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1 octobre 2017 7 01 /10 /octobre /2017 09:15
Pour les adeptes des « fake news » : La préfète de Saint-Martin Anne Laubiès ne pouvait qu’avoir abandonné son poste sous les coups de l’ouragan Irma

« Twitter est désormais le terrain de jeu est quantifié, quadrillé, scruté et manipulé. Il est une fenêtre sur le bruit du monde, l'écume des mots déposés sans filtre à la merci du premier visiteur unique. Vous ouvrez Twitter et vous cherchez au milieu d'une montagne d'ordures le petit caillou qui brille, en souvenir d'un temps que les moins de vingt ans ne veulent même pas connaître. 

 

Foire d'empoigne des anti-contres, antichambre de l'ennui sponsorisé, Twitter et peu à peu Facebook se transforment en déversoirs de notre dépression collective, calculée par datas et par affinités. »

 

Parmi les cibles favorites de ces snippers : le fonctionnaire avec une mention spéciale pour le haut-fonctionnaire…

 

Dans le marigot du vin, l’un d’eux, porteur de valises chez B&D, sur son compte personnel n’en rate pas une, il est le haut-parleur des fameuses « fake news », les fausses nouvelles, les rumeurs, tout ce qui peut salir tous ceux que ce petit homme exècre.

 

Alors, dans la tourmente d’Irma, avec une joie malsaine, il s’est empressé de relayer la fausse information relayée par Radio Caraïbe International et les réseaux sociaux selon laquelle, au choix : La préfète de Saint-Martin Anne Laubiès, s’était enfuie, blessée, virée ou remplacée.

 

« Coupée du monde pendant plusieurs jours, sans Internet ni réseau téléphonique, Anne Laubiès ne comprendra que beaucoup plus tard qu’Irma, ravageant l’île et causant 9 morts directes, plus de 300 blessés, et probablement quelques disparus, porte aussi le nom d’une catastrophe de l’ère des informations mensongères, les « fake news » comme disent les internautes. Il s’est dit tout et n’importe quoi, sitôt l’ouragan parti vers la Floride : centaines de cadavres flottant sur la mer, prisonniers imaginaires enfuis dans la nature, gendarmes ligotés… Sur les réseaux sociaux, c’était le grand déballage, la revanche contre les médias « menteurs ».

 

Après la découverte de la fausseté de leurs fientes, ces gens-là n’ont aucune honte, ils plaident la bonne foi prise en défaut, sauf que ce sont des récidivistes et que leur vindicte vise toujours les mêmes cibles.

 

Ce matin je vous propose donc de lire le remarquable papier d’Ariane Chemin :

 

La nuit où l’ouragan Irma a dévasté la préfecture de Saint-Martin

 

 

Vingt-trois personnes, représentant tous les corps de l’Etat, étaient réunies dans le bâtiment préfectoral durant le passage du cyclone Irma. Mais le centre de commandement lui-même a volé en éclats.

 

LE MONDE | 19.09.2017 à 06h44 • Mis à jour le 19.09.2017 à 13h18 | Par Ariane Chemin

 

La ruine est posée en haut de Fort-Louis, sur la colline qui domine Marigot, le chef-lieu de la partie française de l’île. Une semaine après qu’Irma a frappé avec la force d’un Cyclope les Petites Antilles, la préfecture de Saint-Martin ressemble à une maison bombardée, privée de toit, de la plupart de ses cloisons et de ses murs.

 

A plusieurs mètres autour d’elle, archives et brochures détrempées forment un tapis blanc qui gondole entre les tôles. On marche sur un Guide des collectivités locales, un livre ancien consacré à La Caraïbe, des cartes IGN, une « note congés 2003 », un classeur de « fiches cyclistes 2007 », des pages d’un dictionnaire ouvert à « A » comme « allumage », « allume-cigare », « allume-gaz ».

