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11 mai 2018 5 11 /05 /mai /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H C’était un ambitieux, il souffrait de sa condition. Il voulait s’élever donc il continuait de bucher ce qui lui permettait d’entrer au bureau d’études de la SNECMA comme technicien.  (90)

Armand lui trouva de suite une tête de mal baisé : « Il ne boit que de l’eau et ne bouffe que de la salade… Je le trouve contraint, comprimé, sournois, le genre de gus dont il faut se méfier dans une chambrée : un pointeur… »  Benoît, plus bienveillant, n’en exprimait pas moins son malaise face à ce petit bonhomme, terne, faussement modeste, qui, en dépit de ses fonctions de chargé des relations publiques du Ministre semblait vouloir fourrer son nez partout en se parant d’un titre bien plus respecté dans les antichambres politiques : «d’ami du Ministre ». En sirotant son aligoté Armand le mit en garde « Fais attention c’est un fouille merde… » ce qui valut un retour ironique « C’est pour cela que c’est un bon client, il possède deux qualités essentielles : la proximité du Ministre et son côté je lave plus blanc que blanc. » Pour en savoir plus il ne restait plus à Benoît qu’à consulter les fichiers des Renseignements Généraux, qui devaient, il n’en doutait pas, s’être intéressé à cet étrange personnage qui avait gravité autour du Ministre lorsqu’il présidait la Banque Vernes et Commerciale de Paris.

 

Notre homme avait 34 ans, célibataire ce qui pour les petits camarades des RG constituait un indice sérieux, soit de pratiques sexuelles déviantes, soit d’une vie de patachon. L’auteur de la fiche le suggérait tout en notant le caractère quasi-monacal du mode de vie de l’intéressé – le vocabulaire utilisé était plus grivois : vit comme un vieux garçon, genre tapette qui s’intéresse aux culottes des gamines – ce qui ne laissait ouverte que la première branche de l’alternative, mais comme la grande maison avait d’autres chats à fouetter que d’aller enquêter dans les alcôves sur ce second couteau, on en restait au stade des soupçons. Beaucoup plus intéressant était la description du parcours professionnel de celui qui pour Benoît endossait de mieux en mieux ses habits de type ayant une revanche à prendre sur la vie. C’était un pur autodidacte : origines modestes, pâtissier dans sa jeunesse, il avait commencé à travailler comme apprenti sitôt son certificat d’études, à 14 ans, puis cours du soir sitôt le travail, ce qui signifiait avec l’étude et les devoirs un coucher autour de minuit pour se lever à 5 heures du matin. Trois années de galère qui le menaient à ses 18 ans dans un obscur emploi au Ministère des Finances puis aux Assurances Sociales. C’était un ambitieux, il souffrait de sa condition. Il voulait s’élever donc il continuait de bucher ce qui lui permettait d’entrer au bureau d’études de la SNECMA comme technicien. Ensuite, comme tous les jeunes français, à 20 ans, il partait pour 24 mois et demi à l’armée. Bizarrement, pour des raisons pas très claires, il ne suivait pas le parcours des OER. À son retour de l’armée, où il semblait avoir passé le plus clair de son temps à bouquiner les grands auteurs de la science économiques, il entrait comme journaliste dans le magazine économique et financier Entreprise. Lorsqu’il rencontrait le futur Ministre alors banquier, en 1965, il avait 27 ans, et il était chef du service économique et financier du magazine.

 

Leur première rencontre, dans le bureau du Ministre, fut purement fortuite, Benoît y entrait, lui allait en sortir, accentua le portrait du méritocrate bâti de bric et de broc. Le son enjoué de la voix du Ministre, lorsqu’il salua Benoît, provoqua sur son visage, qui se voulait impassible, une légère crispation. À la seconde même il se découvrait un rival, jeune, décontracté, s’adressant d’égal à égal à son idole. Celle-ci, non dépourvue de cruauté à son égard, présenta Benoît comme la meilleure plume du Tout Paris politique, en ponctuant son compliment d’un « Il me change de toute cette bande de tête d’œufs prétentieux, de tous ces minables qui me font la cour » qui dut lui labourer le cœur. Qu’un va-nu-pieds comme Benoît, puisse conquérir les faveurs de son Ministre avec un bagage aussi léger relevait de la pure injustice. Benoît pressentit que, sous ses airs d’humble chanoine se cachait la flamme d’un Savonarole. Impression confirmée dans le livre qu’il écrira ensuite pour se justifier « Car je suis de ceux qui pensent que sur le plan moral, l’homme détendu est un homme relâché, et qu’un homme relâché est un homme perdu. » Aucun doute n’était permis, Benoît était pour lui un beau spécimen d’homme relâché, il ne pouvait que craindre son ascendant sur son Ministre. Son beau parcours du fournil aux ors de la République en passant par le parfum entêtant de la gestion de fortune dans une banque réputée, qui le mettait « sur un pied d’égalité avec des polytechniciens et des hauts fonctionnaires… » ne lui suffisait pas. Pour apaiser sa souffrance et étancher son incommensurable orgueil il lui fallait s’élever au-dessus du commun, devenir l’Archange Gabriel.

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