Dès sa sortie de la place Beauvau Benoît sonnais le rappel de sa petite troupe pour qu’elle déniche au plus vite cette vieille roulure de Gustave qui, profitant de son relâchement, n’avait pas donné signe de vie depuis plusieurs semaines. Lui seul pouvait lui permettre d’accéder dans les plus brefs délais au reclus de la rue d’Ulm, le chef « clandestin » de la GP Pierre Victor-Benny Levy. Son plan, pour stopper l’escalade de la branche armée de la GP, était simple comme une alternative : soit il arrivait à le convaincre, soit il l’achetait. Benoît aurait pu laisser faire, mais la prise de risque pour sa petite entreprise se révélait maximale dans tous les cas de figures. En effet, si la tentative de hold-up tournait au fiasco avec mort d’hommes dans l’un ou les deux camps, il savait qu’il ne se sentirait plus le courage de continuer à faire joujou dans une mare de sang. La position de Marcellin sur le sujet restait ambiguë : l’attaque d’une banque par la GP conforterait son discours sur le tout répressif pour éradiquer la subversion liée au terrorisme international mais il ne fallait pas que ça dérape car le PC ne manquerait pas d’accuser le pouvoir de collusion avec les gauchistes. Le scénario idéal pour lui consistait dans une belle souricière juste à l’instant du passage à l’acte qui conforterait l’image d’une police efficace. Dans cette hypothèse l’implication de Benoît se devait d’être maximale pour maîtriser le détail de l’opération voire s’impliquer personnellement dans l’action du commando. L’amateurisme de la branche militaire de la GP, arme au poing, lui faisait bien sûr craindre le pire. Il se devait donc de tuer la tentative dans l’œuf en faisant croire ensuite à ses chefs que ce n’était un bobard. Gustave ne se ferait pas prier pour confirmer ses dires. Convaincre le Guide lui paraissait hors d’atteinte car le mythe de la lutte armée le fascinait et que pour tendre des fusils aux larges masses il fallait au préalable accumuler du fric pour les acheter. Restait à tenter de le corrompre ce qui lui semblait encore plus mal aisé mais il n’avait pas d’autre choix que d’aller se confronter à lui.
Gustave, grand intellectuel s’il en faut, délaissait l’action directe pour se consacrer au théâtre d’avant-garde : la subversion des larges masses passait d’abord par les mots chuintait-il à qui voulait bien l’entendre. Ce fut Marie-Églantine, la nièce de Raymond qui nous le débusqua. L’outre à bière pérorait derrière le bar de son théâtre entouré de sa Cour qui, tout en bitant que dalle, à son ch’timi révolutionnaire, le considérait comme l’expression la plus accomplie de l’alliance du prolo avec la fine fleur des intellos. La Marguerite Duras, Maurice Clavel et Claude Mauriac lui servaient de caution. Bref, la balance se bâfrait, picolait, forniquait dans une ambiance digne de la décadence de l’Empire Romain. Quand Benoît pointa sa truffe dans son antre notre homme, entouré de deux nymphettes aux cheveux sales et aux regards envapés, arborait une tenue digne de Jean Gabin dans la Bête Humaine. Gustave l’accueillit avec les honneurs dus à son rang d’une rude accolade accompagnée d’un discours bien troussé. Le Gustave s’imbibait vite des tics de l’intelligentsia en ponctuant ses dires de « C’est divin ! C’est génial ! C’est la revanche du peuple ! » Il fit faire à Benoît la tournée du propriétaire de son pot au miel « Ça attire les guêpes mon grand et c’est bon pour notre blot... » lui disait-il en lui lançant un clin d’œil appuyé. Comme il se doutait bien que sa venue n’avait rien de littéraire, avant de se mettre à table, il tenta tout de même une petite diversion « Si ça te dis de t’faire pomper avant qu’on s’tape la cloche j’ai une fille de Procureur qu’a vraiment de belles dispositions. En plus, toi qu’aime les bourges aux belles manières c’est la seule qui ne soit pas une mochtée... » Pour la première fois depuis que nous nous connaissions Benoît le trouvais drôle, bien dans sa peau d’histrion, de fouteur de merde et il le lui dit.