Extrait d'une peinture de Gen Paul réunissant Louis-Ferdinand Céline et Gen Paul dans les rues de Montmartre.
C'est sans doute le dîner le plus délirant de l'Occupation. Si l'on est sûr du lieu - l'ambassade d'Allemagne à Paris -, la date varie selon les témoins. Est-ce 1941 ? 1943 ? Ou 1944, comme le racontera Jacques Benoist-Méchin, historien et membre de divers cabinets à Vichy, dans ses Mémoires, dont le récit ci-dessous est extrait ? Sont notamment présents ce soir-là : l'ambassadeur allemand, Otto Abetz, Drieu la Rochelle, Céline et le peintre Gen Paul. « Je regarde attentivement Céline, assis devant moi à la table de l'ambassade d'Allemagne. Son visage est pâle, douloureux, presque inexpressif. Mais ses narines frémissent et je sens s'accumuler en lui une force éruptive. [...]
Gen Paul : « Ce qu'il y avait de terrible avec Ferdinand (Céline), c'est qu'il aimait bien donner ses idées mais pas son pognon, tu piges »?
Ce fameux dîner je vous en parle car j’ai récemment lu la lourde somme à charge d’Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff Céline la race, le juif… Légende, littérature et vérité historique 1150 pages chez Fayard. La version de Benoist-Méchin de ce dîner y fit l’objet d’une analyse pointilleuse.
Tout récemment la bande dessinée Le chien de Dieu de Jean Dufaux&Jacques Terpant chez Futuropolis, bien plus bienveillante pour le Dr Destouches et où ce fameux dîner occupe 5 pages.
C’est Annick Duraffour qui s’y colle en rappelant que « De l’activité de Céline sous l’Occupation, les céliniens ou les amis ont retenu pour la légende deux anecdotes (ndlr. Dont celle du dîner chez Abetz) qui plaisent à leur imagination et servent leur plaidoyer.
Avant d’aller plus avant, au risque de me faire traiter de cuistre, je ne suis pas un grand amateur de LF. Céline écrivain, hormis Voyage au bout de la nuit * tout en reconnaissant que c’est un grand écrivain. Je n’aime guère les grands stylistes, et l’apport des fameux points de suspension ne m’a jamais paru important, je suis Bovien (Emmanuel Bove I love Bove 22 juin 2006 ICI ) donc minimaliste. Quant au bonhomme je le prends comme un salaud ordinaire mais ça n’engage que moi.
* « En 1961, dans un tardif entretien radiophonique qui ne fut jamais diffusé, Céline se montre plus lucide sur son évolution littéraire que les céliniens qui se pâment… « Puisque nous parlons de littérature, j’avais fini comprenez-moi. Après Mort à crédit, ben j’étais fini, quoi. Au fond, j’avais tout dit ce que j’avais à dire et c’était pas grand-chose. »
Notes personnelles de Benoist-Méchin
« Je regarde attentivement Céline, assis devant moi à la table de l'ambassade d'Allemagne. Son visage est pâle, douloureux, presque inexpressif. Mais ses narines frémissent et je sens s'accumuler en lui une force éruptive. [...]
Et soudain il explose : Assez ! dit-il, assez ! En frappant la table de ses deux mains au point de faire vibrer les verres. J'en ai assez d'écouter vos conneries ! Vous n'y êtes pas du tout... Vous croyez faire les malins, vous vous triturez les méninges autour d'une table bien servie, tandis que le monde s'écroule... Ma parole, vous avez une taie nacrée sur les yeux, du plomb dans les oreilles. Si vous construisez quarante mille avions, les Américains en construiront deux cent mille. Si vous construisez cent mille chars, ils en construiront un million. A vos armes secrètes, ils opposeront des armes plus secrètes et plus meurtrières encore. Vous n'y pouvez rien : ils sont la masse et la fonction de la masse est de tout écraser. Pendant ce temps, sournoisement, vous nous cachez l'essentiel. Pourquoi ne nous dites-vous pas qu'Hitler est mort ?
- Hitler est mort ? s'exclame Abetz en écarquillant les yeux.
