;) Jean-Paul Sartre, painted on a wall of The Abode of Chaos, a Museum of Contemporary Art located in Saint-Romain-au-Mont-d'Or.
Le Gustave ça lui avait coupé la chique, les larmes lui étaient venus aux yeux, il empoigna Benoît par les épaules « Bordel de merde, venant de toi mon grand le compliment me retourne comme une crêpe. Tu m’diras que c’est plutôt mon truc d’me faire retourner mais là tu me troues ! Allez ça s’arrose j’vais faire péter une roteuse de première ! » Le Gustave carburait maintenant au Moët ce qui peut expliquer qu’avec sa bande de traîne-lattes la caisse du théâtre populaire s’apparentait au tonneau des Danaïdes et qu’il a vite sombré. Sans le vouloir Benoît venait de gagner la partie, comme si son estime proclamée, tel un attendrisseur, avait transformé cette vieille carne de Gustave en perdreau de l’année. Il en profita pour vider mon sac sans précaution : le projet des frelons tira de la roulure des commentaires offusqués « Non, y sont encore plus dingues que j’le pensais. Y’s’prennent pour la bande à Bonneau. Faut pas laisser faire ça mon mignon. Ces bavassous vont à l’abattoir, ça va être un carnage... » Benoît opina gravement. « Qu’est-ce je peux faire mon grand ? » Benoît l’encourageait du regard, Gustave se grattait les couilles : « Faut que je vois le Grand Chef... » soupirait « Y va pas t’écouter, il n’écoute personne... » Du tac au tac, sans préméditation, Benoît rétorquait « Si, toi ! » Gustave rotait d’aise. « Ce n’est pas con ce que tu viens de dire mais le problème c’est qu’est-ce que je pourrais bien lui dire à ce petit con ? » Benoît lui tendait une coupe « Ça je m’en occupe... » Gustave fronçait les sourcils « Mouais t’en ai capable mais faut pas que ça bousille ma position auprès de ce petit monde. Tu comprends j’ai un standing à tenir avec le beau linge comme le bigleux de Sartre et tout le fourniment. Si je leur parais tiédasse y vont prendre pour un jaune... » Le pépère Gustave s’inquiétait surtout pour son pèse et ce souci fournissait à Benoît le plan pour se sortir de la mouise. « Tu vas lui dire que c’est toi qui va faire le coup... » Gustave s’étranglait. « T’es louf ! Je ne vais pas faire dans la cambriole pour me retrouver à l’ombre... » Benoît le rassurait « Ce sera du bidon arrangé par la grande maison... » Il se détendait « Pas con comme embrouille... mais le pognon où est-ce qu’on va le trouver ? » Benoît poussa ses pions « Pas de problème j’ai du crédit... » L’œil de Gustave s’animait. « Bien évidemment, au passage tu prélèveras ton pourcentage pour tes faux-frais... » Gustave se rembrunissait « La maison poulagas va jamais vouloir lâcher du pèze pour que ces petits cons achètent de l’artillerie... » L’objection tenait mais Benoît, toujours en verve, rétorquait « Dans cette affaire tout le monde sera cocu... » Gustave se grattaient à nouveau les roubignols en regardant benoît d’un air inquiet « Qu’est-ce t’entends par là ? » Benoît servait deux nouvelles coupes en lâchant « Je vais t’expliquer mon plan... »
Son plan était aussi tordu qu’un cep de Carignan centenaire. Gustave en restait pantois. Tout reposait sur ses épaules.
Acte 1 : il vendait au Guide suprême de la GP la reprise à son compte du coup de main. Facile, d’après lui.
Acte 2 : avec l’aide de la Grande Maison nous montions un faux traquenard dans une succursale du Lyonnais où seuls nos petits camarades de la GP, chargés de faire le guet, se feraient gentiment alpaguer alors que nous, certes bredouilles, nous en réchapperions.
Acte 3 : le soir même avec Gustave, pour rattraper le coup raté, nous cambriolerions l’appartement du père de Marie.
Acte 4 : de retour auprès de nos camarades, magot en lieu sûr, nous leur déclarerions avoir été trahis dans l’affaire du Lyonnais et, qu’en attendant la nécessaire épuration interne, nous mettions sous séquestre le trésor de guerre.
Merdier assuré à tous les étages de la GP et, bénéfice net pour Marcellin du côté de la presse et de l’opinion publique apeurée, sa police venait de déjouer, sans casse, un hold-up de la fraction la plus activiste des enragés. Seules victimes collatérales de l’opération : les trois ou quatre branleurs de la GP épinglés par la poulaille. Gustave les choisirait parmi les plus beaux représentants des fils de la haute bourgeoisie universitaire afin que la mobilisation en leur faveur dans la presse bien-pensante de gauche soit maximale. Marcellin avait signé des deux mains. Certains des collègues de Benoît tiraient la gueule : ça sentait l’arnaque mais puisque la hiérarchie couvrait ils ne firent aucune objection.
L’Acte 5 restait top secret, seul Marcellin était dans la confidence : le fameux magot, soi-disant dérobé au père de Marie, servirait de couverture à Benoît pour son périple à Berlin Ouest. Gustave, trop heureux d’empocher un beau paquet, s’en laverait les mains auprès de ses admirateurs de la GP en déclarant que l’urgence révolutionnaire exigeait que ce bel argent aille à l’avant-garde de l’Internationale Terroriste. Les petites bites françaises de Benny Levy goberaient l’argument sans regimber et surtout, ils ne manqueraient pas d’en répandre l’info dans le petit monde des gauchistes européens. S’ils tardaient à le faire des fuites organisées par la grande maison ce qui permettrait à Benoît de débarquer à Berlin-Ouest dans les meilleures conditions.