Quelle découverte, les grands libéraux que sont les champenois ont prospéré pendant des décennies sous un lourd dirigisme, faisant fi du droit européen, né du régime du maréchal Pétain. (1)
J’ai eu l’occasion à deux reprises de pratiquer l’impérialisme champenois : la première fois lorsque ceux-ci ont exigé des pouvoirs publics que la méthode de vinification champenoise leur soit uniquement réservée ; ils ont gagné, les autres, les crémants tout particulièrement et les autres appellations effervescentes, devant inscrire sur leurs étiquettes méthode traditionnelle.
La seconde fois ce fut, plus récemment, lorsque je tins la plume de madame Catherine Vautrin, alors députée de la Marne, vice-présidente de l’AN, ex-Ministre de Jacques Chirac, chargée par Bruno Le Maire de faire des propositions sur un nouveau régime de droits de plantation.
Le gouvernement de l’époque s’était fourré dans un beau merdier en ayant voté à Bruxelles, en pleine euphorie libérale, la fin du régime des droits de plantations. La crise aidant revirement de jurisprudence il fallait imaginer un nouveau régime permettant de ne pas perdre la face.
Dès notre première entrevue, je signalai à madame Vautrin qu’il n’y avait rien de possible entre un régime de droits de plantation et la liberté de planter. Elle balaya d’un revers de main mon objection. Bon petit soldat j’assistai en silence aux auditions de toutes les organisations professionnelles du vin, soit une tripotée.
Et, comme par hasard, les plus attachés aux droits de plantations furent les grands libéraux champenois épaulés par les gens du Cognac. Sans vouloir être mauvaise langue ça sentait le LVMH.
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Alors lorsque ce pauvre Patrice Bersac, président du Syndicat des vignerons d’Ile-de-France tempête : « C’est un scandale ! » je compatis.
En effet, son syndicat demande pour la troisième année consécutive à pouvoir planter des vignes dans des zones autour de l’appellation Champagne mais le Syndicat général des vignerons de la Champagne ne l’entend pas de cette oreille.
Le 20 décembre, jour de l’écriture de cette chronique, le Comité vin de FranceAgriMer doit entériner les projets de limitation de plantations de vignes nouvelles. Les producteurs d’Ile-de-France demandent à pouvoir planter librement comme le droit européen les y autorise des vignes sans indication géographique, notamment dans des communes jouxtant l’aire de Champagne.
« Mais, nous savons que ces gens nous méprise, et nous sommes convaincus que le Comité vin de FranceAgriMer ne prendra pas de positions courageuses » commente Patrice Bersac. En clair : les producteurs franciliens s'attendent à ce que FranceAgriMer vote en faveur d'une limitation des plantations autour de la zone champenoise.
David contre Goliath
C’est pourquoi, son syndicat lance une pétition à l’attention du ministre de l’Agriculture Stéphane Travert. Intitulée « le Champagne détruit les petits vignerons voisins », elle explique comment le Syndicat général des vignerons de Champagne tente d’instaurer un cordon de 25 kilomètres autour de son aire, au sein duquel aucune vigne ne peut être plantée. Le syndicat « veut transformer plus de 500 communes en désert viticole autour du riche champagne »
Pas sûr que le père Travert tremble face à la menace.
Autre front plus intéressant
Parallèlement à cette pétition, le Syndicat des vignerons d’Ile-de-France agit également au niveau européen. Il a en effet envoyé une lettre au Commissaire Hogan pour le sensibiliser à la question et lui demander son aide. Datée du 19 décembre, elle rappelle que « le règlement stipule que l'État membre ne peut restreindre la délivrance d'autorisations de plantation nouvelles que pour deux motifs, notamment « la nécessité d'éviter un risque dûment démontré de dépréciation importante d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée donnée ».
La naissance du Comité interprofessionnel du vin de Champagne
« À Épernay, le 10 juillet 1941, Bousquet assista à l'assemblée générale annuelle du Syndicat général des vignerons présidé par Gaston Poittevin, qui avait été député radical-socialiste de la Marne de 1919 à 1936. Devant les délégués de la Champagne viticole venus de la Marne, de l'Aube et de l'Aisne, le secrétaire général Maurice Doyard annonça la naissance du Comité interprofessionnel du vin de Champagne ( CIVC ), créé par la loi du 12 avril 1941 ( 22 ). Ce comité était appelé, selon lui, à devenir « la représentation de tous les intérêts champenois », et il en expliqua le fonctionnement.