- Vous le savez aussi bien que nous ! Seulement, vous ne pouvez pas le dire. Mais on n'a pas besoin d'être ambassadeur pour le savoir : ça crève les yeux ! Les juifs l'ont remplacé par un des leurs !
[...] Abetz, Drieu et moi en avons le souffle coupé. Nous connaissions l'audace de Céline. Mais nous ne pensions jamais qu'il pût la pousser aussi loin. Maintenant qu'il est lancé, où s'arrêtera-t-il ? Dire que l'ambassadeur nous avait invités à passer avec lui un agréable moment de détente !
- Je vous dis que c'est plus le même homme, poursuit Céline. On l'a changé du tout au tout. On a mis un autre à sa place. Regardez-le ! Chacun de ses gestes, chacune de ses décisions sont faits pour assurer le triomphe des Juifs. Alors, faut être logique ! Les Juifs ont réussi un coup fumant, la plus grande mystification de l'Histoire ! Ils ont fait disparaître Hitler dans une trappe et l'ont remplacé par un type à eux. Remarquez qu'il se montre de moins en moins en public. C'est pour qu'on ne s'aperçoive pas de la différence. C'est idiot, d'ailleurs. Personne n'est plus facile à imiter. Mon ami Gen Paul, ici présent, l'imite à merveille. N'est-ce pas, Gégène, que tu l'imites bien ? Il est marrant quand il fait ça ! Il lui suffit d'une pincée de scaferlati [tabac] qu'il se colle sous les narines, pour remplacer la moustache. Allons, mon bon Gégène, te fais pas prier ! Ici on est entre copains. Montre-nous comme tu sais bien faire ton petit Hitler...
Gégène hésite un peu. Mais il finit par s'exécuter. Il sort une blague à tabac de sa poche, en tire une pincée de scaferlati, la malaxe entre trois doigts et la place sous son nez. Puis, d'un geste brusque, il se rabat une mèche de cheveux en travers du front, prend une pose napoléonienne (une main dans le dos, l'autre dans l'entrebâillement de son gilet), roule des yeux furibonds et dit d'une voix gutturale :
- Raou, raou, raou, raous !
Il ressemble étonnamment à Hitler. Aussi à Charlot, à Groucho Marx et à Félix le Chat. Abetz ne sait plus quoi faire. Mais il est pris, comme nous tous, d'une irrésistible envie de rire. [...] Abetz est sur des charbons ardents. Son chauffeur est entré dans la pièce.
- Vous allez reconduire M. Céline chez lui, 4, rue Girardon, lui dit l'ambassadeur. Mais roulez très doucement, car il est souffrant. Vous repasserez chez lui demain pour lui apporter quelques fruits et prendre de ses nouvelles... »
Le 15 : mise en vente à l'Hôtel Drouot d'un beau portrait à l'huile de Céline par Gen Paul, daté 1936. Le tableau était estimé 15 000 à 20 000 euros, il en a réalisé 15 000, le montant de l'estimation basse.
http://louisferdinandceline.free.fr/indexthe/genpaul/entretien.htm
« Les Allemands passaient tout à Céline » dira Lucien Rebatet.
« Céline connaît aussi le pouvoir de sidération et de séduction de ses fameuses sorties. Et puis le cabotinage et le rire viennent toujours au bon moment pour désarçonner l’hostilité qu’il risque de susciter. »
Annick Duraffour met en exergue 2 omissions par les célinophiles dans la relation des notes de Benoist-Méchin :
Tout d’abord, au début du récit ce que déclare Drieu la Rochelle : « Personne ne sait ce qui s’est passé [ à Stalingrad], poursuit Drieu, mais une chose est certaine : pour la première fois depuis le début de la guerre, la machine allemande ne paraît plus invincible. Pourquoi Hitler s’est-il cramponné aussi obstinément à des positions perdues ? » Drieu explique que l’armée ne donne plus les moyens d’assumer l’idéologie, la volonté de Hitler, que depuis Stalingrad « les armées allemandes n’ont cessé de reculer ». Abetz proteste : « L’Allemagne elle, est encore intacte. Le cœur de la forteresse est plus fort que jamais, ne serait-ce qu’il est plus ramassé […] – Je n’aime pas cet argument, interjette Drieu. C’est celui derrière lequel s’abritent tous ceux qui reculent. »
Plus que les pitreries de Gen Paul et les déclarations hallucinées de Céline « c’est Drieu qui tient le rôle d’esprit libre et ferraille sans rire. »
La seconde omission est encore plus grave : Céline déclare « Hitler fait tout pour préparer leur avènement, pour faire sauter le dernier bastion qui les sépare de la domination universelle. Merveilleux collaborateur ! Il les rafle partout, pour les envoyer dans ses camps. Pour en faire quoi ? Je vous le demande ? Des engrais, à ce qu’on m’assure. Il n’y avait qu’un Juif pour avoir une idée pareille ! »
Dans la bande dessinée l’auteur fait parler Céline :
« Nous sommes à l’ambassade d’Allemagne, rue de Lille chez Otto Abetz qui reçoit quelques vieilles connaissances. Pas question de taper le carton pour autant. L’ambiance était morose.
