Le journal Sud-Ouest du vendredi 9 mars, publie l’hommage de Jean-Paul Kauffmann à l’emblématique chef du Saint-James, Jean-Marie Amat, décédé lundi à l’âge de 72 ans.
« Le journaliste et écrivain Jean-Paul Kauffmann, avait connu le chef Jean-Marie Amat au tout début des années quatre-vingt. Jean-Paul Kauffmann, qui venait de créer la revue « L’Amateur de Bordeaux », était également un fin gastronome. C’est ainsi que débuta une amitié qui déborda du cadre du restaurant pour continuer le long des chemins que ces marcheurs découvraient ensemble.
« Je me souviens un soir de novembre dans les Landes. Il nous avait préparé un lièvre à la royale. Cette façon qu’il avait eue de chambouler cette recette, gloire écrasante de la gastronomie française ! Un retournement magistral, un de ces bonds acrobatiques à la Amat. Pourtant tout y était : le foie gras, le sang, les abats, la sauce d’un noir d’enfer. Tout y était, mais réévalué, transmuté, extrapolé par lui. Un lièvre délesté des impedimenta de la tradition, subtil, presque aérien. Furieusement royal pourtant : fastueux même, opulent, sauvage. »
L’hommage de Jean-Paul Kauffmann à Jean-Marie Amat, « Un seigneur nous a quittés »
Gironde : dernier hommage au chef étoilé Jean-Marie Amat
09 décembre 2012
LIÈVRE À LA ROYALE, VOUS AIMEZ CELA ?! ATTENTION, ÇA VA CANARDER…
Carême ou Couteaux, à quelle sauce manger le lièvre à la royale ?
« C’est l’un des plus beaux plats de la gastronomie française. Une sorte d’hallali magnifique joué dans les méandres sombres d’une sauce légendaire. Petite question, faut-il exécuter la bestiole façon Couteaux ou façon Carême ?
PLAT CULTE.
Lorsqu’on n’est pas averti, le lièvre à la royale, c’est quelque chose. Lorsqu’elle arrive au restaurant, l’assiette est comme un linceul fumant. Il y a là un lièvre qui gît dans une flaque chocolatée. Le lièvre à la royale ? On imagine un trône, un sceptre, des laquais, des joueurs de clavecin. On glisse alors la cuillère dans le vif du sujet. C’est comme se lover sous une tente. Il y fait chaud. On distingue des ombres, des formes. »
François Simon
Lièvre à royale, selon Carême ou « Jacquillou »?
La guerre picrocholine entre partisans du lièvre à la royale façon Antonin Carême et tenants de la recette du Sénateur Couteaux laisse le chef de Lasserre impavide.
Pour les 70 ans du restaurant Lasserre, son chef, Christophe Moret et Claire Heitzler, chef pâtissière, ont créé un menu anniversaire, proposé depuis le 13 novembre, dont le plat emblématique est un lièvre de Picardie, le filet juste pané poivre/genièvre, la panoufle à la Périgourdine. Soit une variation sur la recette du lièvre à la royale dite d’Antonin Carême (1784 – 1833), encore qu’une telle façon figure en 1775, dans Les soupers de cour du cuisinier Menon.
La réussite de ce plat tient à l’élégance de la sauce issue de la marinade. Reconnaissons que cette élégance est rarement atteinte – hélas ! – par les nombreux chefs qui s’obligent à cet exercice de haute voltige culinaire. Mais chez Lasserre, ce jeudi 6 décembre 2012, stupeur, la sauce est abondante et colorée, mais fluide ! L’œil est intrigué, aussitôt le palais rectifie : les saveurs complexes sont respectées, l’onctuosité n’altère en rien la légèreté. S’impose, seule, la gourmandise ! Le chef s’explique : « Oui, j’utilise la marinade ; la consistance tient à la présence discrète du foie gras, employé avec parcimonie ; la liaison finale est obtenue avec le sang. » En cela, Christophe Moret est un grand chef classique pour qui les sauces distinguent la cuisine française de toutes les autres.
Mais comment expliquer alors, la touche délicate de ce lièvre et la finesse de sa sauce, ailleurs souvent indigeste?
