David Hockney, "Hollywood Hills House", 1980, Collection Walker Art Center, Minneapolis. Gift of Penny and Mike Winton, 1983 © David Hockney
L’appartement d’Ossie, au dernier étage d’un superbe immeuble, immense, lumineux, adossé à une terrasse-jardin embrouillamini de plantes et d’arbres exubérants, donnait le sentiment, avec ses canapés en tous sens, d’être une suite de vastes salles d’attente d’un aéroport futuriste. Peu ou pas de meubles, pas de tables ni de chaises, mais des toiles aux murs, des toiles des plus grands : de Kooning, David Hockney, Jackson Pollock, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Jasper Johns… Ossie trimballait sa grande carcasse, très pulpeuse pour une anglaise, dans un sari immaculé. Ses cheveux longs, très noirs, ramenés en une longue tresse qui lui battait le bas du dos, un maquillage très élaboré, lui donnait un air de danseuse d’un temple dédié à la déesse Jivah. Des bougies et des lampes à huile posées à même le plancher ou sur les plateaux des cheminées, ainsi que des brûleurs d’huiles essentielles, et la musique Rabi Shankar en boucle, achevaient de les dépayser.
Chloé, après la tension de la conduite de la Norton, se laissait aller en s’avachissant sur un canapé demi-circulaire pour s’offrir quelques lignes. Ossie, elle, affichait une sérénité souriante qui la rendait disponible, elle conduisit Benoît dans la salle de bain, une vaste pièce circulaire dont le centre était occupé par une grande vasque de marbre emplit d’une eau qui exhalait des vapeurs parfumées au bois de santal, et le défit de bas en haut avec beaucoup de délicatesse ce qui lui évita d’afficher une érection. Avec toujours la même grâce elle libérait son corps du sari. La vue de sa nudité charnue précipitait cette fois-ci Benoît dans une vive bandaison. Bêtement il posait ses mains jointes sur son sexe dressé. Ossie les écartait doucement et, d’une main douce et ferme, elle apaisait ses élancements sans pour autant l’amener à la libération. Ils n’avaient échangé aucune parole, étrangement, une fois qu’ils furent plongés dans la vasque émolliente, alors que leurs corps étaient quasi enchâssés, Benoît ne ressentait plus l’envie d’aller plus avant. Son corps relâché se laissait aller aux caresses d’Ossie et, la seule envie qui l’envahissait était celle de dormir.
Benoît appelait Armand, il voulait lui apprendre que son contrat avec la maison poulaga avait subi une évolution favorable. Le téléphone sonnait dans le vide, Armand devait avoir regagné sa chaîne chez Citroën. Il ne pouvait s’empêcher de penser aux jeunes crétins qui ce soir allaient faire leur premier séjour dans les geôles de Marcellin, alors que lui, lové dans un peignoir de bain floqué aux armes du Savoy de Londres, pomponné, huilé, suivait pas à pas Chloé dans sa quête de fringues pour leur sortie du soir ; une réception dans un hôtel particulier du VIIe, soit le comble, la quintessence de la vanité et de la vacuité de cette haute-bourgeoisie friquée et honnie qu’ils étaient censé combattre. Ils avaient une belle excuse, qu’ils ne revendiquaient même pas d’ailleurs, leur hôte, le totalement foutraque, Jean Edern Hallier, était estampillé compagnon de route de la GP.
La pièce où ils se trouvaient, sans fenêtre, éclairée par des néons pendus à des filins d’acier, tenait de la caverne d’Ali Baba, au centre, des enfilades de vêtements pendus à des cintres, sur tout un pan de mur des boites à chaussures empilées, en vis-à-vis sur des guéridons, en des corbeilles d’osier, des colliers, des boucles d’oreilles, des ceintures, des bas, des porte-jarretelles, des slips et des soutien-gorge, des guêpières, des chapeaux, des foulards, des boas et tout un attirail sado-maso, enfin sur une longue planche posée sur deux tréteaux un déluge de fards, crèmes, parfums et autres ingrédients de maquillage dont raffolent les filles. Chloé voletait, oisillon paumé en mal de protection, ses grands yeux quêtaient ceux de Benoît, ses mains parfois tremblaient, hésitaient, son grand corps, comme s’il était face à un obstacle imprévu, se cabrait.