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8 février 2018 4 08 /02 /février /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H. « Hier, ils réclamaient des maîtres ; maintenant, ils leurs faut des maîtresses… » (10)

Benoît vivait de peu, arrondissant son petit pécule comme pion à mi-temps dans une boîte de curés, mangeant des pâtes, d'œufs au plat et de riz au lait. Sapé comme un prince par sa très chère maman il était un privilégié car il logeait en ville ; un rez-de-jardin, rue Noire, dans le pavillon d'une vieille baveuse pour qui il assurait l'approvisionnement et la maintenance de sa chaudière à charbon. Certains soirs, lorsqu'elle s'ennuyait, Benoît devait se taper un petit sherry avec des gâteaux secs en sa compagnie. C'est dans sa salle à manger Henri III, sur la chaîne unique, qu’il avait vu Marcel Barbu, candidat à la première présidentielle au suffrage direct, en 1965, pleurer. Beaucoup de ses copains ou copines, fauchés, vivaient à la Cité U de la Jonelière, loin du centre, dans des piaules de neuf mètres carrés, meublées dans le style fonctionnel des prisons. Passé vingt-deux heures ils étaient coupés de tout, crevaient d'ennui et, pour couronner leur solitude, ils subissaient un règlement intérieur digne d'un internat de jésuites : interdiction de bouger les meubles, d'accrocher des photos aux murs, de manger dans sa piaule. La cerise sur ce gâteau déjà lourd était, bien sûr, l'interdiction faite aux jeunes mâles d'accéder au pavillon des filles.

 

La revendication de la mixité horrifiait beaucoup de mères dans les salons où Benoît traînait encore ses guêtres. En les écoutant décrire l'effondrement des valeurs morales qui s'ensuivraient, il balançait de leur rétorquer que leurs filles n'avaient de cesse de lui offrir, sous leurs jupes plissées, les mêmes avantages à domicile. Mais, à quoi bon s'offrir ce plaisir, il était déjà ailleurs, loin des appâts vénéneux de ces oies blanches des beaux quartiers. Lors d'un dîner, le recteur d'Académie, un gros au teint apoplectique, enserré dans un costume trois pièces à rayures tennis, qui le faisait ressembler à un parrain de la Cosa Nostra, en tirant sur son havane, et en sirotant son Armagnac hors d'âge, devant la basse-cour décatie, avait conclu sa brillante analyse de la situation, d'une remarque de haute portée morale « Hier, ils réclamaient des maîtres ; maintenant, ils leurs faut des maîtresses… » Tout le monde s'était esclaffé, sauf Pervenche, la fille de la maison, et lui. Elle lui avait chuchoté dans l'oreille « on monte dans ma chambre sinon je dis à ce vieux satyre qu'il parle en expert puisqu'il se fait maman... »

 

Sa sortie de table lui procura une satisfaction proche de l'extase. Pervenche le tirait à bout de bras. C'était une grande bringue, plate comme une limande, avec de grands yeux de cocker et un casque de cheveux coupés courts. Benoît souriait bêtement, sa serviette accrochée à sa ceinture flottait comme un drapeau blanc entre ses cuisses. Le silence s'était fait d'un coup. Anne-Françoise, la mère de Pervenche, pressentant le danger d'une remarque assassine de sa fille unique, fit front avec panache. Elle se leva, souriante, « et si nous laissions ces messieurs à leurs cigares et à leur envie de parler politique entre eux, sans que nos babillages féminins ne les importunent... » Proche de la sortie. Pervenche se retournait. Pour l'amour et les beaux yeux verts de sa mère, à son tour, Benoît la tirait vers le hall. Elle trébuchait. Lâchait un « merde alors » sonore. Il la rattrapait au vol. « Tu la boucles sinon je me casse ». Sa nuit avec Pervenche fut ardente et studieuse. Il découvrit les condoms. Sa partenaire insatiable pendant qu’il reprenait des forces, calée dans les oreillers, lui parlait de Dany le rouge, le révolutionnaire joyeux qui se méfiait des bolchevo-staliniens, des marxistes à la triste figure, des prophètes sentencieux portant sur leurs chétives épaules tous les malheurs de l'humanité. C'est donc dans un lit douillet d'un hôtel particulier de la place Mellinet que je fis mes premiers pas de révolutionnaire dans les bras d'une adepte du mouvement du 22 mars. 

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commentaires

A
Pour moi la piaule de la Cité U à Poitiers c'était bien bien mieux que la piaule louée en ville que j'ai connue à Limoges qui n'avait pas alors de Cité U. C'était bien chauffé, aéré. Et puis il y avait les salles de travail, le ping-pong, les parties d'échec et les copains sur place ainsi que le RU à côté et le Ciné U. Et on nous faisait le ménage ! on était copain avec la femme de ménage qui buvait le café dans notre piaule. Elle nous invitait à déjeuner chez elle le dimanche midi.
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