À la GP, comme l’initiative des actions relevait de la soi-disant volonté des larges masses, la réflexion d’un héros de Kafka « je suis mandaté, mais je ne sais pas par qui ! » s’appliquait sans aucune limite. La hiérarchie, très laconiquement avait prévenu, le plus difficile ne serait pas de s’infiltrer mais d’influer sur les décisions car la bureaucratie du premier cercle veillait sur Pierre Victor, comme des ouvrières obnubilées sur la Reine de la ruche. Dans une configuration normale le rôle d'infiltré aurait du tendre à manipuler les dirigeants, à les pousser à la faute pour que l’opinion publique ait peur, qu’elle se réfugie sous le manteau protecteur du pouvoir en place. Raminagrobis de Montboudif voyait d'un très mauvais œil la montée de l'Union de la Gauche. Il ne voulait pas laisser le monopole de l'ordre au PC saoulé de coups par les gauchistes à qui les socialistes jouaient une danse du ventre effrénée. Ici, la tactique était inverse, nul besoin de manipuler les maos, il suffisait selon les chefs de la Grande Maison de leur laisser la bride sur le cou. Facile à dire : conduire un attelage de cette nature, en lui laissant la bride sur le cou, relevait du grand n’importe quoi. Et c’était du grand n’importe quoi. Benoît et Armand allaient le vérifier dans les heures qui suivirent. À leur grande surprise ils voyaient débarquer d’un bloc l’état-major de la branche armée, avec ce je ne sais quoi de morgue propre à ceux qui dressent des plans en chambre, qui envoient la piétaille se faire massacrer, qui sont prêt à tout sacrifier, sauf eux, à la cause. Dans la clandestinité, la vraie, celle où sa vie en jeu, on cloisonne, on se fait discret, on évite de se réunir en des lieux connus et surveillés par la police, alors que ces petits messieurs au verbe haut plastronnaient. Aux côtés d’Olivier, le Gamelin de la GP, se tenait, hilare face à leur étonnement non feint, l’inénarrable Gustave, plus Gustave que jamais.
Les présentations relevèrent du grand guignol. Gustave déjà fortement chargé, se plantait face à eux, rotait tout en grattant, de sa main gauche, ses burnes dans le tréfonds de son calbar, empoignait de son autre main velue et sale le bras du général en chef, qui semblait apprécier au plus haut point cette familiarité, et avec toute la vulgarité dont Armand le savait capable il lançait à la cantonade : « Ce gars-là, y’a pas mieux en magasin les têtes d’œufs ! L’a pas fait vos grandes écoles à la con et jamais pété dans la soie, lui, mais sous sa tronche de grand costaud qui peut se tringler les plus putes de vos putes de sœurs quand y veut ou il veut, y’a du répondant. Ça turbine sec les méninges. Pas votre bouillie pour chiots les phraseurs, du chiadé… » Gustave laissant ses glaouis en paix, en un geste circulaire et théâtral, pointait son index en direction des officiers subalternes et autres porte-serviettes : « Mon petit poteau à moi, qu’en a autant que vous là-haut, lui y sait se servir de ses dix doigts. Pas manchot ou mains blanches, le meilleur artificier que je connaisse. Pas un fabriquant comme vous de petites merdes qui pètent très fort, non, des trucs pour tuer. Des bouts d’os, de la bidoche et du sang sur les murs qui sont le meilleur lieu pour la racaille du patronat et les lopes politiciens. Avec lui on ne va pas se faire chier. Je propose qu’on l’appelle : Maroilles car putain de Dieu y’a pas meilleur qu’un bout de Maroilles trempé dans ton café au lait. Ça vous ne pouvez pas le comprendre vous qu’avez tout juste sucé que les tétons de votre mère… » Ponctuant ses fortes paroles bues par une assistance recueillie Gustave pétait à se déchirer la rondelle. La messe était dite. Armand en était et il ne restait plus qu’à suivre la troupe drivée par l’improbable couple Gustave-Gamelin. Comme Benoît était sous la protection d’Armand nul ne s’inquiéta de sa présence dans le saint des saints de la GP.