Benoît, au lieu de profiter de son avantage – ce qui à court terme aurait pu flatter mon ego mais qui, sur le long terme se serait révélé contre-productif : un Marcellin humilié ne lui pardonnerait jamais –il proposa au Ministre de s’investir plus encore sur un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur : l’Internationale gauchiste. Ce nouvel avatar de leur entretien plut d’emblée à Marcellin, ils allaient pouvoir manger dans la même écuelle en toute confraternité. Au grand banquet de la manipulation, des coups fourrés, à qui baise qui, seuls ceux qui n’ont aucun souci de l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes peuvent espérer en l’avenir. Touiller dans la merde, y mettre à l’occasion la main, provoque dans la cohorte des signataires de pétition des hauts le cœur. Pour eux, la basse police s’apparente à une forme de sodomie des libertés fondamentales. Ça le faisait jouir, le maire de Vannes, d’entendre les cris d’orfraies des intellos et des bourgeois de gauche, c’était comme si lui, le bon chrétien qui va à la messe le dimanche avec bobonne, les niquait profond sans avoir besoin d’en confesser sa faute. La proposition de Benoît le comblait d’aise ce qui ne l’empêchait pas de le prévenir que tout ce qui se passait hors de nos frontières n’était pas de son ressort. En clair, tu tires les marrons du feu si tu t’en sors mais ne compte pas sur moi pour te tirer d’un mauvais pas. Benoît en convint en lui demandant d’éviter les fuites en direction de la Piscine. « Vous plaisantez j’espère ! L’idée ne m’aurait jamais effleuré l’esprit. J’ai en profonde horreur ces culottes de peau prétentieuses et inefficaces. Rien que des j’en foutre, des demi-soldes, dans l’affaire que vous évoquiez, avec pertinence, tout à l’heure ce sont certains d’entre eux qui ont monté la machine contre le Président. Par bonheur notre bonne vieille PJ a fait son boulot... » Benoît apprécia toute la saveur de l’évocation de sa pertinence mais, plus prudent qu’un chacal, il rajouta une couche de flagornerie.
« Permettez-moi, monsieur le Ministre, d’imaginer que vous ne m’avez pas convoqué ce matin pour que vous puissiez me fournir de faux passeports... Je me tiens à votre entière disposition avant mon départ pour remplir la mission que vous vouliez me confier... car je suppose que telle était votre intention... » Marcellin en resta, un instant, stupéfait de voir ce soi-disant petit branleur magouillant avec les RG lui dicter la conduite à tenir. Il grommela « Vous devriez faire de la politique... » avant de se raviser goguenard « En fait je ne crois pas, vous êtes trop intelligent pour vous fourvoyer avec ce troupeau de minus... » L’avertissement était sans frais, Benoît cessa de la ramener car il risquait de perdre tout le bénéfice de l’avantage qu’il venait de gagner. Le Ministre rejoignit son bureau d’un pas lourd, il se saisit d’une chemise cartonnée, sans même le regarder, à son tour il le prenait de court « Avant d’aller à Rome vous allez d’abord vous rendre à Berlin-Ouest. Les gauchistes teutons me semblent bien plus dangereux pour nous que leurs confrères ritals, le voisinage de l’Est les rends plus perméable aux manipulations des cocos. Vous parlez l’allemand ? » La réponse négative de Benoît ne le démonta pas « Alors vous emmènerez votre dulcinée qui elle, je suppose, est polyglotte et, comme elle est bien introduite dans l’Internationale gauchiste ça ne peut que faciliter l’infiltration... » Marcellin savourait le fait d’avoir repris la main, il lui tendit la chemise défraichie « Vos petits copains envisagent de perpétrer un hold-up dans une succursale du Crédit Lyonnais pour alimenter leur trésor de guerre. Je compte sur vous pour m’en dire plus que ce qu’il y a dans ce fichu dossier, soit presque rien... »