Guylain Pageot exploite, avec son épouse et son jeune frère, la ferme du Marais-Champs, à Bourgneuf-en-Retz. | Ouest France
L’un de mes maîtres en peinture, Gaston Chaissac, l’Hippobosque au bocage, écrivait dans ce livre publié dans la collection blanche chez Gallimard : « Durant un temps, je voulais m’établir marchand de souvenirs dans un lieu touristique et n’ayant pas complètement abandonné cet idée, je me demande s’il ne serait pas possible de faire de Boulogne un lieu touristique. Il y a d’ailleurs une rivière qui est la Volga du lac de Grandlieu… »
Bourgneuf-en-Retz se situe au sud-ouest du lac de Grandlieu, sur un territoire où j’allais jouer au basket avec la Vaillante Mothaise : la Garnache, Bouin, Rocheservière, Saint-Philbert de Bouaine, Saint Etienne de Mer Morte…
Bordé à l'ouest par l'océan Atlantique avec la baie de Bourgneuf, le Pays de Retz l'est au sud par le Marais breton et la Vendée, au nord par la Loire, et à l'est par le lac de Grandlieu.
Le pays de Retz a été entre autres l'un des principaux fiefs de Gilles de Retz, compagnon d'armes de Jeanne d'Arc et maréchal de France, dont l'histoire a surtout retenu les crimes et débauches.
À la Mothe-Achard, le lieu-dit du vieux château était un des châteaux, entièrement rasé, de Barbe-Bleue.
Tout ça pour introduire le témoignage de Guylain et Stéphanie Pageot qui élèvent une soixantaine de vaches à Bourgneuf-en-Retz.
« De A comme Ardoise, la vache la plus âgée (12 ans) à N comme Nectarine, une génisse de quelques mois, elles sont tout sauf stressées. Sur le chemin de terre bordé par des haies champêtres, le troupeau d’une soixantaine de vaches (prim’holstein, normande, montbéliarde) rentre paisiblement à l’étable dont le toit est équipé de panneaux photovoltaïques.
Nous sommes sur la commune de Bourgneuf-en-Retz (Loire-Atlantique) à une quarantaine de kilomètres de Nantes et à cinq à peine du littoral, en bordure du marais breton. Hoti, le border collie, ramène les plus gourmandes sur le droit chemin tandis que sa maîtresse, Stéphanie Pageot, 45 ans, se contente de les surveiller du regard, « Nous respectons leur rythme. C’est un peu le principe de l’élevage en biodynamie. D’ailleurs Guylain, mon mari, se forme en homéopathie pour encore mieux les soigner. »
« Quand, avec ma femme et mon frère, on s’est installé en bio en 1998, ici à la ferme du Marais Champs, un de nos objectifs était de se passer de toute chimie, aussi bien dans le traitement de nos sols que de nos bêtes. », précise Guylain, 44 ans et déjà les cheveux poivre et sel. Après ses études dans une école d’agriculture à Rouen – « où on nous avait appris à ne voir l’animal que comme une machine à produire » –, Guylain a eu, en effet, la chance de rencontrer Bruno Giboudeau, un vétérinaire du Jura, créateur de la méthode Obsalim (1). « Il s’agit d’observer 7 points sensibles de l’animal (poil, nez, ozil, pied, peau, bouse, urines) pour ensuite déterminer la meilleure ration alimentaire adaptée à sa physiologie. » Un jeu semblable à celui des 7 familles et un livre, Les vaches nous parlent d’alimentation (1), complètent cette méthode originale et en pleine expansion, notamment dans les réseaux de l’agriculture biologique.
Pour la famille Pageot, ce sera le début d’une belle aventure avec, sur ses 180 hectares en biodynamie, le pâturage des vaches se nourrissant exclusivement d’herbe et de foin, mais aussi des compléments céréaliers reposant sur 4 composantes (fleurs, feuilles, fruits et racines).