 

Ce jour-là, la porte n’est pas (encore) fermée à clé. Il faut passer sur des vitres brisées, enjamber des tiroirs, pousser un meuble dans l’escalier menant aux « préfet, secrétaire général, salle de réunion » pour comprendre à quoi ressemblait le cyclone Irma, cette nuit du 5 au 6 septembre, quand il s’est engouffré dans ces locaux. Au coin d’un bureau encombré de tôles et de bouts de volets, une bouteille de rhum, intacte. Par terre, dans un couloir, une machine à café renversée et, posées sur un bureau, quatre assiettes sales, comme abandonnées au milieu d’un repas.

 

La préfecture de Guadeloupe s’est contentée de deux phrases dans son « point de situation » consacré à Irma, le 6 septembre : « La préfecture est en partie détruite. La préfète et 23 personnes se sont réfugiées dans une pièce bétonnée. » Un huis clos inédit dans l’histoire de la République. Que s’est-il donc passé, entre ces murs, la nuit de l’ouragan ?

 

« Une petite réduction de la France »

 

L’histoire commence le mardi 5 septembre vers 8 heures du matin. Un ballet de voitures se fige devant la préfecture de Saint-Martin, devenue pour quelques jours le centre de commandement « Irma ». Ce sont les différents représentants de l’Etat chargés d’affronter l’ouragan et de coordonner les secours. Anne Laubiès, la préfète déléguée, a quitté l’une des premières sa maison de la baie d’Anse-Marcel pour rejoindre Marigot, le chef-lieu de la partie française de l’île.

 

Main sur le volant, bras posé sur la fenêtre de sa Nissan, elle s’amuse, comme à chaque fois qu’elle emprunte le dernier raidillon avant la préfecture, de l’alignement parfait des vestiges laissés derrière elle : un four à pain du Moyen-Age, un calvaire, puis les ruines du Fort, ultime construction de la monarchie française pour protéger le sucre, le sel ou l’indigo des entrepôts de Marigot. « Une petite réduction de la France », pense-t-elle en garant sa voiture devant « la préf », comme elle dit.

 

C’est un bâtiment plutôt moche, un parallélépipède sans unité architecturale ni cachet tropical. Les Saint-Martinois s’y rendent surtout pour obtenir des titres de séjour, des papiers d’identité ou des cartes grises. Aux guichets, on y parle plus souvent anglais ou espagnol que français. Depuis son arrivée, en juin 2015, Anne Laubiès planche sur sa rénovation, désormais imminente, se réjouit-elle, car cet ensemble de bric et de broc ne donne pas une bonne « image de la France ». Les avant-projets de l’architecte sont connus dans les moindres détails, et le déménagement des équipes, le temps des travaux, est prévu pour le 1er janvier.

 

Le vent souffle déjà fort quand la préfète s’engouffre dans le hall. Depuis 8 h 15, Irma est devenu un ouragan de catégorie 5, la plus forte sur l’échelle de Saffir-Simpson. Au large, les vents atteignent déjà 280 km/h. Tous les corps de l’Etat ou presque ont été réquisitionnés, notamment sept membres de la préfecture, dont Anne Laubiès, chargée de diriger les opérations de secours.

 

« On va pas faire pleurer Mirza ! »

 

C’est une femme de 64 ans aux cheveux gris, d’abord un peu autoritaire et raide, mais en réalité très simple, ni bling-bling ni poseuse. Elle parle au boulot comme dans la vie, avec des pointes de gouaille et des mots de tatie flingueuse. D’ailleurs, elle n’a pas fait l’ENA et préfère lire auprès de ses chats que courir la lumière ou s’apitoyer sur son sort. « On va pas faire pleurer Mirza !  », répondra-t-elle tout de go quand, cinq jours après le passage d’Irma, on la supplie d’évoquer ses souvenirs.

