Marie avait dû différer son départ pour Yeu afin de régler son dossier universitaire. Elle ignorait que Benoît s'y trouvait déjà. Au téléphone il lui racontait des bobards, officiellement il faisait la moisson avec mon père ce qui expliquait qu’elle ne pouvait la joindre que tard dans la soirée. Il piaffait d'impatience alors pour se calmer, sous la lune, il allait en compagnie d'Achille, se jucher sur l'une des tours du vieux château, face à l'océan pour échafauder le scénario de ce que serait leur première journée ensemble sur l'île. Benoît avait prévenu Jean, ce vieux gauchiste avait ronchonné, sans doute un peu jaloux de cette future rivale. Les journées étaient bien remplies, l'affaire tournait bien. Le plan de rigueur, suite à l'incident des enchères, portait ses fruits. Ils allaient pouvoir de nouveau claquer un peu de fraîche. Benoît se découvrait expert dans le maquillage de comptes, il ne savait pas encore que ça lui servirait dans une autre vie, plus glauque. Ce qu’il préférait dans son turbin c'était chiner et livrer. La chine c'est l'art d'enfumer le gogo, de lui faire accroire que certaines de ses petites merdes ont de la valeur, de bien les payer, pour mieux le rouler dans la farine en y incluant la seule pièce de valeur. Jean, à qui on avait toujours envie de donner deux balles pour qu'il se fringue en un peu mieux qu'une cloche, était un maître. Benoît de délectait de ses manœuvres sournoises, surtout chez les vieilles peaux permanentées.
Pour les livraisons ce qui le fascinait c'était les intérieurs de leurs client, Benoît découvrait, chez ces gens-là, l'extrême élégance du beau niché derrière les modestes façades chaulées des petites maisons îliennes. Loin de l'ostentation des villas de la Baule, cette gentry de gens fortunés, cultivait le simple et le bon goût. Jean excellait là aussi. Ils des heures à converser avec eux, autour d'un verre de Muscadet ou de Gros Plant. Jean était des leurs. Lui à chaque visite, n'arrivait pas à sonder la profondeur du fossé culturel qui les séparait. C'était affreux, Benoît se découvrait ignare. Déjà, avec le père de Marie, face à ses toiles, en l'écoutant, il s’était senti tout nu, mal équarri, un fils de paysan. En d'autre temps, c'est-à-dire avant l'irruption de Marie dans sa vie, il se serait rué sur des livres. Goinfré. Gavé comme un canard gras pour étaler sa culture toute fraîche. Là, à sa grande stupéfaction, il se contentait d’écouter, de s'imprégner. Après le dîner, en sirotant des bières, Jean, avec force de digressions, ajoutait des couches aux strates du jour. Parfois, au téléphone, avec Marie, Benoît devait réfréner mon envie de lui parler de ses découvertes.
Quelques avant le 14 juillet, enfin, Marie lui annonça qu'elle partait pour l'Ile d'Yeu. « Viens me rejoindre pour le week-end du 14 lui disait-elle... »
- S'il fait beau ma belle ça va être dur. La moisson n'attend pas...
- Moi je t'attends. Tu me manques...
- Alors j'y serai.
L'ambiguïté de sa réponse lui plut. Marie était aux anges. Benoît ajouta une touche de mystère «c'est dit nous y serons...
- Tu ne viens pas seul ?
- Surprise ma belle...
- Une vraie ?
- Une énorme !
- Une bonne ?
- Tu verras petite curieuse...
- Un petit indice pour te faire pardonner...
- Me faire pardonner quoi ?
- Ton absence...
- Alors pas de problème petit cœur ma surprise est à la hauteur de ton pardon.
- Dis-moi ?
- Je t'aime ! Pense aux femmes de marins...