Cette question me turlupine depuis un moment, en effet le modèle traditionnel, qui a fait le succès et la longévité de l’appellation par l’incorporation massive de marketing dans les bouteilles des grandes marques, donc dans leur prix, résistera-t-elle à un double phénomène : l’offensive de manants effervescents type Prosecco et l’émergence des champagnes de vignerons qui redonnent au champagne des lettres de noblesse plus proche de son origine, la parcelle, plus soucieux de l’environnement, de l’authenticité que d’un process bien maîtrisé par les chefs de cave des grandes maisons ?
Poser la question ne signifie pas que ce modèle soit devenu obsolète, loin de là, mais il s’essouffle en termes d’image auprès des nouveaux consommateurs comme d’une part des anciens, qui sur le base de l’échelle des prix : pour les plus bas ils se disent, qu’au même prix, d’autres effervescents sont bien meilleurs ; pour les plus hauts le doute s’instaure face à une offre de champagnes plus authentiques le différentiel de prix apparaît injustifié.
Pour l’heure, la notoriété de l’appellation champagne lui permet de résister, mais se contenter de résister peut-il constituer une stratégie à long terme pour une appellation qui va étendre son aire ?
Qu’on ne me reproche pas de remettre en question un modèle qui gagne ce n’est pas mon but mais je suis en droit de douter que le côté rouleau compresseur du : je produis des kilos de raisins dans les conditions économiques optimales sans me préoccuper des nouvelles attentes des consommateurs en termes d’environnement et de goût soit une vision d’avenir. Cette attitude me semble assez proche de de celle, à une certaine époque, des vins de Bordeaux, ceux du bas comme du haut qui a entretenu l’ambiguïté entre la grande masse et les GCC.
Reste à aborder la place des grosses coopératives en Champagne qui, ont adopté le modèle des grandes maisons.
Le petit milieu des grandes maisons, de plus en plus petit depuis que le petit Bernard a compacté des marques, longtemps a chuchoté que ces gueux de la coopé, fleurant bon à l’origine le rouge, mordrait la poussière, serait tout juste bon à écouler leurs roteuses dans la grande distribution ; ce qui ne les empêchait pas de s’approvisionner à la coopé.
La plus emblématique des grosses coopé est le Centre vinicole-Champagne Nicolas Feuillatte.
Dans le journal le Monde le journaliste s’extasie :
« La plus grande coopérative de champagne, troisième marque la plus vendue au monde, rivalise avec les maisons de renom. »
« Aujourd’hui, Feuillatte, union de 82 caves coopératives et de quelque 5 000 vignerons, peut revendiquer la première place sur le marché national du champagne et la troisième au monde. Les chiffres et les volumes claquent comme dans une superproduction américaine : 10,4 millions de bouteilles vendues en 2016 dont 80 % de brut sans année, 45 % des volumes vendus à l’international, 70 à 80 millions de cols en stock, 2 250 hectares d’approvisionnement – 40 % en pinot meunier, 35 % en pinot noir et 25 % en chardonnay –, 202 millions d’euros de chiffre d’affaires… « Aujourd’hui, dans nos cuves, on a la possibilité de vinifier l’équivalent de toute la production de la Champagne dans les années 1950, soit une trentaine de millions de bouteilles », annonce Laurent Panigai, directeur général adjoint du CV-CNF. »
Il s’interroge aussi :
« La question brûle les lèvres. Quelle peut être l’identité d’un tel mastodonte ? Les plus réservés ne manquent pas de souligner la trop grande diversité des cuvées, près de vingt. « Ça part dans tous les sens, on ne sait pas ce qu’est Feuillatte », disent les plus critiques. Réponse de la présidente de la maison, Véronique Blin, qui a pris cette charge en juin 2012, quarante ans après que son père a créé avec d’autres le centre vinicole. « Notre identité repose d’abord sur des valeurs collectives, sur l’assemblage de savoir-faire et de terroirs, sur les compétences d’hommes qui se sont unis », avance cette viticultrice qui produit aussi son propre champagne à Brugny-Vaudancourt, village de 500 habitants, au sud d’Epernay. Et de mettre en avant le nouveau slogan : « Une marque accessible qui reflète un luxe émotionnel. »
Le titre de son article est révélateur de l’état d’esprit du mastodonte :
Champagne Feuillatte, association de bienfaiteurs
D’abord satisfaire ses adhérents
« Première union de producteurs de la région, Feuillatte se doit d’abord de rendre service à ses adhérents et, accessoirement, de leur faire gagner de l’argent. Sur les 20 millions de bénéfices enregistrés en 2016, 5 leur ont été redistribués. Le projet est explicite : « Une rémunération optimale et immédiate des raisins par rapport au marché », des prestations de qualité à un coût compétitif, le développement de la marque et le relationnel avec les adhérents. »
La réponse du Président aux questions que je me pose est sans ambigüité
« Difficile aussi, devant l’étendue des approvisionnements, d’évoquer les parcelles, si célébrées aujourd’hui par les vignerons ou grandes maisons. « Dans la Champagne moderne, celle qui se crée au début du XIXe siècle, on ne parle pas de parcelles ni même de lieux-dits. L’identité repose sur le village, le cru. On assemble des cépages et des années, c’est ça l’identité champenoise, répond Laurent Panigai. La Champagne, son authenticité historique, c’est un territoire de 150 km d’est en ouest et du nord au sud. Le parcellaire, c’est pour la Bourgogne. » Derrière la puissance de la marque Feuillatte, ce dernier rappelle qu’il n’y a pas de cotation en Bourse et que le lien avec la vigne reste la priorité : « Nous sommes condamnés à réussir avec les adhérents sur leur territoire. »
Voilà, c’est dit mais comme au temps de mon rapport où j’avais rencontré, suite à sa publication, le Président de Nicolas Feuillatte, je ne suis pas sûr que les dirigeants des grandes coop, comme ceux des grandes maisons soient disposés à entamer un débat…
« Sûr d’eux-mêmes et dominateurs… » comme le disait le général sur un tout autre sujet.