Il y avait là mon vieux copain Gen Paul, Drieu, Benoist-Méchin…
Toute la clique à mine sinistre qui quémandait des nouvelles encourageantes venant du front, les Boches n’en finissaient plus de reculer…
Notre hôte, le brave Abetz, essayait bien de temporiser, pour sûr que les forces de l’Axe finiraient par remporter la victoire et qu’on allait leur mettre une déculottée aux angliches…
Tout ce verbiage sonnait faux, pire qu’un guignol enrhumé.
Moi, je m’emmerdais solide. À mes côtés, Gégène buvait et il y mettait de l’ardeur le brave, à mille lieues ses rodomontades et des belles manières qui engluaient la soirée.
Sauf que, à un moment, j’en ai eu marre ! Fallait que ça sorte ! Alors je me suis levé, qu’ils comprennent qu’on s’en foutait de leurs mondanités.
ASSEZ !
J’en ai assez d’écouter des conneries ! Ma parole ; à force de vous pousser le petit doigt dans le pif quand vous levez vos tasses, vous l’avez perforée votre cervelle !
Reste plus rien !
Si. Il reste du Riesling.
La suite est conforme au récit de Benoist-Méchin. Sauf la conclusion : « On nous a foutus dehors… Manu militari… J’avais beau m’indigner, on nous raccompagnait jusqu’à nos pénates, à coups de bottes au cul si nécessaire. »
GEN PAUL (1895-1975)
Autoportrait à la cravate bleue, 1927
Huile sur toile, signée en haut à gauche, datée 27 en haut à gauche.
46 x 38 cm
C’est en 1969 que des extraits d’un entretien avec Gen Paul furent diffusés dans l'émission « un Céline l’autre » ¹. Témoignage exceptionnel recueilli par Alphonse Boudard et Michel Polac. L’interview eut lieu chez l’artiste, alors âgé de 74 ans, à Montmartre. D’emblée, il lui fut demandé de définir Céline.
...Louis-Ferdinand Céline, c’est un monstre, qu’est-ce que tu veux? Un homme qu’on ne peut pas suivre.
- C’est vrai qu’il ne voulait plus vous voir à la fin?
- Oh, moi, je ne voulais plus le voir.
- C’est vous qui ne vouliez plus le voir?
- Non, non, je ne voulais plus le voir...
- Pourquoi?
- Il ne m’a fait que des vacheries. Peut-être qu’il l’a fait sans le vouloir. Je suis resté dix piges sans pouvoir vendre un tableau à cause de lui. J’ai divorcé à cause d’une lettre qu’il avait envoyée à ma femme ².
- Qu’est-ce qui s’était passé?
- Il était saladier, il était jalmince, il fallait qu’il détruise...
- Comment l’avez-vous connu?
- Ben, je l’ai connu dans des cours de danse. Je l’ai connu au moment du Voyage. On fréquentait la ballerine, quoi. Autant fréquenter des ballerines que des bonniches, c'est quand même mieux, hein? Moi, je les prenais comme modèles, et lui, il les massait. Il avait le sens de l'esthétique.
- Il était amoureux de temps en temps ou c’était des passades?