« Nos vaches ne tombent pas malades, plus besoin d’antibiotiques, juste des huiles essentielles, et de l’homéopathie. Par exemple des mélanges à base d’ortie, de pissenlit et de chardon-marie pour le drainage de leur foie, mais aussi de petites granules de lycopodium pour calmer leur agressivité », détaille-t-il.
Pas de stress inutile, donc. Ni des animaux, ni des paysans qui les élèvent. « Le bien-être animal et celui de l’éleveur se nourrissent l’un l’autre », estime Guylain. Un souci d’éviter les tensions d’autant plus accessible que la situation économique de la ferme du Marais Champs est saine. Avec sa production laitière annuelle de 340 000 litre de lait bio – la moitié livrée à la coopérative locale, la moitié transformée sur place (tomme, fromage frais, faisselle fermière, etc.) et vendue en vente directe dans 2 AMAP et 1 Biocoop –, cette exploitation laitière vit très bien : « Alors que le lait conventionnel est payé 300 euros les mille litres, notre lait bio est acheté 450 euros. Et le reste que nous transformons, 1220 euros les mille litres grâce à la valeur ajoutée que nous créons. » Outre les 3 associés de la ferme (Stéphanie, Guylain et son frère), quatre emplois ont été créés, dont 3 occupés par des jeunes de moins de 30 ans.
Este la question délicate de l’abattage : « Avec la lutte de ND des Landes dans laquelle nous sommes très investis, nous avons pu discuter avec des groupes vegans et tenté de leur faire comprendre que nous ne sommes pas des exploitants d’animaux », explique Guylain, dont la femme, Stéphanie, est devenue présidente de la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture biologique). « Nous leur montrons que, pour avoir des légumes et des céréales, il faut aussi du fumier pour fertiliser les champs. C’est un équilibre à trouver. », d’ailleurs, la moitié du fumier produit par la ferme du Marais Champs sert de fertilisant sur l’exploitation en maraîchage bio de leurs cousins, installés à quelques kilomètres sur la même commune. En contact également avec l’abattoir de Challans, Guylain a mis en place un groupe de réflexion avec une douzaine d’éleveurs bio de Loire-Atlantique. À partir de cette idée qui lui tient à cœur : « Pour que la mort de l’animal ait un sens, il faut que sa vie ait un aussi. C’est un contrat moral que nous passons avec nos animaux et qui nous oblige à les accompagner jusqu’au bout. » D’où l’idée de créer un abattoir mobile qui irait de ferme en ferme, mais géré par des professionnels de l’abattoir de Challans.
« Le bien-être animal, c’est un cheminement que nous faisons tranquillement depuis vingt ans. On se pose des questions qu’on ne se posait pas au début. Même s’il y a des excès dans le mouvement vegan, je les prends pour des lanceurs d’alerte. Sans les vidéo de L214 et les scandales révélés dans certains abattoirs, nous ne pourrions pas faire progresser, tout seuls, la législation. Mais c’est aussi à nous de mieux expliquer notre travail de paysan, la relation que nous établissons avec l’animal. Cela se faisait très bien dans un temps passé. Aujourd’hui, avec à la fois la perte de contact des citadins avec le monde rural, l’hyper-industrialisation de l’élevage dans certaines exploitations et le développement du hors-sol, c’est beaucoup plus compliqué. Il y a une mise à distance colossale entre un morceau de viande qui arrive dans notre assiette et sa provenance. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il faille manger moins de viande, mais en même temps je trouve que c’est un peu imbécile de criminaliser l’élevage. »
À la ferme du Marais Champs, les vaches ont plus qu’un nom et une fonction : « Elles ont une place particulière dans notre histoire, résume Guylain. Elles sont un peu ici chez elles. C’est pour cela qu’il faut d’abord comprendre leur fonctionnement pour mieux les respecter. »
- Bruno Giboudeau, Les vaches nous parlent d’alimentation éditions Obsalim 2012
Témoignage extrait du livre d’Olivier Nouaillas La ferme aux 1000 terroirs éditions Chêne.
Merci à lui de me l’avoir fait parvenir.