Novembre 2003, salle à manger de l’Hôtel de Villeroy, 78 rue de Varenne, Ministère de l’Agriculture :
« Il était ému, le grand Jacques Gravegeal, lors de la cérémonie de remise des insignes de la Légion d'honneur par le ministre de l'Agriculture, Hervé Gaymard. Attribuée par le président de la République, cette décoration récompense l'engagement et la compétence du président de la chambre d'agriculture de l'Hérault depuis 1979 et du syndicat des vins de pays d'Oc.
Jacques Gravegeal est donc devenu l'espace d'un moment, et maintenant pour la fin de sa vie, chevalier de la Légion d'honneur. Une récompense amplement méritée pour un homme de la terre qui n'a cessé de se battre pour l'agriculture héraultaise et les vins de pays d'Oc. Il fut l'un des grands ordonnateurs de la restructuration du vignoble, mais l'un de ses principaux faits d'armes fut sans conteste d'avoir permis à la viticulture héraultaise d'opérer sa mue. En effet, Jacques Gravegeal a mis en place dès 1973 le plan de Jacques Chirac de restructuration du vignoble. Ainsi, il a participé et supervisé l'arrachage d'un bon nombre de vignes, permettant la restructuration en profondeur du vignoble héraultais… Et un bon vivant également, pour l'avoir accompagné dernièrement à Vinexpo… »
Comme vous pouvez vous en douter je n’y étais pas convié et, je ne suis pas certain que Robert Skalli, le co-géniteur des vins de pays d’Oc, s’y soit rendu. Bob pour les intimes avait eu le mauvais goût de cosigner la note stratégique Cap 2010 les défis des vins français qui avait ravi le brave Hervé Gaymard mais beaucoup fâché le « Grand Jacques »
Pensez-donc, il y était écrit qu’il fallait créer un espace de liberté pour des Vins de cépages de France…
Louis XIV déclara devant le Parlement parisien « L’État c’est moi ! »
Alors, fort de ses appuis au château, le « Grand Jacques » déclara avec force « Les cépages c’est moi ! »
Par la même occasion ce bon Gaymard avala son chapeau et m’envoya pour quelque temps en pénitence, en notre vieux pays on appelle ça un placard.
J’y passai quelques mois avant d’être réhabilité discrètement avec l’interdiction de mettre mon nez dans les affaires de vin.
Un beau jour, par l’intermédiaire d’un ancien collaborateur de la SVF, Adolphe Tourcher, devenu grand manitou de Pierre Castel sur les Terres languedociennes, je sollicitai un rendez-vous auprès du « Grand Jacques » pour que nous nous expliquions « entre hommes ».
Il accepta. Rendez-vous fut pris pour un déjeuner à Béziers dans un restaurant face à la gare dont j’ai oublié le nom. Je pris un A-R TGV que je payai de ma poche (ça s’est pour l’incorruptible Bettane) et le jour dit je rejoignis Adolphe et le « Grand Jacques » autour d’une belle table.
Ce fut très agréable, j’ai toujours eu un faible pour le côté « Grand enfant » de Jacques Gravegeal, et j’ai toujours respecté son engagement face à un mouvement coopératif languedocien qui avait conduit la viticulture du Midi dans le mur. Mais je n’avais pas fait le voyage pour passer de la pommade à Jacques Gravegeal qui n’en avait nul besoin dans la mesure où l’encens de ses partisans l’enfumait.
Bref, très vite je lui posai la question de confiance : « Pourquoi ? » Sa réponse fut limpide « Parce que vous m’emmerdez ! » Elle résumait assez bien l’enterrement du débat de l’époque et, par la suite mes relations avec le « Grand Jacques » furent emprunte de la même franchise. Le déjeuner fut excellent, Adolphe régla l'addition (ce fut la contribution du groupe Castel à cette rencontre historique).
Je n’étais qu’un petit rapporteur, avais-je raison ou avais-je tort, ce n’est pas le lieu d’en juger, surtout sous ma plume. Pour autant je continue de penser que la structuration de l’offre des vins français souffre de l’illusion du tout « signes de qualité » AOP-IGP.
Je suis passé de mode et je n’ai que peu de goût pour les vins dit de cépages à la mode Roche Mazet et Ormes de Cambras du papy Pierre. Ça me fait penser au Préfontaines et à la Villageoise du temps de la SVF ; autre temps autres habillages.
Laissons là l’évocation de ces souvenirs et fêtons avec le « Grand Jacques » les 30 ans de l’érection des Pays d’Oc.
Vitisphère, passé sous la coupe du groupe France-Agricole en 2014 ICI (En juin 2014, Isagri et son partenaire Avril reprend le capital du Groupe France Agricole à hauteur de 95 %.), sous la plume de Marion Sepeau Ivaldi le 9 novembre 2017, tresse avec enthousiasme les lauriers du « Grand Jacques »
Une aventure languedocienne d’inspiration californienne
Le rêve américain
Car l’aventure des Pays d’Oc est une histoire de pionniers, de visionnaires, de défricheurs… Des mots qui évoquent le Far West et ce n’est pas pour rien. Jacques Gravegeal grandit dans l’après-guerre et le rêve américain lui susurre des mots doux, appelle sa vocation et, au final, façonne sa destinée. Il pose les pieds pour la première fois en Californie dans le début des années 1970. « J’en ai eu des frissons ! Enfin, je touchais cette terre… » lâche-t-il dans un des rares moments où il se livre. S’il vient dans cette terre lointaine du Pic Saint Loup et des Coteaux du Languedoc, c’est qu’il veut comprendre la stratégie américaine viticole.
