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20 février 2018 2 20 /02 /février /2018 06:00
La résistible ascension de Benoît H La France qui avait peur, celle qui se terrait, allait débouler sur les Champs Elysées, le tricolore allait flotter, la Marseillaise sortir des gosiers jusqu'ici serrés de trouille (21)

Ce soir-là Marie voulut qu’ils couchent chez sa mère. À peine rentré le téléphone sonnait. C'était le père de Marie. La nouvelle était d'importance : de Gaulle venait de quitter Paris en hélicoptère. Le grand poker menteur venait de commencer. La maman dînait en ville. Plus exactement elle passait sa soirée chez son notaire. Seuls, dans le grand appartement, étendu sur le grand canapé du salon, ils écoutaient Frank Zappa en boucle en sirotant de grands verres de citronnade glacée. Mai, ce mois de mai fou, échevelé, toujours à la limite sans jamais la franchir, retenait son souffle, en apnée, tel un coureur insoucieux de ses forces qui, dans le dernier virage, alors que la ligne d'arrivée est proche, sait qu'il va perdre ; que ceux qu'il a nargué pendant sa folle chevauchée vont fondre sur lui, le laisser sur place, gagner. La France qui avait peur, celle qui se terrait, allait débouler sur les Champs Elysées, le tricolore allait flotter, la Marseillaise sortir des gosiers jusqu'ici serrés de trouille. Marie, en se blottissant contre lui, murmurait « il est à nous ce mois, ça ils ne pourront pas nous l'enlever... »

 

Au lever du jour, investit par le frère de Marie – celui que nous avions croisé le premier jour – et quelques-uns de ses acolytes, l'appartement se transforma en repaire de conspirateurs. Ignorant notre présence, ces jeunes gens exaltés se préparaient à la grande manif commanditée par une étrange coalition de gaullistes, d'anciens pétainistes, de partisans de l'Algérie française et des fafs habituels de la Fac. La spontanéité de la marée des Champs-Elysées, et des foules des grandes villes de province, s'appuyait sur l'art consommé de la vieille garde du Général à mobiliser ses réseaux de la France libre. Mobilisation amplifiée par l'adhésion d'une partie du petit peuple laborieux excédé par le désordre et de tous ceux qui voulaient voir l'essence réapparaître aux pompes pour profiter du week-end de la Pentecôte. La majorité silencieuse, mélange improbable de la France des beaux quartiers et du magma versatile de la classe moyenne, trouvait ce jeudi 30 mai sa pleine expression.

 

La journée plana, d'abord suspendue à l'attente du discours du voyageur de Baden-Baden avant de prendre son envol avec le bras-dessus, bras-dessous des Excellences soulagées sur les Champs-Elysées, elle s'acheva, telle une feuille morte se détachant de sa branche, dans un mélange de soulagement et de résignation. Mai était mort et tout le monde voulait tourner la page, l’oublier. L'allocution du Général fut prononcée sur un ton dur, autoritaire, menaçant. L'heure de la normalisation avait sonnée. De Gaulle ne sait pas encore, qu'en fait, c'est une victoire à la Pyrrhus, une droite réunifiée et les veaux français ne tarderont pas à le renvoyer à Colombey pour élire Pompidou le maquignon de Montboudif. Avec Marie, en cette fin de journée, assis dans les tribunes du vieux Stade Marcel Saupin, au bord de la Loire, tout près de l'usine LU pour assister au match de solidarité en faveur des grévistes, entre le FC Nantes et le Stade Rennais, Benoît se sentait désemparé. En ce temps-là, les footeux, parties intégrantes de la vie des couches populaires venant les supporter, match après match, osaient mouiller le maillot, prendre parti pour eux. José Arribas, l'entraîneur des Canaris, républicain espagnol émigré, à lui tout seul personnifiait cette éthique.  

 

Le stade semblait abasourdi, comme si on venait de lui faire le coup du lapin. Les Gondet, Blanchet, Budzinsky, Le Chénadec, Suaudeau, Simon, Boukhalfa, Robin, Eon, conscients de la gravité du moment, nous offraient un récital de jeu bien léché, à la nantaise comme le dirait bien plus tard, un Thierry Rolland revenu de ses déboires de mai. Il fera partie de la charrette de l'ORTF. Comme quoi, mai, ne fut pas, contrairement à ce serine l'iconographie officielle, seulement un mouvement de chevelus surpolitisés. Marie, ignare des subtilités de la balle ronde, applaudissait à tout rompre. À la mi-temps, en croquant notre hot-dog, dans la chaleur de la foule, sans avoir besoin de nous le dire, ils savaient que ce temps suspendu qu’ils venaient de vivre marquerait leur vie. Ils ne seraient plus comme avant. Lorsque l'arbitre siffla la fin du match, l'ovation des spectateurs, surtout ceux des populaires, sembla ne jamais vouloir s'éteindre. C'était poignant. La fête était finie, personne n'avait envie de retrouver la routine du quotidien. Dans la longue chenille qui se déversait sur le quai, le cœur serré Benoît s'accrochait à la taille de Marie comme à une bouée

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