadé que vous rêvez de pervertir le système de l’intérieur pour que nous tombions le moment venu comme des fruits mûrs... je me trompe ? » Chloé se portait à son secours à sa manière « Vous vous méprenez monsieur le Ministre, ce grand jeune homme n’a de cesse d’enterrer, sous des tonnes de boue, le grand et seul amour de sa vie. Il jouit de son malheur. C’est un enfant gâté qui veut toujours être au centre de tout sans ne jamais rien assumer... » Présent à leur arrivée dans le bureau du Ministre, l’Archange Gabriel, toujours aussi chafouin les contemplait avec stupéfaction. La liberté de langage de Chloé le mettait mal à l’aise, son naturel de petit pâtissier respectueux monté par les cours du soir dans l’Olympe du pouvoir ne supportait pas l’arrogance tranquille de cette bien-née. Ce trouble n’échappait pas au Ministre. Il prenait un malin plaisir à lui mettre plus encore la tête dans le sac « Mon petit Gabriel ne gaspillez pas votre précieux temps à écouter des propos aussi légers. Allez vaquer à votre ouvrage et laissez-nous explorer des territoires qui vous sont inconnus... » Les petits yeux mobiles et inexpressifs de l’Archange hésitaient entre la rage froide et la soumission servile. Il battait en retraite en murmurant des salutations confuses. Le temps était venu de partir, la répartition dans les voitures se fit à la grâce du Ministre qui prit à son bord Chloé pendant que Benoît partageait l’arrière de la seconde voiture avec le chef de cabinet grand ordonnateur de tous les déplacements.
Si le bel Albin, très préoccupé du confort de Chloé qu’il plaçait face à lui dans l’avion, avait pu lire dans les pensées de Benoît lorsqu’il installa à son tour dans le confortable fauteuil de cuir gris perle du Mystère 20, sa superbe se serait sans doute muée en stupéfaction. Bien évidemment c’était son premier vol dans cette belle aéronef conçue par Marcel Bloch dit Dassault, comme le dénommait ses sympathiques collègues des RG dont l’antisémitisme faisait bon ménage avec leur aversion des bougnoules et leur grande admiration pour l’efficacité israélienne dans son conflit avec les pays arabes. L’intérieur du biréacteur se révélait vraiment très classe, et comme d’emblée on s’y sentait en sécurité une forme de convivialité s’établissait entre les passagers des quatre sièges, placés deux à deux et face à face de chaque côté du couloir. Les six autres sièges, semblaient relégués dans une zone inférieure dans la mesure où ils étaient placés, eux, en rang d’oignons. Le commandant de bord et son second avaient accueilli le Ministre en bas de la coupée de l’avion. Ils étaient installés ainsi : le Ministre faisait face à Chloé, Benoît au chef de cabinet et les autres à l'arrière : une saine et salubre ségrégation. Se rendre à Château-Bougon avec un Mystère 20, qui volait à Mach 0,8, était un vrai luxe. Pour Benoît, ce retour en sa ville de Nantes le recollait à un passé douloureux.