 

Avec elle, ce 5 septembre, son chef de cabinet, Emmanuel Effantin. « Effantin », comme elle l’appelle. Il vient d’être nommé à Gap, avec une promotion à la clé, et doit quitter l’île le 11 septembre. Il se dit souvent que, à Saint-Martin, il a passé « plus de temps à bosser dur avec la préfète qu’avec sa femme ». Comme d’autres dans l’équipe, il est inquiet, ce mardi matin, d’avoir laissé sa petite famille chez lui et culpabilise un brin depuis que son épouse a soupiré : « Toi, au moins, tu seras à la préfecture… »

 

Dans l’équipe de crise figurent aussi deux militaires des forces armées aux Antilles (FAA), dont le lieutenant-colonel Hervé Peyre, une baraque en treillis. Le chef d’escadron Sébastien Manzoni, lui, dirige la compagnie de gendarmerie des îles du Nord. Egalement convoquée, la vice-présidente de la collectivité de Saint-Martin, Annick Petrus-Ferga. Signalons encore, au sein de l’équipe, cinq membres des unités d’intervention de la sécurité civile, dont la douce Naïma, une sapeur-secouriste, sans doute la benjamine de la bande.

 

Sans oublier les représentants des affaires maritimes, de l’agence régionale de santé, du service Territoire, mer et développement durable de l’île. Enfin, trois pompiers, dont Siegmund Bajazet, arrivé de Guadeloupe quelques jours plus tôt, une armoire à glace à côté de laquelle même les costauds du staff se sentent chétifs.

 

« Ça ne peut pas être pire que Luis »

 

Depuis midi, le cyclone est entré en vigilance rouge : Irma doit frapper dans un délai de six à douze heures. « Il faut partir maintenant, votre vie est en jeu », répète depuis trois jours la préfète sur tous les tons, insistant sur le caractère « exceptionnel » de l’ouragan à venir. Non sans mal parfois. L’échelle de Saffir-Simpson n’a pas de catégorie 6, et la plupart des Saint-Martinois qu’elle croise soupirent : « Ça ne peut pas être pire que Luis », en parlant du cyclone de catégorie 5 qui avait frappé l’île durant plusieurs jours, en 1995.

 

A 17 h 30, Anne Laubiès délivre ses ultimes recommandations sur Radio Transat, l’une des stations FM de Saint-Martin. Il est maintenant trop tard pour élaguer ses arbres, acheter une pharmacie de secours ou des réserves d’eau potable. Au micro de Thomas Krider, la plus belle voix de l’île, la préfète dresse la liste des écoles et des églises transformées en abris, rappelle qu’il faut renforcer portes et fenêtres, inventorie les zones à évacuer et ordonne surtout de ne plus mettre le nez dehors. A 22 heures, l’alerte passe au « violet », le stade du confinement.

 

De la salle de réunion transformée en QG, le panorama est d’ordinaire éblouissant. Les baies vitrées donnent d’un côté sur la pierre noire du fort, de l’autre sur la baie de Marigot et le port de Galisbay. Cette double exposition, comme diraient les agents immobiliers, avait semblé à la fois merveilleuse et incongrue à Anne Laubiès à sa prise de fonctions.

 

Cette baroudeuse née au Maroc de parents ultramarins en a pourtant vu d’autres, elle qui a navigué de Nouvelle-Calédonie à Saint-Pierre-et-Miquelon en passant par la Guyane. Elle sait aussi que les îles sont des aimants à tremblements de terre, tsunamis et ouragans. Dès 2015, elle avait d’ailleurs fait la connaissance des tempêtes tropicales Danny et Erika. A sa demande, des volets roulants anticycloniques avaient été installés en protection des baies vitrées. Il est temps de les activer : Irma s’annonce.

 

« La première catastrophe 2.0 »

 

En attendant, le poste de commandement est fin prêt. Pêle-mêle, sur la table : des ordinateurs pour le tracking météo, une main courante, du matériel pour les liaisons radio et les visioconférences. Tout est prévu, même le menu du soir : salade, tomates, fromage. Demain midi, ce devrait être du colombo et du riz. Mathieu Debels, un des gars de la sécurité civile, venu de Brignoles (Var), qui porte un Viking tatoué sur le bras, en salive déjà. Il est 23 heures, le moment limite pour une ultime mise à l’abri. « Veuillez rester confinés jusqu’à la vigilance grise », indiquent désormais le site de la préfecture et les alertes météo.