« Le lièvre vient d’une chasse de Picardie avec laquelle je travaille exclusivement, dit le chef. La légèreté de la sauce ? C’est l’emploi parcimonieux des ingrédients et des réductions et l’ajout, au moment de servir, d’un trait de vinaigre de Xérès. » Voilà le détail qui change tout !
Relevons, outre la modestie du propos, le qualificatif de « à la Périgourdine » pour qualifier la panoufle. Le chef ne revendique pas la façon « royale » de Carême, ni celle, bien entendu, remise à la mode par Joël Robuchon, du Sénateur Couteaux. En cela, il se range à l’avis d’Escoffier qui s’est toujours tenu, en bon républicain, derrière la tradition périgourdine. La querelle qui faillit bien tourner au vinaigre, dure depuis plus de cent ans. Paradoxe, c’est avec le vinaigre de xérès que Christophe Moret clôt – provisoirement – le débat.
En cette fin de siècle – ouvert avec Carême, qui s’achevait avec Escoffier – une polémique culinaire agita le milieu après qu’Aristide Couteaux, sénateur de la Vienne (1835 – 1906) eut publié, en 1898 dans sa chronique du journal Le Temps, une recette de lièvre à la royale qu’il disait tenir de ses parents poitevins. « Il l’exécuta lui-même chez Spuller, rue de Richelieu, après avoir emprunté une daubière chez un restaurateur voisin, la Taverne de Londres, et on raconte que le quartier tout entier de l’Opéra-Comique fut mis en émoi par le fumet de ce plat fameux, précisent Jean Vitaux et Benoît France dans le Dictionnaire du Gastronome (PUF. 2008).
La recette du sénateur Couteaux, homme de gauche proche de Gambetta, de Jules Ferry et ami d’Eugène Spuller, suscita les ricanements de ceux pour qui seule la recette de Carême, inspirée de la tradition périgourdine, méritait le qualificatif de « royale. » Selon ce dernier, en effet, le lièvre entièrement désossé et reconstitué autour d’une farce de foie gras et de truffes, devait être accompagné d’une sauce à base de réduction de gibier et d’un vin rouge puissant, soigneusement lissée avec un peu de foie gras avant d’être liée au sang.
C’est la recette qu’Alain Senderens poussait à la perfection au Lucas-Carton et qu’il réalise encore de temps à autre dans son établissement, place de la Madeleine.
La recette poitevine, au contraire, relevait d’une façon paysanne, dans laquelle le gibier, cuisiné avec force échalotes et gousses d’ail, était dilacéré et mêlé d’une purée de foie gras afin d’être dégusté « à la cuillère. ». Ali Bab (alias Henri Babinski) estimait en 1907 que lièvre royal de Carême « laisse loin derrière lui les préparations sans finesse dites « à la royale », tombant en purée, dans lesquelles il est fait une véritable débauche d’échalotes, d’oignons et d’ail. » Escoffier s’était bien gardé, dans son Guide culinaire (1903) de trancher la querelle, ignorant la recette du sénateur Couteaux, ne retenant que celle du lièvre farci à la périgourdine. Plus tard, en 1938, Prosper Montagné ira même jusqu’à qualifier de « pseudo gastronomes » ceux qui faisaient grand cas de ce qui n’était à ses yeux qu’une « médiocre capilotade de lièvre.»
Aristide Couteaux fut assurément meilleur sénateur que cuisinier puisque au Sénat, le Président Antoine Dubost, prononçant son éloge funèbre à la séance du 29 juin 1906, déclara : « Ecrivain original et pittoresque, dit-il, plein d’humour, longtemps connu sous le pseudonyme de « Jacquillou », il a exercé une influence heureuse et souvent décisive, sur l’âme populaire », et, reconnaissons-le, sur l’art de préparer le lièvre !
Jean – Claude Ribaut
Le lièvre à la royale du sénateur Couteaux
Un lièvre, du courage et beaucoup d'humour ...
