Sa belle main qui se posait sur son bras, sa belle voix qui lui disait « Vous devez avoir faim...», et qui ajoutait « c'est un sandwich au saucisson sec comme vous les aimez... », son rire, l’étonnement de Benoît, une apparition, elle n'était pas belle, elle était plus que belle, incomparable, une légère coquetterie dans l'œil, des cheveux longs et soyeux qui s'épandaient sur ses épaules nues et, tout autour d'elle, un halo de sérénité. « Mangez ! » Il avait obéi, la bouche pleine il la complimentait. Elle souriait « Je l’ai fait pour vous ». Et là, un garçon du Conti, toujours sanglé dans un grand tablier blanc, me dévisageait sans aucune aménité. Et lui de grommeler « Marie ! Marie ! Marie ! T'es chiante de m'avoir planté dans cette putain de vie où t'es pas... »
Chloé savait où le trouver et, comme le disent les supers-gendarmes, elle l’exfiltra rapidement de ce bocal empli de souvenirs. Le centre de Nantes, en ce temps-là, dès que les vents étaient favorables, embaumait des effluves chauds et rassurants du Petit LU et, pour mieux exorciser ses démons, sitôt sortis du Conti, Benoît saisissait Chloé par la taille pour la conduire, en marchant très vite, rue Boileau là où, en 1846, un jeune pâtissier lorrain, Jean-René Lefèvre s’installait au 5. Parler, parler, parler, déverser, dégorger, le libérait du joug de mes vieilles douleurs. Cette année-là, 1846, fut celle de la dernière grande famine en Europe – le mildiou de la pomme de terre fut à l’origine du ravage des cultures – qui extermina un million et demi de personnes. Elle dévasta l’Irlande poussant près du quart de sa population à s’exiler, surtout vers les Etats-Unis. Quatre années plus tard notre pâtissier venu de l’Est épousait Pauline-Isabelle Utile. Le succès aidant La Fabrique de biscuits de Reims et de bonbons secs annexait le 7 de la rue Boileau. imaginez, dans ce centre de la vieille ville aux rues pavées, sous la pluie fine et collante du crachin breton, dans la pestilence des déjections et des ordures, les charrettes à chevaux cahotant, les cris et les jurons fusant, alors que les bourgeoises nantaises, ou le plus souvent leurs bonnes, s’agglutinaient dans ce lieu vaste, bien tenu, où un personnel bien mis servait avec des pincettes les macarons, les langues de chat, les massepains, les boudoirs, les petits fours aux amandes, et bien sûr les biscuits de Reims.
Le Petit LU n’était pas encore né, il sera le fruit de l’amour du goût de ce couple alliant sens du commerce et inventivité. Avec Chloé, pour aller au plus près de l’épicentre de la source de cet embeurré qui a égaillé les goûters de ma jeunesse, ils retraversèrent la ville en descendant la rue du Chapeau-Rouge, puis celle de la Contrescarpe pour rejoindre le quartier du Bouffay avant de couper le cours des Cinquante-Otages. Comme promis à Chloé, ils empruntèrent le passage Pommeraye mais Benoît refusa obstinément de faire un détour par le quai de la Fosse. Trop dur ! Ils attrapèrent un bus au vol pour effectuer le restant de leur périple qui les conduisit aux lisières de la gare face à la grande fabrique du quai Baco. Ils gagnèrent ensuite à pied la Préfecture en longeant le château des Ducs de Bretagne et la cathédrale St Pierre.