- Il était pas amoureux, non. Il avait le sens du beau. C’étaient des filles qui étaient placées, qui avaient des fois des petites tronches, mais il était mordu quand même par la danse. Et la danse, c’est quand même quelque chose, non? Puis derrière ça, il y a la musique...
- Alors, tu dis qu’il n’était pas antimilitariste, Ferdine?
- Ah, pas du tout, dis donc, pas du tout! Il y a un truc qui m’a toujours épaté, c’est quand... Il a fait un mois de griffe, un mois de front, pas plus. Ça a été héroïque, y a eu des reproductions, on en a parlé dans Le Petit journal ³, toutim, médaillé militaire... Mais il avait la bonne blessure. Ça n’empêche pas qu’il a rempilé pour Londres. Il était patriote, quoi. Il l’a toujours été. Quand il avait sa médaille militaire, il était très fier de la porter. Un jour, il y a Ferdine qui dit à Geoffroy 4: « Bon, je t’invite à dîner ce soir. " L'autre répond: " C’est pas possible. T’as hérité ? " Il dit:" T’en fais pas. »
- Ils vont dans une "French soupe", un restaurant français, et ils bouffent toute la carte. Geoffroy l'attendait, [se disant]: " Il va sortir son mornifle. " Il appelle le patron. Il s'était mis en uniforme, Ferdine, et il dit au tôlier : " Est-ce qu’on paie avec une médaille comme ça ? " Alors, l’autre, il a donné le coup de chapeau, tu comprends. Ferdine avait gagné. (...) Enfin, il aimait le panache... C’est marrant, physiquement, il avait une belle gueule quand il était jeune, mais il avait un corps de gonzesse, dis donc, pas un muscle! Et des fois, il jouait, il allongeait la jambe comme ça, disant: " J’aurais pu jouer les fées. " Puis, il avait une grosse tronche, il chaussait du 60 comme tronche. Il n'a jamais pu mettre un chapeau. Il m'a dit: " Moi, j’ai une bouille à porter la couronne, j’ai une tête de roi. " Je peux pas en dire autant. On m'a toujours dit que j'avais une tête d'épingle. C'est un peu l'esprit de Ferdine, ça lui réussissait pas mal...
- Il était roi? Il était pas anarchiste?
- Il n’a jamais été anar! Pourquoi anar? En dehors de ça, il avait des coups de marrance. Il faisait l’ours, il parodiait l’ours 5. Oui, il avait parfois des côtés "", des côtés chouette, quoi. Autant, je te dis, il pensait qu'il avait la tête royale, mais des fois, il faisait très bien le triboulet, le marrant, mais pas en public, entre moi et lui. Du reste, dans tout son comportement, il parlait pas de son pognon, mais il faisait tout pour en avoir. Il était toujours inquiet de le placer, soit à Londres, soit au Danemark, soit au matelas. Des fois, il attrapait un lumbago: il mettait son jonc sous le matelas! Il était toujours en voyage avec son pognon. J'ai jamais vu le morlingue de Ferdine! Un jour, j'étais dans un p'tit bistrot. Il y avait la môme La Pipe, Almanzor, et il venait prendre le café avec nous. Il venait pas déjeuner. Alors, je lui payais le café. Normal. Puis la môme Almanzor dit: "Je mangerais bien six huîtres." Il dit: "Ah, tu voudrais pas que je te paie six huîtres avec mes quatre-vingts balles que je gagne au dispensaire !". C’était tout l’esprit de Ferdine, ça.
- Tu l’as toujours connu comme ça?
- Toujours. Il avait un porteuf’ avec des ficelles et un tout petit morlingue. Je l’ai vu payer son journal. Je l’ai jamais vu raquer. Et puis la môme, bon, elle était bien. Il y a eu un amour quand même, ils s’aimaient tous les deux. Mais c’était pas la paire de bas de soie, etc. (...) Ce qu'il y avait de terrible avec Ferdinand, c'est qu'il aimait bien donner ses idées mais pas son pognon, tu piges? Moi, il m'appelait le diable, "", parce que je marchais pas dans tous ses condés. (...) Un jour, je lui ai présenté Marcel Aymé. Il l'a regardé d'un coup de châsse comme ça, il lui a dit: " Petit plumaillon ! ".
