Au cours de la traversée ils découvrirent, blotti dans un rond de cordages, un Achille un peu penaud. Comment s'était-il faufilé sur le bateau sans éveiller l'attention de l'équipage, lui seul le savait ? Très, le chien d'Alexandre le Bienheureux, il se la jouait regard implorant et queue qui frétille. Marie ne cédait pas au chantage de l’astucieux bâtard, à l'arrivée elle le confiait à Antoine Turbé, le charcutier de Port-Joinville, qui rapatriait ses carcasses de cochons dans sa fourgonnette frigorifique. À Fromentine, Lucien Button, le menuisier qui rafistolait les meubles de la brocante, les attendait. C'est lui qui, à la demande expresse de Jean, faisait office de chauffeur. Benoît avait eu beau protester, Jean n'avait rien voulu savoir. Benoît comprit pourquoi lorsque ce tordu, juste avant le départ lui avait marmonné pipe éteinte au bec « Tu me diras au retour ce que tu penses de Button. Ce n’est pas une lumière mais il est sérieux. Tu comprends, ça me ferait un bon associé ». Benoît avait balancé de lui répondre « Vieux salaud de gauchiste, quand tu veux, tu sais où sont tes intérêts... » mais il s'était contenté d'un «Tu peux compter sur moi » très professionnel.
En traversant le bourg de St Julien-des-Landes un détail d'intendance s'installait dans la petite tête de Benoît : « Maman allait-elle leur proposer de faire chambre à part ? » Interrogation qui peut paraître saugrenue aujourd'hui, mais qui, en août 1968, aux confins du bocage vendéen, sentait le péché de chair. Pendant ce temps là le brave Lucien Button s'échinait à entretenir la conversation avec Marie sur des sujets aussi importants que le nombre de voitures d'estivants qui passaient devant chez lui depuis que son voisin avait ouvert un camping dans son pré ou le prix de l'essence qui avait augmenté à cause des évènements.
La maisonnée les attendait en faisant comme si de rien n'était. Sa mère cousait. La mémé Marie égrenait son rosaire pendant que la tante Valentine lisait Le Pèlerin sans lunettes. Son père, avec le cousin Neau et son frère, s'affairaient autour de la moissonneuse-batteuse. Sa soeur n'était pas là, bien sûr, puisqu'elle s'était mariée en 65. Entre la voiture de Button et la maison Benoît avait affranchi Marie de son interrogation. Très pince sans rire elle lui répondait du tac au tac « Tu sais je n'ai pas l'intention de partager ton lit cette nuit. Je ne suis pas une Marie couches-toi là mon petit Benoît en sucre… » Le dit Benoît, ne sachant si c’était du lard ou du cochon, se tut. Marie le rassura « Ne t'inquiètes pas nous ferons comme ta maman voudra... » Au premier coup d'œil, Benoît sut que la partie était gagnée. Marie était digne de son fils chéri. Son père, l'oeil coquin, fut le premier à l'embrasser. Dans son coin, la mémé Marie, devait en direct adresser, à la Vierge du même nom, un Je vous Salue Marie de satisfaction. Même la tante Valentine, d'ordinaire avare de compliments, dodelinait de la tête pour marquer son assentiment.