Mode d'emploi :
Se procurer un lièvre mâle, à poils roux, de fine race française (caractérisée par la légèreté et la nerveuse élégance de la tête et des membres), tué autant que possible en pays de montagne ou de brandes, pesant de cinq à six livres, c'est à dire ayant passé l'âge du levraut, mais cependant encore adolescent. Caractère particulier pour le choix : tué assez proprement pour n'avoir pas perdu une goutte de sang.
Condiments gras : 3 ou 4 cuillerées de graisse d'oie ; 125 grammes de bardes de lard ; 125 grammes de lard ordinaire.
Autres condiments et légumes : 1 carotte de taille ordinaire ; 4 oignons de grosseur moyenne, tenant le milieu entre un oeuf de poule et un oeuf de pigeon ; 30 gousses d'ail ; 60 gousses d'échalote ; 4 clous de girofle ; 1 feuille de laurier ; 1 brindille de thym ; quelques feuilles de persil ; sel ; poivre.
Liquides : 1/4 de litre de bon vinaigre de vin rouge ; 2 bouteille de vin Chambertin, ayant 5 ans de bouteille ou plus.
Matériel : 1 daubière de forme oblongue en cuivre bien étamé, hauteur 20 centimètres, longueur 35 centimètres, largeur 20 centimètres, avec couvercle fermant hermétiquement ; petit saladier pour tenir en réserve le sang du lièvre, et ensuite pour l'y fouetter au moment de l'incorporer à la sauce ; hachoir ; grand plat creux ; passoire ; petit pilon en buis.
Méthode : Dépouiller et vider le lièvre. Mettre à part le coeur, le foie et les poumons. Réserver aussi, à part et avec grand soin, le sang (facultativement : on peut y ajouter, d'après la tradition, deux ou trois petits verres de vieux et fin cognac des Charentes). Préparer : 1 carotte de taille ordinaire, coupée en quatre ; 4 oignons de moyenne grosseur, dans chacun desquels est piqué un clou de girofle ; 20 gousses d'ail ; 40 gousses d'échalotes ; 1 bouquet garni, composé d'une demi-feuille de laurier fraîche, une brindille de thym, quelques feuilles de persil.
Première opération (durée : de 13 heures 30 à 17 heures)
À 13 heures 30. -Enduire de bonne graisse d'oie le fond et les parois de la daubière ; puis, au fond de la daubière, étendre un lit de bardes de lard. Couper l'avant-train du lièvre au ras des épaules ; supprimer ainsi le cou et la tête et il ne reste que le râble très allongé et les pattes. Placer alors, sur le lit de bardes, l'animal dans toute sa longueur et couché sur le dos. Le recouvrir ensuite de nouvelles bardes de lard. Toutes les bardes sont employées. Ajouter alors : la carottes en quatre morceaux ; les 4 oignons au girofle ; les 20 gousses d'ail ; les 40 gousses d'échalote ; le bouquet garni. Verser sur le lièvre un quart de litre de bon vinaigre de vin rouge, une bouteille et demi de bon vin de Bourgogne, ayant 4 à 5 ans de bouteille. Assaisonner de sel et de poivre, en quantité suffisante.
À 14 heures. -La daubière étant ainsi garnie, la recouvrir de son couvercle et la mettre sur le feu. Régler le feu, de façon que le lièvre cuise pendant trois heures à un feu doux et régulier, continu. Deuxième opération (à faire pendant la première cuisson du lièvre). Hacher d'abord très menu, et en prenant successivement chacun des quatre articles suivant, en hachant chacun à part : 125 grammes de lard ; le coeur, le foie et les poumons du lièvre ; 10 gousses d'ail ; 20 gousses d'échalote. Le hachis de l'ail et celui de l'échalote doivent être extrêmement fins. C'est une des conditions premières de la réussite de ce plat. Le lard, les viscères du lièvre, l'ail et l'échalote ayant été ainsi hachés très menu et séparément, réunir le tout dans un hachis général de façon à obtenir un mélange absolument parfait.
Réserver ce hachis.
Troisième opération (durée : de 17 heures à 19 heures 45).
