Onfray confessant une erreur je me suis dit ça vaut que je m’y arrête.
À l'occasion de la parution de son dernier livre, Miroir du nihilisme, Houellebecq éducateur, Michel Onfray a accordé un entretien fleuve au FigaroVox. Il y décrypte la philosophie de l'auteur de Soumission.
FIGAROVOX.- Vous publiez aux éditions Galilée, Miroir du nihilisme, un essai consacré à Soumission de Michel Houellebecq. Vous êtes longtemps passé à côté de l'œuvre de ce dernier. Pourquoi son dernier roman vous a-t-il fait changer de point de vue ?
Michel ONFRAY.- J'avais aimé la performance littéraire d'Extension du domaine de la lutte qui était vif et bref, rapide et percutant. Les autres romans m'avaient paru techniquement moins rapides. J'aime les stylistes et les textes qui vont vite. Voilà pour la forme.
Pour le fond, j'avais commis l'erreur de croire que le diagnosticien du nihilisme consentait au nihilisme, s'en réjouissait même, voire, s'y complaisait… C'était une erreur. C'est confondre le cancérologue qui diagnostique la pathologie avec le cancer, la pathologie qu'il a diagnostiquée. J'étais, selon l'image bien connue, l'imbécile qui regarde le doigt quand le sage lui montre la lune !
Soumission m'a plu parce qu'il renoue avec la vitesse d'Extension. Il m'a éloigné du doigt et ramené à la lune quand j'ai constaté chez Michel Houellebecq la grande souffrance qui était la sienne à se savoir, se voir, se constater, s'expérimenter corporellement et spirituellement tel un sismographe de notre époque en cours d'effondrement.
En termes hégéliens, il est le grand homme choisi par l'Histoire pour qu'il en fasse la narration. Il est au cœur nucléaire du processus de Ruse de la raison. Le savoir, ce qui est son cas, car il est d'une redoutable lucidité, c'est affronter les plus grands tourments.
En quoi Houellebecq est-il le romancier du nihilisme?
Michel ONFRAY.- En tant que sismographe, il enregistre toutes les secousses en rapport avec la tectonique des plaques civilisationnelles: il a diagnostiqué l'effondrement spirituels des générations produites par des parents soixante-huitards, l'écœurement d'une sexualité indexée sur la seule performance, la marchandisation des corps et des âmes, des carrières et des pensées, la contamination de l'art contemporain par le snobisme et le marché, la tyrannie de l'argent en régime libéral, la fin de la France depuis l'abandon de sa souveraineté lors du Traité de Maastricht.
Mais aussi la veulerie du tourisme sexuel en Asie, le caractère inéluctable de l'engagement de nos civilisations occidentales vers le projet transhumaniste, l'effondrement de la religion judéo-chrétienne et des valeurs qui l'accompagnaient, et, avec Soumission, le processus de collaboration des élites avec les idéologies liberticides - ici un islam francisé.
Depuis 1994, Michel Houellebecq dépèce minutieusement le Veau d'or - c'est en cela qu'il est le grand romancier du nihilisme occidental.
Personnellement, houellebecquien de la première heure, j’estime que Soumission n’est pas le meilleur roman de Houellebecq, qu’il est même à côté de la plaque, car il plonge plus dans ses fantasmes que dans la réalité socio-politique de notre pays, mais c’est son droit de romancier et, de son point de vue, Onfray a raison.
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Beaucoup ont vu dans ‘Soumission' une critique de l'islam radical. Vous y voyez plutôt un grand roman de la collaboration. Qui sont les «collabos» d'aujourd'hui?
Michel ONFRAY.- Ceux qui estiment que l'Islam est une religion de paix, de tolérance et d'amour et ne veulent pas entendre parler d'un Islam de guerre, d'intolérance et de haine.
Certes, il existe un islam pratiqué par des gens qui voient en cette religion une coutume familiale ou un signe d'appartenance dans laquelle dominent effectivement la tolérance, la paix et l'amour.
Mais il y a aussi, dans le Coran et dans l'histoire de l'islam, terrorismes inclus, une autre voie qui est celle de la misogynie, de la phallocratie, de l'homophobie, de l'antisémitisme, du bellicisme, de la guerre qui constituent des valeurs à exporter par le djihad guerrier.
Le collaborateur ne veut voir que le premier islam en estimant que le second n'a rien à voir avec l'islam. Le Coran est un livre dont les sourates justifient aussi bien le premier que le second islam.
Concrètement, ces collaborateurs sont les islamo-gauchistes qu'on trouve ici ou là au NPA, dans la France Insoumise, dans l'aile gauche du PS, au PCF, ou à EELV. Il y en a également dans l'aile gauche des Républicains - chez les juppéistes par exemple.
L’ensemble de l’interview ICI
Voilà, de ce pas je fonce chez Gallimard acquérir le Cahier de L'Herne consacré à Houellebecq et Miroir du nihilisme. Houellebecq éducateur de Michel Onfray.
Cahier Houellebecq
Michel Houellebecq, Agathe Novak-Lechevalier
Intéressant les uns, agaçant les autres, l’oeuvre et la personne de Michel Houellebecq se caractérisent par une forme très particulière de résistance, qui vient entre autres de ce qu’elles déjouent nos systèmes habituels de coordonnées et qu’elles multiplient les contradictions. Situer Michel Houellebecq implique peut-être de se demander d’abord où il n’est pas. Écrivain polygraphe, explorant tous les genres (roman, poésie, essai – le présent Cahier révèle qu’il s’est même, jadis, essayé au théâtre), il multiplie aussi les échappées hors du domaine littéraire : au cinéma, en musique – ses textes ayant suscité des adaptations (d’Iggy Pop à Carla Bruni en passant par Jean-Louis Aubert), et dans l’art également – comme artiste à part entière ou comme objet d’inspiration. Omniprésent dans les médias à chacune de ses parutions, journaliste à ses heures, capable de tribunes politiques ravageuses, il est sans doute aussi le seul écrivain à pouvoir assurer la Une d’un grand quotidien pour la sortie d’un recueil de poésie (Libération, lors de la sortie de Configuration du dernier rivage).
Insaisissable, inclassable, irréductiblement ambigu : Houellebecq, infailliblement, nous échappe. Sauf, peut-être, dans le cas précis d’un Cahier de l’Herne, lieu idéal d’une approche plurielle et du mélange des genres. Nous retraçons ici la trajectoire d’un écrivain singulier en montrant les hésitations, les points de rupture, les multiples « bifurcations » qui contribuent à la construire. En entremêlant les textes rares ou inédits, les essais universitaires, les témoignages de proches, d’écrivains, d’artistes, de musiciens, d’amis ou d’ennemis (et tout l’éventail se situant entre ces deux extrêmes), il voudrait rendre compte de la complexité d’un auteur et d’une oeuvre qui ont pour ambition de sauver une époque – la nôtre – de l’évanouissement.