L'ordre régnait à nouveau. Le pouvoir n'était plus à prendre. À la Sorbonne le comité d'organisation décidait de chasser les « Katangais » et de fermer les portes pour quarante-huit heures ; y'avait beaucoup de détritus. Daniel Cohn-Bendit, convoyé par Marie-France Pisier, rentrait en Allemagne avant que le pouvoir ne prononce la dissolution de plusieurs organisations gauchistes. Le 16 juin, la Sorbonne capitulait sans heurt. Le 17 juin, les chaînes de Renault redémarraient. Le 30 juin, au second tour des législatives, c'est un raz-de-marée, les gaullistes et leurs alliés obtenaient 358 des 465 sièges de l'Assemblée Nationale. À Nantes, forts du sérieux de l’organisation, face à des caciques revigorés, on sauvait les meubles. Ici, le vent de mai, laissera des traces durables, aussi bien chez les paysans, que dans les organisations ouvrières et politiques : la deuxième gauche allait prendre d'assaut le Grand d'Ouest et investir la plupart des places fortes d'une démocratie chrétienne à bout de souffle et incapable d'influencer son camp : Nantes, Rennes, La Roche sur Yon, Brest, Lorient viendraient s'ajouter au fief de St Brieuc.
Le parcours d'avant-mai de Benoît lui valut d'être exempté de tout examen. C'est Hévin qui lui apprit. Son premier mouvement fut de refuser. « Évitez la bravoure Benoît, en septembre ça va être un véritable carnage. Vous avez été le témoin de leur lâcheté, ils ne vous le pardonneront pas. Examen ou pas, quelle importance pour vous, ça n'est pas du favoritisme mais l'application pure et simple de l'accord conclu. Partez en vacances ! On aura besoin de vous l'année prochaine pour tenir le choc de l'onde en retour... » Marie, consultée, abonda dans le même sens. En quittant la Fac, Benoît se sentait vidé, sans ressort. Qu'allait-il faire de ces longues vacances ? Il était raide. Depuis plus d'un mois il n'avait pas mis les pieds ni chez ses curés, ni chez sa vieille logeuse, il lui fallait aller apurer ses comptes. Son arrivée à l'Institut Richelieu, alors que les élèves sortaient du réfectoire, déclencha un mouvement étrange. On fit cercle autour de lui, des jeunes et des profs : « alors raconte-nous ? » lui dit un grand boutonneux de Terminale. Le tutoiement, un silence attentif, du respect dans leurs regards, autant de marques de la reconnaissance de son nouveau statut d'ancien combattant de mai. À l'étage du Père Supérieur, l'accueil fut plus protocolaire, avec jusque ce qu'il faut d'ironie moqueuse, on lui régla son solde de tout compte sans discuter. Sa logeuse, elle, faillit avaler son dentier. Benoît fit mon balluchon en silence et la laissa en plan sans autre forme de procès.
Restait pour lui à faire un retour au pays. Voir ses parents. Au Conti, avant son départ, Marie le pressait « allez, soit pas fier, viens avec moi à l'Ile d'Yeu... » Il haussait les épaules sans répondre. «Alors on ne va pas se voir pendant deux mois ? » Elle tapait là où ça faisait mal. Benoît regimbait «T'en fais pas, je vais me débrouiller. Je t'appelle ce soir... » Aux Sorinières, le pouce aucune questions. Sa mère trouvait qu’il avait maigri. Le clan des femmes s'activait pour lui faire festin. Son père pour la première fois, me parla politique. Ce fut leur première proximité. Sa mémé Marie, qui elle avait tout compris, interrompant son rosaire, lui chuchotait « elle est doit être jolie cette petite...» En lui montrant une photo de Marie Benoît lui fis remarquer que maintenant il avait deux Marie dans sa vie. Dans l'après-midi, le docteur Lory vint délivrer l'ordonnance de calmants pour le dos de la tante Valentine. C'était un type froid, avare de mots. Pourtant, ce jour-là, aimable, il demandait à Benoît « tu fais quoi de tes vacances ? » Sa réponse évasive lui valait une proposition qui le laissait pantois « Mon cousin, Jean Neveu-Derotrie, brocanteur, cherche, disons un homme à tout faire, pour l'aider. Deux mois à l'Ile d'Yeu ça te dirais ? »