À 17 heures. -Retirer du feu la daubière. Enlever délicatement le lièvre ; le déposer sur un plat. Là, le débarrasser de tous les débris des bardes, carottes, oignons, ails, échalotes, qui pourraient le souiller ; remettre ces débris dans la daubière.
Coulis. -Prendre maintenant un grand plat creux et une passoire. Vider alors le contenu de la daubière dans la passoire placée au-dessus du grand plat ; avec un petit pilon de bois, piler tout ce qui a été versé dans la passoire, de façon à extraire tout le suc, lequel constitue un coulis dans le grand plat.
Mélange du coulis et du hachis. -Voici le moment d'employer le hachis qui a fait l'objet de la deuxième opération. Mêler ce hachis au coulis. Faire chauffer une demi-bouteille de vin de la même origine que celui dans lequel a déjà cuit le lièvre. Verser ce vin chaud dans le mélange de coulis et de hachis, et délayer bien le tout.
À 17 heures 30. -Remettre dans la daubière le mélange ainsi délayé du coulis et du hachis et le lièvre, avec tous les os des cuisses et autres qui auraient pu se détacher pendant l'opération. Replacer la daubière sur le fourneau, avec feu doux et continu dessous et dessus, pour une seconde cuisson d'une heure et demie.
À 19 heures. -Etant donné que l'excès de graisse, provenant de l'abondance (nécessaire) de lard, empêche de juger de l'état d'avancement de la sauce, procéder à présent à un premier dégraissage. L'oeuvre ne sera, en effet, achevée que lorsque la sauce sera suffisamment liée pour offrir une consistance approchant de celle d'une purée de pommes de terre ; pas tout à fait cependant, attendu que, si on la voulait trop consistante, on finirait par tellement la réduire qu'il n'en resterait plus suffisamment pour humecter la chair (naturellement très sèche) du lièvre. Le lièvre dégraissé pourra donc continuer à cuire ainsi, toujours à feu très doux, jusqu'au moment où sera ajouté le sang réservé avec le plus grand soin, comme il a été dit plus haut.
Quatrième opération (un quart d'heure avant de servir).
À 19 heures 45. -La liaison de la sauce étant en bonne voie, une quatrième et dernière opération la mettra définitivement et très rapidement au point.
Addition du sang du lièvre. -En ajoutant maintenant le sang, non seulement la liaison de la sauce est activée, mais encore elle acquiert une belle coloration brune, d'autant plus appétissante qu'elle sera plus foncée. Cette addition du sang ne doit pas se faire plus d'un quart d'heure avant de servir ; en outre, elle doit être précédée d'un second dégraissage.
Donc dégraisser d'abord convenablement ; après quoi, sans perdre une minute, il faut s'occuper du sang du lièvre.
1° Fouetter avec une fourchette le sang, de manière que, si quelques parties sont caillées, elles deviennent de nouveau tout à fait liquides. (Nota : le cognac facultatif, qui a été indiqué au début de la recette, contribue à empêcher le sang de cailler.)
2° Verser le sang sur la sauce, en ayant soin d'imprimer à la daubière, de bas en haut et de droite à gauche, un mouvement de va-et-vient qui le fera pénétrer uniformément dans tous les coins et recoins du récipient. Goûter alors ; ajouter sel et poivre, s'il y a lieu. Peu après (un quart d'heure au maximum), préparer à servir.
Dispositions pour servir.
À 20 heures. -Sortir de la daubière le lièvre dont la forme se trouve forcément plus ou moins altérée. Dans tous les cas, placer, au milieu du plat de service, tout ce qui est encore à l'état de chair - les os complétement dénudés, désormais inutiles, étant jetés - et alors, finalement, autour de cette chair de lièvre en compote, mettre pour toute garniture l'admirable sauce si attentivement confectionnée.
On n'a pas besoin de le dire, pour servir ce lièvre, l'emploi du couteau serait un sacrilège, et la cuiller y suffit amplement.
La boisson :
Si vous avez réussi cette recette, et dans les temps impartis, vous êtes assez grand pour trouver un vin tout seul, démerdez-vous !
Le truc :
Appeler le Samu vers 20 heures 30 (faites le 15).