« Enfin, je touchais cette terre »
« C’est un vignoble ancien. Au départ, la Californie a cherché à copier le modèle français avec des Cabernet Bordeaux, des Merlot Bordeaux. Mais cela n’a pas fonctionné. Ils ont donc conservé uniquement le nom du cépage » explique-t-il. Le « Grand Jacques », comme certains l’appelle en rapport avec sa taille et peut-être aussi son charisme, revient en France avec l’idée qu’il faut vendre des vins de cépages.
Mais comment faire ? A cette époque, le vignoble languedocien est en pleine transformation. Il continue de souffrir de la crise de la mévente des vins qui a présidé au lancement de la Directive Languedoc fin des années 70, politique voulue par Jacques Chirac en tant que ministre de l’Agriculture. Le vignoble commence à recevoir des primes à la restructuration et crée des îlots de plantation selon des schémas directeurs définis par la Chambre d’agriculture. Lentement, le vignoble introduit les cépages internationaux et plante un vignoble mécanisable. Du fait de ses fonctions Jacques Gravegeal n’est pas étranger à cette nouvelle politique, il est alors président des Jeunes Agriculteurs de l’Hérault et reçoit le mandat de président de la Chambre d’agriculture en 1976. Mais, si le vignoble est en train de changer de visage, reste une question : comment vendre ce vin nouvelle génération ?
Nouer un deal avec le négoce
Peu s’en souviennent sans doute, mais au début des années 1980, Jacques Gravegeal s’est investi pour les AOC. Il est vice-président délégué de l’AOC Coteaux du Languedoc, dont le directeur est un certain Jean Clavel. Pour eux, il est clair qu’ils ne parviendront pas à convaincre l’Inao d’autoriser l’extension de l’aire des Coteaux du Languedoc. « Dans ce contexte, on se dit qu’il faudrait un vin de pays régional » explique Jacques Gravegeal. Mais surtout, un négoce pour le vendre, car le président est convaincu d’une chose : la réussite commerciale ne passera que par un partenariat solide entre la production et le négoce. Jean Clavel lui conseille de rencontrer Jeanjean qui l’envoie chez Robert Skalli, négociant à Sète.
La rencontre sera décisive. Elle a lieu chez Robert Skalli. Agé de 35 ans, Jacques Gravegeal est impressionné. Il n’a pas l’habitude de fouler des lieux aussi spacieux ; et surtout de manger les délicieuses pâtes préparées par la mère de Robert Skalli dans la plus pure tradition italienne. S’il ressent une certaine fébrilité, c’est qu’il n’a pas non plus l’habitude de côtoyer le monde des grands entrepreneurs : la famille Skalli détient alors Taureau Ailé et Lustucru, lui ne connaît que le monde de la vigne languedocienne. « A ce repas, il y avait toutes les forces de vente de Skalli. Je lui parle du projet de vendre des vins de cépages. J’évoque aussi ce que j’ai vu en Californie » explique Jacques Gravegeal. Robert Skalli ne montre que peu de réactions durant la discussion. « A la fin du repas, je pensais que je ne l’avais pas convaincu ». Pourtant, après avoir consulté son équipe sur ce qu'elle pense du projet, Robert Skalli se tourne vers Jacques Gravegeal et lui tend la main. Le deal est scellé. « Ce n’est qu’après m’avoir serré la main qu’il m’a confié qu’il détenait un domaine en Californie et que c’est mon discours sur cette viticulture américaine qui l’avait convaincu » s’étonne toujours Jacques Gravegeal.
L’effet boule de neige la suite ICI
Le groupe Skalli passe sous le contrôle du Bourguignon Boisset. Après plusieurs mois de négociation, un protocole d’accord vient d’être signé portant sur la cession des actifs des vins Skalli (Vallée du Rhône et Languedoc) à Boisset. Robert Skalli l’avait confié il y a plusieurs mois à Vitisphère : sans succession familiale pour son activité vins en France, le pionnier français des vins de cépage cherchait une solution pour pérenniser son entreprise. Le caractère familial de la maison Boisset a été un élément clé de cette décision. « Je suis très heureux que ce soit Boisset qui insuffle son esprit de famille à Skalli dans une volonté de faire perdurer aussi bien les marques dans la continuité des produits que les partenariats que nous avons mis en place depuis des années. Je suis ravi que cette famille soit aussi engagée dans la viticulture que dans la qualité des vins et ait la volonté de les faire croître à travers le monde. Je suis très confiant dans l’avenir que je dépose entre ses mains», a confié Robert Skalli.
Robert Skalli vit en Belgique à Bruxelles sans doute est-ce trop loin pour lui demander sa version de l’histoire des Pays d’Oc…