Bousquet parla de la mise en œuvre de la charte du champagne qui devait fixer les droits et les devoirs de tous les éléments de la production et du commerce :
Il ne faut pas que la nouvelle organisation de la viticulture soit la revanche de quelques hommes sur d'autres hommes, un retour à des erreurs ou des égoïsmes passés [...]
Aucune opposition fondamentale ne peut dresser le travail contre le commerce et vice-versa.
À l'issue de cette assemblée générale, Otto Klaebisch et son adjoint Muller firent leur entrée dans la salle et participèrent aux libations d'usage ( 23 ).
Le CIVC, qui remplaçait l'éphémère Bureau national de répartition du vin de Champagne, était organisé selon une structure pyramidale. Au sommet était placé un commissaire du gouvernement désigné par le ministre secrétaire d'État à l'Agriculture et qui fut, de 1941 à 1945, le directeur des contributions indirectes de la Marne, Charles Théron. Il assistait à toutes les délibérations et pouvait, selon les directives qu'il recevait, ou bien donner son accord immédiat aux propositions qui lui étaient soumises, ou bien les soumettre à l'avis du ministre. Il était assisté d'un délégué du vignoble qui fut de 1941 à 1944 Maurice Doyard, et d'un délégué du négoce, Robert de Vogüé, directeur de Moët et Chandon, remplacé en 1944 par René Chayoux.
En dessous, le Bureau exécutif comprenait trois négociants et trois récoltants, et le Comité consultatif était composé de dix récoltants, dix négociants, un courtier, trois représentants des industries annexes, deux représentants du personnel viticole, deux représentants des cavistes et un représentant du Comité national des appellations contrôlées.
Tous les membres du CIVC furent choisis par le ministre secrétaire d'État à l'Agriculture dans les organisations professionnelles ou syndicales existantes dont les instances firent des propositions. Le préfet de la Marne, René Bousquet, fut chargé de transmettre ces propositions et de donner son avis personnel.
Les compétences du CIVC, définies dans la loi du 12 avril 1941, étaient larges, et correspondaient assez bien à ce que revendiquaient les représentants des vignerons et des négociants qui siégeaient depuis 1935 dans la Commission de la Champagne délimitée, et dont étaient issus la plupart des responsables professionnels nommés à la tête du CIVC.
Ainsi, le CIVC qui aujourd'hui encore joue un rôle important dans l'économie champenoise, est né curieusement de la rencontre entre la situation créée par l'importance des prélèvements allemands, le souci des professionnels de répondre à cette demande tout en préservant les intérêts champenois, leur volonté de faire aboutir une réorganisation de la profession qu'ils réclamaient depuis longtemps avec insistance, les projets corporatistes et dirigistes des technocrates de Vichy, et enfin la bonne connaissance de ce dossier qu'avait acquise René Bousquet, lors de son passage au ministère de l'Agriculture aux côtés du ministre Cathala avant la guerre.
En 1991 dans le Bulletin d'information du CIVC, un article non signé intitulé " Le cinquantenaire du CIVC ", récusait le parrainage du régime de Vichy, faisait totalement l'impasse sur celui du préfet Bousquet, et présentait la loi du 12 avril 1941 comme un simple « texte législatif de reconnaissance » habilement imposé par les Champenois « contre la volonté de l'autorité publique » en profitant des « défaillances de l'appareil administratif ». Selon cet article, l'idée interprofessionnelle serait née à la fin des années 1930, dans les travaux d'économistes « soucieux de trouver une troisième voie entre un capitalisme défaillant et un socialisme inquiétant » ; les fondateurs du CIVC « ne revendiquaient aucune doctrine » et se seraient simplement efforcés de faire preuve de « pragmatisme », et de renouer avec le « solidarisme » que prônait Léon Bourgeois sénateur radical de la Marne avant la Première Guerre mondiale ( 24 ).
Hervé Malherbe considère au contraire qu'on retrouve bien dans la structure du CIVC et dans son mode de fonctionnement, « les critères idéologiques de l'État français basés sur la corporation, qui méconnaît la démocratie de base ». En même temps, il récuse toute parenté entre le CIVC qui, malgré son nom, correspondait bien à une Corporation du Champagne, et l'organisation interprofessionnelle que les socialistes marnais, avec leur député Henri Martin, appelaient de leurs vœux à la veille de la Seconde Guerre mondiale ( 25 ).»
Le vin de Champagne à l'épreuve de l'occupation allemande 1940-1944
ICI http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/enseigner/memoire_2gm/champagne_occupation.htm#civc