Samedi on me dit que c’est la fête des voisins, moi je veux bien mais je pense que ça devrait être la fête au quotidien comme un simple bonjour…
Ce matin je ne vais pas vous parler de mes voisins du bâtiment 1 mais d’autres voisins : ceux qui vont réintégrer la maison d’arrêt de la Santé qui vient d’être rénovée et, plus étrange encore, une voisine qui a peuplé mes rêves d’adolescent : Belle de Jour.
Ce qui m’a mis la puce à l’oreille c’est que le 26 mai 1986, Michel Vaujour s'évadait de la prison de la Santé à bord d'un hélicoptère piloté par son épouse Nadine. Celui-ci se posa sur la pelouse de la Cité universitaire où ma collégienne de fille faisait du sport avec sa classe. Être au cœur de l’actualité ça laisse des souvenirs.
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Ironie de l’histoire, j’ai acheté il y a 18 ans un appartement au 9e étage d’un immeuble dont l’arrière donne sur la maison d’arrêt de la Santé. De la fenêtre de ma cuisine, en sirotant mon café noir je pouvais voir des prisonniers aller et venir dans une petite cour surmontée d’un grand filet, souvenir de Vaujour.
Et puis un beau jour ce fut le grand silence : « La prison se refait une Santé » titrait une revue spécialisée.
« Edifiée de 1861 à 1867, la prison de la Santé (Paris XIVe ) répondait aux critères modernes et progressistes des lieux d’enfermement. Son architecte, Emile Vaudremer, Grand Prix de Rome, conçoit un dispositif parfaitement intégré au site, en quasi-périphérie du Paris de l’époque.
Sur ce terrain de 2,8 hectares en forte déclivité, l’architecte conçoit deux bâtiments distincts selon deux concepts : le quartier haut est constitué de plusieurs bâtiments longitudinaux autour de cours, réservés aux condamnés, qui y partagent de nombreuses activités. Le quartier bas accueille un bâtiment en croix, formé de quatre ailes centrées autour d’une rotonde couverte d’un dôme : les prévenus sont à l’isolement quasi total en attendant leur jugement.
Plus d’un siècle après, la prison de la Santé devait se remettre aux normes. Au terme de discussions entre le ministère de la Justice, la mairie de Paris et l’architecte des bâtiments de France, le choix s’est porté sur la démolition du quartier haut et la conservation ainsi que la rénovation du quartier bas. En 2013, après un dialogue compétitif avec plusieurs groupements, le maître d’ouvrage a signé un partenariat public-privé avec le groupement Quartier Santé, emmené par GTM Bâtiment. Deux contraintes pesaient sur le site. La première était liée au sous-sol, constitué d’anciennes carrières sur deux niveaux. La seconde tenait à son extrême exiguïté, car l’établissement est bordé de toute part de rues passantes. Ainsi, sous le contrôle de l’Inspection générale des carrières, l’ensemble du site, après avoir été analysé, a été conforté… »
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J’ai assisté à la destruction, même que je me suis fait une collection de photos souvenirs, puis à la construction. Les travaux sont terminés, ouverture en juin.
Mon deuxième voisinage est plus étrange, il était niché dans mes souvenirs d’adolescent, c’était au cinéma le Modern, aux Sables d’Olonne, mon trouble lorsque je découvris Belle de Jour le film de Buñuel, adaptation d'un roman de Joseph Kessel.
« Séverine, Catherine Deneuve, le personnage principal de Belle de jour, est une jeune bourgeoise mariée à Pierre Sérizy, un brillant chirurgien qu’elle aime mais avec lequel elle est physiquement distante. Sans doute marquée par un souvenir d’enfance qu’évoque Kessel dans le prologue de son roman, elle est tenaillée par un désir de luxure avec des hommes de classes sociales inférieures. Elle se rend un jour chez Madame Anaïs, qui tient une maison de rendez-vous rue Virène, et fait acte de candidature comme pensionnaire en demandant de ne travailler qu’entre 14h et 17h. »
Il n’y a pas de rue de Virène à Paris, en revanche, à deux pas de chez moi, la rue Léon-Maurice Nordmann, commence rue de la Santé. J’y passais souvent sur mon vélo.
« Cette voie faisait précédemment partie de la rue Broca et avant 1890 de la rue de Lourcine. Un arrêté du 18 décembre 1944 lui donna le nom de l'avocat résistant Léon-Maurice Nordmann (1908 - Mont Valérien, le 23 février 1942), fusillé par les nazis. »
Et puis un jour sur Twitter j’apprends que les prises de vues de la maison de passe de madame Anaïs furent tournées dans un bloc d’immeubles de cette rue : square Albin Cachot.
Georges Charpak adolescent a vécu avec ses parents dans le square de 1936 à 19451.