- Il aimait venir ici, écouter les histoires de la Butte?
- La Butte, non... Il n’y a rien dans la Butte. Il y a toujours des événements, des fois il en parlait, mais tu vois...
- Il parlait de politique?
- Ben, c’est comme nous si on parlait du référendum 6. Je ne sais même pas ce que c'est le référendum, mais on en parle. Mais lui, il avait le sens... Il était français. Moi, je vois Ferdinand comme un Français, c'est tout. J'ai jamais eu de discussions politiques avec lui.
- Les juifs, il n’en parlait jamais avec vous?
- Ah ça, je le laissais divaguer. Il avait un truc, quoi. Quand il a écrit Bagatelles, il en parlait, mais je le laissais délirer. J'étais pas forcé de participer non plus, hein! Y a des mecs qui sont anticléricaux, ou anti-bourgeois, ou anticapitalistes. Tu peux pas leur changer leur disque, hein? Alors bon, je l'écoutais mais j'étais pas forcé de participer.
- Vous l’avez toujours connu comme ça?
- Oh non! ben non.
- Avant Bagatelles, il n'était pas antisémite?
- Pas du tout. (...) Il se persécutait lui-même, il persécutait les autres.
- Il maniait l’argot aussi bien que vous?
- Je ne sais pas si je le manie. Moi, j’ai connu Ferdinand: il parlait pas l’argot. (...) Je me souviens quand il a écrit Guignol’s band, il voulait décrire les docks de Londres. Un jour, il me descend. Il me poire: " Dis donc, je cherche un mot. Un mot qui n’est ni une odeur animale, ni une odeur humaine. " Tu sais, quand tu vas dans les docks, ça renifle, ça a une odeur. Alors, je cherche, on cherche... Il me dit: " Je veux un mot mais qui monte en l’air ! " Ça faisait partie de sa musique. Tu dis "é", c’est à ras de terre.pour "", "é", "". Alors, on cherche, on cherche... Puis, je me suis souvenu que... dans mes voyages en Espagne, la pâtisserie était aromatisée à la cannelle. Je lui dis: " Cannelle. " Ah, il s'exclame: " C’est ça que je voulais ! Cannelle !!!"
(Propos recueillis par Alphonse Boudard et Michel Polac)
Notes
1. Émission "Bibliothèque de poche" de Michel Polac, O.R.T.F., 2ème chaîne de la télévision française, 8 et 18 mai 1969.
Dans cet entretien, Gen Paul utilise quelques termes argotiques: coup de châsse (coup d'œil); griffe (soldat); jalmince (jaloux); jonc (or); marrance (amusement, rire); morlingue (porte-monnaie); mornifle (monnaie); poirer (surprendre); raquer (payer); toutim (tout et le reste).
2. Il s'agit de sa seconde femme, Gabrielle Abet, née en 1925. Sur cette affaire, voir le chapitre " Gaby sans Gen Paul " in Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør), Du Lérot & La Sirène, 2004, pp.-272. Selon les auteurs, " les propos affectueux, d’ami et de médecin, n’apportaient pas de grandes révélations à Gaby, qui dut quitter Gen Paul pour des raisons plus personnelles."
3. Confusion avec L’Illustré National.
4. Georges Geoffroy, camarade de Louis Destouches (né, comme lui, en 1894) au 2e Bureau à Londres en 1915. Voir le chapitre qui lui est consacré dans Images d’exil, op. cit., pp. 251-253.
5. "En effet c’est mon numéro, je danse l’ours à s’y méprendre. Ça me va avec mes vertiges, d’un pied sur l’autre je me dandine comme ça presque sans bouger, les bras ballants, la tête branlante... D’abord il le savait bien, on l’avait travaillé ensemble... Les voilà tous à rigoler. Faut que je leur fasse la danse de l'ours" (version A de "éerie pour une autre fois" in Romans IV, Gallimard, 1993, p. 635).
