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11 mars 2018 7 11 /03 /mars /2018 06:25
La résistible ascension de Benoît H La face plate de la rame Sprague déboucha du tunnel Le chef de train, un long vouté, dominait la masse, et sa tronche renfrognée sous sa casquette ridicule ressemblait à un bouchon balloté par la houle. (40)

Quand Benoît s’est enfournés dans la bouche du métro, la glue poisseuse des mal-éveillés giclant de toute part l’a dégluti, absorbé, digéré. Des fourmis aveugles, programmées, progressaient en files denses, se croisaient sans se voir. Portés par elles, dissous puis coagulés, étrons parmi les étrons, il prenait place dans le troupeau. Ce grouillement souterrain, malodorant, informe, chaîne de résignés, de regards vides, bizarrement le rassurait. La quête têtue et empressée du bétail à se fondre, à n'être qu'anonyme, correspondait bien à ses aspirations du moment. La face plate de la rame Sprague déboucha du tunnel et, comme Benoît était en tête de ligne, elle s'immobilisa, dans un crissement aigu de freins, à sa hauteur. La rame dégueulait ses encagés sous les regards impatients de ceux qui allaient les remplacer. Le chef de train, un long vouté, dominait la masse, et sa tronche renfrognée sous sa casquette ridicule ressemblait à un bouchon balloté par la houle.

 

Leur périple sous terre, tels des lombrics entrelacés, teintait d'un plaisir malsain son blues matinal. Ici, dans cette ville grouillante, indifférente, se fondre dans son magma serait un jeu d'enfant. Sa nouvelle vie de merde se présentait sous les meilleurs auspices. Pour la première fois depuis longtemps il esquissa un sourire. Benoît allait rejoindre son vieux pote Armand Boutolleau dans un café de la Place de Clichy où il avait trouvé une place de garçon. La rame s'immobilisait à la station Assemblée Nationale, son wagon se délestait d'un fort contingent de costumes gris et de jupes tristes. Benoît se familiarisait avec l’entrelacement des lignes, les correspondances, les stations terminus. Là, pour  aller place Clichy, il empruntait la ligne 12, celle qui dessert l'Assemblée Nationale, jusqu'à Saint-Lazare pour rattraper la ligne 13. Bien plus tard, en tripotant un plan de métro, il s’aperçu que la ligne 14 avait disparu. Ça lui avait fait tout drôle. Un collègue dont le frère marnait à la Régie a éclaira sa lanterne. Les blaireaux avaient creusé un tunnel sous la Seine pour relier Invalides à Concorde et connecter la 13 à la 14, et la ligne 14 a disparue. Elle a ressuscité avec dans les profondeurs d'Eole, la ligne automatique. Benoît la prenait souvent depuis la bouche de la place du Havre qui l'impressionnait, ces messieurs les ingénieurs, dans la démesure du chantier, avaient retrouvé la veine du film Brazil avec l'entrelacs des escalators, la plongée des escaliers larges comme des boulevards, la froideur des dallages minéraux, la démesure des rotondes gigantesques et l'infini du quai où s'étiraient les deux longs serpents de verre gainé d'acier.

 

Benoît, dans la ville capitale, repensait à son bocage crotté, aux Boux de Casson et autres notables élus par le petit peuple qui, dans leurs discours de comices agricoles, se pourléchaient, auprès de leurs électeurs goguenards, paysans madrés, maquignons vicieux, bigotes au bras de leurs époux, journaliers endimanchés, raillaient les gens de la ville, si éloignés de la terre nourricière, celle qui ne ment pas. Dans leur péroraison, au moment où il leur fallait marquer les esprits, mettre les rieurs de leur côté, mains sur les hanches, ils prenaient leur auditoire à témoin, l'air entendu de celui à qui on ne la fait pas : « Moi, mes chers amis, je ne suis pas comme ces beaux messieurs les scribouilleurs de feuilles de choux parisiennes qui nous donnent des leçons, nous traînent dans la boue, je ne crains pas, comme vous de me mettre les mains dans le cambouis, pour vous aider... » L'image leur parlait, elle tenait de l'évidence, se salir les mains pour ses électeurs quoi de plus respectable ! Les prébendes sont le juste prix du scrutin d'arrondissement.

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