Plusieurs plans du film Belle de jour de Luis Buñuel ont été tournés dans le square Albin-Cachot, renommé pour l'occasion « cité Jean-de-Saumur » où est situé l'appartement de Mme Anaïs. Catherine Deneuve rentre au no 3 du square, numéroté 11 dans le film. L'appartement est situé au no 3, mais la cage d'escalier est située à un autre numéro. L'appartement utilisé était celui de l'assistant de Buñuel.
Clara Malraux a habité dans le square.
Alice Sapritch a habité sur le côté droit à l'entrée du square, elle y avait un atelier de couture.
La famille Séchan (le chanteur Renaud) a aussi habité le square sur la droite à la deuxième fontaine.
Je vous offre mes photos.
« Secrétaire, elle travaille «dans les bureaux» à Paris pour 1 500 euros par mois. Exilée, elle habite à la campagne, cultive son jardin et plante des arbres. Fauchée, elle conduit une vieille 205 Peugeot, «250 000 km au compteur». Classique, elle porte une jupe rouge sous le genou, un corsage à fleurs et des chaussures plates. Artiste, elle peint des paysages et dessine des portraits. Elle s'appelle Nadine Vaujour. Il y a vingt ans, elle a délivré son homme de la prison de la Santé, aux commandes d'un hélicoptère. Une évasion hardie qui a fait d'elle une héroïne, incarnée au cinéma par Béatrice Dalle. Modeste et incrédule, pas pasionaria pour un sou, elle concède tout juste avoir «fait un truc gonflé, du jamais vu. C'était quand même pas mal».
Fille d'émigrés italiens installés à Reims, père menuisier sur les chantiers, mère représentante en mixeurs, la benjamine passe un CAP de secrétariat. Sténodactylo à 17 ans, les bals du samedi soir, les tournées dans les bars de Reims et déjà le mariage avec un ouvrier. A 20 ans, elle a un enfant. Elle s'ennuie. Il boit. Divorce. C'est par son frangin Gilles qui a «mal tourné», petits casses et mauvais coups, que Nadine a «mis le pied là-dedans, prison, avocats, parloirs, planques...» Secrétaire dans une imprimerie de chéquiers, elle habite avec sa mère à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) et se tient «tranquille» jusqu'au jour de 1980 où un pote de son frère débarque à la maison. «Ce gars-là m'en a imposé, par ce mélange de virilité et de douceur, d'assurance et de délicatesse, troublant», dit-elle. Elle tombe raide amoureuse. Gilles, alors en fuite, la met au parfum. Ce clandestin s'appelle Michel Vaujour, un braqueur recherché pour deux évasions de la prison de Châlons-sur-Marne. «Inconsciente du danger», elle part avec le fugitif. «J'ai 25 ans, on se plaît. Il veut quitter la France, mettre les bouts, sans moi.» Elle l'en dissuade, tombe enceinte, prend la gestion d'une brocante. Ils mènent «une vie de famille d'apparence normale», mais, même «en promenade, Michel ne pouvait s'empêcher de repérer des banques». Il se «barre» parfois plusieurs jours pour monter ses coups. Elle n'aime pas ce «milieu» et ce «métier», «surtout les hold-up avec des armes, je lui faisais des crises là-dessus».
En 1981, ils achètent un mas dans la Drôme et trois chevaux. Elle croit que s'il «se tient à carreau, sous sa fausse identité, rien n'arrivera». Elle essaie de «le convaincre d'arrêter». En vain. Michel Vaujour finit par tomber pour un vol à main armée. «Les flics nous embarquent tous comme des enragés, ma mère et moi, enceinte à terme, et ma fille de 7 ans qu'ils ont mise à la Ddass.» Incarcérée, Nadine accouche et garde son bébé à la nursery de Fresnes. «C'est lourd et dramatique, cet enchaînement, et plus tu te débats, plus tu t'enfonces.» Malgré tout, Nadine et Michel s'unissent à la vie, à la mort, à Fresnes le 27 mai 1982. Cadeau : le juge Hümetz libère la mariée le soir même.
Secrétaire à nouveau, Nadine reprend le chemin du parloir. Michel l'affranchit d'emblée. Pas question de croupir des années à l'ombre. «Messagère» pour monter l'évasion avec des copains, Nadine décide de devenir actrice. Peu intéressée par les engins masculins («Je sais même pas changer un pneu de voiture»), pas «forcément attirée par les avions», elle propose d'apprendre à piloter. Car elle refuse de braquer des gens pour détourner un hélico : «C'est trop moche, la prise d'otages.» En 1983, elle prend des cours à 2 000 francs de l'heure à Cergy sur un hélicoptère Alouette. Libéré, son frère commence par l'épauler mais meurt brûlé dans une attaque de convoyeurs. «Et nous voilà avec ma mère, deux femmes dans le malheur, à élever les deux garçons de mon frère et les deux miens.» Elle cauchemarde la nuit, se voit «carbonisée dans la carlingue», mais tient «promesse». L'été 1985, elle passe son brevet de pilote à Annecy à bord «d'un vieux coucou rouge coq qui a servi au tournage de Fantomas». La veille du grand jour, elle passe un message codé dans l'émission radio de taulards «Ras-les-murs» : «L'amour donne des ailes.» Elle a imposé à son mari d'utiliser des armes factices, un pistolet en plastique pour lui, et «une maquette de mitraillette» pour elle, «pour éviter le sang».