6. Cet entretien se déroule à l'époque du référendum, initié par de Gaulle, sur la création des régions et la rénovation du Sénat. L'échec de ce référendum allait entraîner sa démission.
GEN PAUL. Peintre, gouachiste, dessinateur, graveur, lithographe. Montmartre (96, rue Lepic), 2 juillet 1895 - La Pitié-Salpêtrière, 30 avril 1975. Né à six heures du matin dans une maison peinte par Van Gogh, de Joséphine Recourcé, brodeuse, et de père non dénommé. Le 5 juin 1897, sa mère épouse Eugène Paul, plombier et peut-être musicien de cabaret ; le 19 décembre 1902, ils légitiment leur fils qui a sept ans. Dès 1908, il commence à peindre et à dessiner (" Autoportrait", crayon). Son père meurt en 1910, il est alors apprenti tapissier. Paul devance l’appel et se retrouve au 111e Chasseurs ; blessé au pied en 1914, remonté au front, il est de nouveau blessé et, sur l’intervention de sa mère, on l’ampute de la jambe droite, en 1915. De retour à Montmartre en 1916, il épouse, à la Mairie du XVIIIe, Fernande Pierquet, ils s'installent au 2, impasse Girardon dans un appartement qu'il habita jusqu'à son décès. Pour survivre, il fait différents petits boulots et recommence à peindre des fleurs, des têtes et le Moulin de la Galette, en face de chez lui. En 1917, il vend ses œuvres, signées Gen Paul, à Ragueneau, un brocanteur ; se lie avec Émile Boyer et Frank-Will, ils font de la musique et, avec l'argent de la manche, mènent joyeuse vie. Juan Gris au Bateau-Lavoir lui offre pinceaux et vieux tubes de couleurs. Mathot lui demande des œuvres à la manière de Monticelli, Daumier, Lebourg... Eugène Delâtre l'initie à la gravure, il vend des vues de la Butte à l'aquatinte aux brocanteurs. À partir de 1920, Gen Paul entame une évolution, ses paysages urbains sont mieux construits ; il entre au Salon d'automne et commence une longue série de voyages en France ; à Marseille, Leprin le guide dans les vieux quartiers et dans les maisons de tolérance. En 1921-1922, Gen Paul découvre le Pays basque espagnol ; Chalom s'intéresse à ses tableaux. De 1923 datent ses premiers portraits, surtout des clowns, ainsi que les premières vues de Montfort-l'Amaury, l'année suivante Gen Paul fait la connaissance de musiciens, en particulier du violoniste Noceti ; il voyage à Bilbao, à Motrico, expose à Anvers et à Londres. À partir de 1924, Gen Paul amorce une évolution solitaire, il commence à s'éloigner de la peinture de ses amis Utrillo, Leprin, Génin, Quizet et Frank-Will, chahute les sujets et en vient à créer une forme personnelle d'expressionnisme du mouvement ; il trouve ses sources au Musée du Prado, auprès du Gréco, de Velásquez et surtout de Goya. Les visages et les personnages prennent de plus en plus d’importance. Jusqu’en septembre 1930, il voyage, travaille sans arrêt, saisi d’une sorte de frénésie créatrice faisant dire par Me Maurice Rheims "'il a peint quelques-uns des meilleurs tableaux du siècle" durant ces cinq années. La galerie Bing, en 1928, l'expose avec Picasso, Rouault, Braque et Soutine qu'il ne connaissait pas encore. Bing, dans un long texte consacré à Gen Paul, le met au même niveau que ceux-ci. Il peint des musiciens que l'on sent jouer, des portraits impressionnants, ainsi que des paysages basques, des vues de Montmartre et de quelques villes de la banlieue de Paris. Gen Paul signe un contrat avec Bernheim, dénoncé après le krach de 1929. Épuisé par une vie trop intense, miné par l'alcool et par une affection contractée à Alger, Gen Paul s'écroule à son passage à Madrid, au troisième trimestre 1930, et manque mourir. Après une cure, il revient à Paris et se remet lentement. Commence alors la troisième période de son œuvre, entre 1930 et 1945, période que certains ont qualifiée de célinienne en raison de son amitié avec Céline à partir de 1932, et non en raison d'une quelconque