Ensuite, tout était allé très vite. Le lundi suivant, ils se retrouvèrent Chloé, Armand, Benoît et le grand homme dans le bureau de Me Dieulefit, notaire, dont l’étude, avenue de Breteuil, fleurait bon l’encaustique et la respectabilité de cet arrondissement aux fortunes discrètes. L’homme affichait tous les attributs de sa charge : costume sombre bien coupé, petites lunettes cerclées d’or, chemise sur mesure immaculée, boutons de manchettes en nacre, cravate sans fantaisie, richelieu impeccables, mais sa coupe de cheveux romantique, son sourire discret et l’acuité de son regard bleu égayaient son austérité de façade. Le père de Marie détonnait quelque peu par rapport à sa clientèle traditionnelle. Le clerc, un éphèbe blond, moulé dans un pantalon de flanelle se tortillait sur sa chaise et risquait, à chaque fois que son patron cessait de le solliciter, des œillades enamourées en direction du vieux fripon qui, de plaisir, se rengorgeait. Le speech introductif de maître Dieulefit, allusif et flou, ne les éclairait guère sur les raisons de notre présence en ce lieu.
Dans ce haut lieu de la transmission du patrimoine, le terme même de patrimoine, cette accumulation de biens, les terres, les immeubles, les meubles, les bijoux, les actions, les bons du Trésor ou de l'emprunt Pinay – qui prolongeait de quelques jours la vie légale de certains morts insoucieux de leur succession, qui se transmettait de génération en génération, socle dur et invisible de toutes les inégalités – ne faisait pas partie du patrimoine culturel de Benoît. Avoir du bien, comme le disait sa mémé Marie, outre que ce fut la source de beaucoup les discordes familiales, n’avait jamais préoccupé ses parents, c’était leur côté ni ne sèment ni ne moissonnent qui l’avait façonné. L’instinct de propriété lui était étranger. Comme eux il était très oiseau du ciel. Hériter lui semblait, comme au sémillant JJSS, une incongruité. Le clerc entama la lecture de l’acte en minaudant. Langage abscond, formules alambiquées qui leur passaient au-dessus de la tête. Armand imperturbable faisait semblant de s’y intéresser, Chloé, elle, souriait. De toute évidence, bien plus fine mouche que Benoît, elle comprenait que le père de Marie voulait le lier solidement à Marie en faisant de lui le bénéficiaire de ce qui aurait été son héritage. La monstruosité des sommes annoncées laissait Benoît de marbre. À chaque interrogation de Me Dieulefit il répondait par l’affirmative. À son corps défendant il se retrouvait à la tête d’une petite fortune. Pour l’heure, il se contentait d’apposer sa signature et ses initiales au bas de liasses de documents qui semblaient prêt pour l'éternité des notaires.