Lundi 26 mai 1986, elle enfile une combinaison kaki, loue un hélico à Saint-Cyr-l'Ecole (Yvelines), traverse le périph, survole Paris, balance dans la cour de la Santé «une canne à pêche télescopique dotée d'un crochet» puis se maintient en vol stationnaire, au-dessus du toit qu'il escalade jusqu'à elle. Elle, l'émotive, ne «tremble pas, ne panique pas». Elle arrache son homme, atterri sur la pelouse de la Cité universitaire. Sans plan de repli, avec 2 000 francs en poche. Elle a été «estomaquée» par le tam-tam médiatique fait autour de son acte audacieux : «Il devait pas y avoir d'actualité.» Et s'étonne encore de sa détermination : «Je n'aurais jamais mobilisé une énergie pareille pour un hold-up. Là, j'ai trouvé une espèce de force pour arriver à une fin heureuse, propre, sans violence. Je montrais à la fois à mes hommes engagés dans une voie sans issue et à la justice avec ses barreaux, ses menottes et ses hauts murs, qu'ils se mettent tous dedans.»
Quatre mois de cavale amoureuse dans les Vosges, en Dordogne. Nadine attend un nouvel enfant. Michel tombe lors d'un braquage sanglant à Paris, une balle dans le cerveau. Le voilà hémiplégique et enfermé. Et elle, coffrée dix-huit mois pour l'évasion. Son second enfant avec Vaujour naît en prison, comme le premier. A la sortie, elle retrouve son triste sort de femme de taulard, seule dans une HLM avec trois gosses à nourrir, huit heures de bureau, les centaines de kilomètres le week-end vers les centrales au volant de sa vieille GS qui la laisse en rade. Pour visiter Michel qui veut encore s'évader : «J'ai dit non. J'ai déjà donné. Je veux élever les enfants. A un moment, faut en sortir, mais par la grande porte.» Libérable en 2019, il l'accuse de vouloir l'enterrer vivant. Elle résiste. Il réclame de l'argent pour payer des complices. Elle publie la Fille de l'Air, garde l'à-valoir de 100 000 francs pour vivre puis achète une maison avec les 300 000 francs du film. Ainsi, «plus de liquide pour l'évasion». Il la largue. Un jour, au parloir, Nadine découvre «l'autre femme», qui, en 1993, tentera en vain de l'enlever... en hélicoptère. «Un remake», critique la pionnière, désormais vaccinée contre les hommes.
«Vue» à la télé lors de la sortie du film, Nadine Vaujour est «virée par Pasqua» de sa place de secrétaire dans un musée des Hauts-de-Seine. D'où sa discrétion actuelle. Pendant dix ans, elle «tape les textes» de l'écrivain Yann Queffélec. Elle reprend des études, obtient l'équivalence du bac, une licence d'arts plastiques. Elle passe les concours de la fonction publique pour devenir secrétaire administrative. Elle «montre un exemple de vie plus droite» à ses enfants, la trouille au ventre qu'ils ne «deviennent délinquants». «Ce fut une lente remontée de la pente, c'est plus long qu'à la dégringoler.» Elle redescend bien bas, à l'automne 2005, lors de la parution intempestive du livre de Michel Vaujour. Elle ne supporte pas «qu'il se montre à la télé sans prévenir, sans se présenter avant à ses gosses, auxquels il n'envoyait même pas un petit mot aux anniversaires ou à Noël». Pas revancharde mais meurtrie. Toujours fleur bleue, l'antihéroïne «offre», vingt ans après, son envolée dans «ce carré de ciel bleu sous le soleil de mai, à tous les amoureux, car ça, c'était beau».
Nadine Vaujour en 9 dates
25 mai 1954 : Naissance.
1980 : Rencontre Michel Vaujour, braqueur en cavale.
Septembre 1981 : Arrestation, prison et naissance de leur fille.
27 mai 1982 : Mariage avec Vaujour en prison.
26 mai 1986 : Pilote l'hélicoptère pour l'évasion de son mari.
1989 : Parution de la Fille de l'air (Michel Lafon).
1992 : Sortie du film du même nom.
1999 : Secrétaire à Paris.
2001 : Licence d'arts plastiques.