influence de l'écrivain sur son œuvre. Il peint assez peu à l'huile, les couleurs sont plus claires et le trait du dessin, plus apparent. Par contre, durant ce temps ses dessins et ses gouaches sont de grande qualité, il élargit encore le choix des sujets traités. Dans son atelier se tient une sorte de cénacle qu’il préside avec Céline et Marcel Aymé ; il est fréquenté par des comédiens, des musiciens, des médecins, des écrivains et des personnages pittoresques. Parmi les habitués : Carco, Jouhandeau, Fernand Ledoux, Berthe Bovy, les clowns Rhum et Porto, Dorival et René Fauchois. En 1934, le 20 octobre, il est nommé par décret chevalier de la Légion d’honneur. Outre ses œuvres sur toile ou sur papier, Gen Paul réalise une fresque de 100 personnages, pour le Palais du Vin à l’Exposition Internationale de 1937, dessine des lithographies, se brouille avec Céline en 1937, puis se réconcilie avec lui. La mort de sa femme en 1939, après 23 ans de vie commune, la guerre toute proche, le manque d’amateurs pour ses tableaux le démoralisent, il part sur la Côte d’Azur, à Sanary, rejoindre les peintres, puis à Marseille. Rentré à Paris, il fréquente le restaurant de la rue Tholozé "Pomme" et les amis restés dans la capitale. Denoël lui confie l’illustration du Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit, en 1942. La quatrième période commence en 1945, on la qualifie de calligraphique. Gen Paul renoue avec les milieux hippiques qu'il peint à l'huile et à la gouache. Avec ses amis peintres, il crée, en 1946, une fanfare pour faire parler d'eux, dénommée "Chignolle". Elle comprend Agostini, Blanchard, Frank-Will, Marcel Aymé. Il reprend les sujets qu'il a traités auparavant, dessine énormément. Les vues de la Butte et de Paris, les musiciens entre 1948 et 1958 sont de grande qualité. Il produit beaucoup, et le succès est là, c'est devenu un monstre sacré, le témoin du Montmartre du début du siècle. Il se marie avec Gabrielle Abet en mai 1948, et divorce en 1951. Son fils naît en 1953, à Genève. Il expose à Paris (chez Drouant-David, 1952, catalogue préfacé par Francis Carco), à New York, à Genève (galerie Ferrero), il voyage toujours, du moins jusqu'en 1966. À partir de 1964, il cesse de peindre à l'huile, se réfugie dans son appartement ; c'est l'époque des portraits dit "télévision". Il continue de dessiner et de gouacher, réalise des lithographies. Rétrospective chez André Pacitti en 1972. Le Dr Miller édite un livre en hommage au peintre qu'il lui offre le 25 décembre 1974. Hospitalisé en 1975, il meurt d'un cancer à l'hôpital le 30 avril. Quelques expositions lui sont consacrées après son décès. La plus importante est celle de 1995, à l'occasion du centenaire de la naissance du peintre, au Couvent des Cordeliers, réalisée par André Roussard, qui réunit une centaine d'œuvres expressionnistes de la seconde période (1924-1930) -, cent chefs-d'œuvre pour la gloire de celui que le critique de La Gazette de l’Hôtel Drouot, commentant l'exposition, qualifie ainsi : "Gen Paul est sans doute le plus grand représentant, et peut-être le seul, de l'expressionnisme de tradition française". Le catalogue comporte une préface d'André Roussard, un texte du Dr Miller, une biographie revisitée de Guy Mairesse, ainsi qu'une analyse d'A Marca, responsable de l'édition du catalogue. Œuvres aux Musées de Berne et de Granville ; le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris conserve dans ses réserves deux grands tableaux de la fin des années 30. Œuvre graphique. (.)
Notice due à André Roussard, spécialiste de Gen Paul. Depuis de nombreuses années, il dresse le répertoire et archive la documentation sur la vie et l’œuvre du peintre. Pour plus de renseignements, contacter les Éditions Roussard, 13 rue du Mont Cenis, 75018 Paris. Tél. : 01.46.06.30.46. Courriel : roussard@noos.fr