Que voulez-vous, un mec qui affirme en ouverture de son livre « Les dégustations m’ennuient », bénéficie auprès de moi d’un beau capital de sympathie.
Au tout début de mon parcours de blogueur amateur je me suis astreint à pratiquer la dégustation au beau milieu de dégustateurs patentés ou présumés tel, même des retraités qui s’accrochaient désespérément à cet exercice. Si je puis l’écrire j’en ai vu de toutes les couleurs, je donnais le change, en prenant, à l’instar de mes collègues, des airs inspirés. Cependant je n’ai jamais su faire tourbillonner le vin dans mon verre tenu par la base du pied. Avec le temps j’ai petit à petit appris à cracher sans tacher mon écharpe blanche. En dépit de tous mes efforts je n’ai jamais pu prendre une quelconque note sur les petits carnets qu’on nous distribuait. Très vite je me suis aperçu que les agences de com. organisatrices des dégustations pratiquaient la politique du chiffre et je me suis dit mais qu’est-ce-que tu fais là ?
Tu es un dégustateur imposteur.
Le Tartuffe de Molière était sous-titré l’Imposteur «L’imposture» est le masque de la vérité ; la fausseté, une imposture naturelle ; la dissimulation, une imposture réfléchie ; la fourberie, une imposture qui peut nuire ; la duplicité, une imposture à deux fins. » Vauvenargues, De l’esprit Humain.
Pour me réconforter, résister à la pression des grands chefs de la dégustation, je me repliais sur ce que je savais mieux faire : bavasser avec les vignerons. Très vite je me suis aperçu que ça les distrayaient car beaucoup d’entre eux en avaient ras la casquette de jouer les distributeurs de verres face à des mecs qui se la pétaient grave. Ce dévoiement du cérémonial me valait des remontrances des adeptes du nez dans le verre.
Et puis, j'ai envoyé balader les agences de com. et me suis éloigné du troupeau, plus de dégustations de masse, de déjeuner de presse...
Revenons au sieur Caribassa qui enfonce le clou : « Sérieuses ou ludiques, elles revêtent un aspect monotone qui tient autant au rituel lui-même qu’à la perception routinière qu’elles finissent par donner du vin. S’y mêlent une méthode scolaire au point d’engendrer la torpeur et un bachotage stérile qui voisine avec l’esprit de compétition le plus mesquin. »
« Depuis quelques années, cet exercice austère est devenu la manière normale de boire, d’un grand nombre de femmes et d’hommes, en France et à l’étranger. »
On jargonne le jargon « d’une corporation qui s’est évertuée à professionnaliser son savoir, et l’honnête homme s’est u dépouiller progressivement, dans la deuxième moitié du XXe siècle, du privilège de choisir comme il l’entendit les mots dont il userait pour s’exprimer. »
Étant un buveur mutique, j’écoute d’une oreille distraite « la langue froide et sèche » des maîtres de la dégustation.
Chiants !
Ça vaut aussi bien pour les Lpviens que pour certains licheurs de vins nu adeptes du je te dis que c’est de la Syrah !
Pour ces gens-là, « Déguster n’est pas s’envoyer un verre au travers du gosier, c’est un exercice intellectuel difficile qui rationalise la perception en mobilisant les sens. Autant que possible, on ne boit pas le vin. On le crache, après l’avoir fait rouler longuement contre la langue et les joues. »
Comme l’avait lancé à la télé Maurice Clavel « Messieurs les censeurs, bonsoir ! », en effet ces éminents dégustateurs traquent les défauts du vin, « les déviances minutieusement cataloguées reçoivent des noms infamants, on y associe certaines molécules, certains états de la matière, et cette liste insatisfaisante, jamais achevée, s’allonge régulièrement. »
Des pédants, des précieux ridicules, des poseurs, des qui génèrent des générations de consommateurs qui s’excusent de ne pas y connaître grand-chose, soit plus de 90 % de la population des consommateurs de vin.
Comme François Caribassa, je pense que la dégustation fabrique une croyance « elle amène à juger supérieurs des vins que l’on n’a en fait peu de plaisir à boire. Autrement dit, il y a les vins qu’on boit et ceux qu’on déguste. Pour les premiers, aucun discours n’est prévu. »
L’échelle de soumission aux experts
Maniant la complexité, le langage d’experts, les œnologues-conseils, les winemaker, ont petit à petit étendue leur emprise jusqu’à polluer les vignerons eux-mêmes, ils les ont éduqué, « dépossédés de la valeur artisanale de leur savoir. »
« ... j'étais encore indécrottablement rationnel, prétentieux, timoré et avare dans ce dedans de ma tête de Blanc qui croit détenir le pouvoir de commander au mouvement en s'opposant à lui, au lieu d'aller avec lui, de se fondre en lui, d'abord, et d'obéir ensuite à ce que décide le corps. » (1)
Ces rationnels, ces qui maîtrisent tout, ont la prétention de nous faire accroire que « les vins modernes sont meilleurs que les vins des époques passées. »
« La transformation progressive du buveur en dégustateur est une véritable aliénation. Là où s’établissait un rapport libre au corps et au monde, là où l’alimentation rencontrait l’ivresse et la commensalité, ne règne plus que la contrainte. »
À ce stade de son dézingage le sieur Caribassa place l’estoc qui me ravi en dénonçant la lubie moderne des accords mets&vins.
Et puis, le grand dégustateur méprise le buveur car celui-ci peut atteindre l’ivresse, et il « révèle son plus triste visage, celui d’un moraliste à la solde des pouvoirs publics. »
Tristes et chiants !
Je m’en tiens-là car le mérite du livre de François Caribassa c’est qu’il pose la question : « Qu’est-ce que boire ? » pour ensuite y répondre.
Alors, achetez-le, lisez-le !
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Face à tant de prétention comme l’écrivait Alain Gheerbrant dans La Transversale los Racionales y los Pelados (1)
« Quelques coups de pagaie et je m'aperçus que nous allions donner droit sur un vaste entonnoir, creux d'un bon mètre en son centre. J'eus une seconde d'hésitation : barrer à droite, à gauche ? Ma tête me dit de barrer à droite, pour écarter la pointe de cette cible où nous allions nous planter.
Mais c'était aussi offrir le flanc à la force d'attraction croissante, qui nous happa par le travers. Toutes les têtes se tournèrent vers moi. J'allais perdre le contrôle de l'embarcation et nous basculerions inexorablement au fond de l'entonnoir dans un tête-à-queue.
La voix du capitaine lança un ordre bref, cinglant, courroucé, et ma pagaie se redressa, visant le tourbillon ; nous l'effleurâmes de la pointe et il nous lança au loin comme une flèche en tangente, de toute sa force devenue centrifuge. C'était cela qu'il fallait faire, aller dans le sens du danger, le toucher du bout du doigt de telle façon que sa force elle-même nous rejette après nous avoir attirés.
Eussé-je écouté le corps de la pirogue, accepté spontanément que mon propre corps en fût partie intégrante, je n'aurais pas fait cette faute. Au lieu de quoi, placé dans une situation nouvelle, je m'étais précipitamment réfugié dans ma tête close, et ses raisonnements abstraits, et nous avions failli naufrager. Six mois à l'école des Indiens n'avaient donc pas suffi : j'étais encore indécrottablement rationnel, prétentieux, timoré et avare dans ce dedans de ma tête de Blanc qui croit détenir le pouvoir de commander au mouvement en s'opposant à lui, au lieu d'aller avec lui, de se fondre en lui, d'abord, et d'obéir ensuite à ce que décide le corps. »