 

Le vent enfle, le vent ronfle, le vent hurle, mais chacun vaque à sa tâche, à commencer par l’informaticien de la préfecture, plutôt serein. Un coup de fourchette dans la salade composée, un tour au rez-de-chaussée dans la pièce où les renforts arrivés lundi ont déplié leurs lits picots… Le lieutenant-colonel Peyre a pu dormir un peu : il vient de Granville, dans la Manche, et « le nez dans le vent », il connaît.

 

Parmi le personnel de la préfecture, beaucoup ont déjà vécu des ouragans, et aucune angoisse ne sourd malgré le vacarme grandissant… « Dans cette salle, c’est toujours un peu les Hauts de Hurlevent », se dit la préfète. En apercevant Guillaume Jean – un ancien du « détachement Népal » envoyé à Katmandou après le séisme de 2015 – qui pose ses mains sur les vitrages commençant à trembler sacrément, elle interroge tout de même à voix haute : « Et si on descendait ? Si on allait en bas ? »

 

C’est aussi l’avis du chef d’escadron Manzoni. Ils emportent donc leurs affaires dans une pièce du rez-de-chaussée. Un QG plus exigu, mais plus sûr. On s’assied côte à côte sur les lits picots et, nez sur l’ordinateur, chacun travaille, anticipe, surveille, alerte. L’ambiance est sympa, parfois même rigolote, jusqu’au moment où la préfète constate qu’elle n’a plus de réseau. En réalité, c’est toute l’île qui s’apprête à perdre le contact avec le reste du monde et à vivre ce que la représentante de l’Etat appellera bientôt « la première catastrophe 2.0 » ; la preuve que, en pareil cas, un poste de commandement dépend peut-être trop du numérique.

 

« Un TGV traversant la préfecture »

 

Les choses partent vraiment en vrille peu après minuit. C’est en tout cas l’heure la plus vraisemblable, tant la chronologie, elle aussi, a volé en éclats dans les têtes des protagonistes de cette folle nuit. Certains ont entendu une « explosion », c’est le mot du lieutenant-colonel Peyre, d’autres « un tir d’artillerie ». Emmanuel Effantin compare, lui, Irma à « un TGV traversant la préfecture ». La dépressurisation est telle que les oreilles vrombissent, comme dans une brusque descente d’avion. La petite assemblée comprend qu’Irma a soufflé la porte de bois sur l’épaule de Manzoni et s’est engouffrée d’un coup dans la pièce, faisant voler la table, le meuble à archives, les lits, les dossiers, tout.

 

La préfète et son équipe n’ont pas le temps de réfléchir que déjà les militaires, les pompiers, la sécurité civile leur passent le bras sur l’épaule et font rempart de leur corps. Naïma la secouriste s’occupe d’Emmanuel Effantin, le caporal-chef Dabels visse son casque de protection jaune sur la tête de la préfète, gardant une simple cagoule et ses gants de feu.

 

« Les mains sur la tête ! Tous dans la pièce, là », ordonne Hervé Peyre en désignant le bureau où il s’était reposé quelque temps plus tôt, 5 mètres plus loin. Dans son esprit, c’est un repli provisoire, mais il comprendra vite qu’ils ne pourront plus en sortir, car Irma s’est désormais engouffré dans toute la maison.

 

« A terre, la tête dans les mains ! Protégez-vous les yeux ! », crie encore le militaire. En quelques secondes, il a pris d’autorité la situation en main. L’équipe de crise s’entasse dans le bureau de 3 mètres sur 4, accroupis les uns contre les autres autour de la préfète et de la vice-présidente de la collectivité. Siegmund Bajazet, le lieutenant sapeur-pompier, pèse de tout son poids sur la porte, qu’il vient de refermer. Le colonel Peyre pose de son côté sa large main sur la fenêtre, tout en continuant à donner des ordres. « On ne bouge pas. On ne panique pas. » En bon militaire, il sait aussi qu’en cas d’évacuation, il faut connaître le nombre exact d’individus présents. « On va se compter », lance-t-il.

 

Recroquevillés dans le noir et une chaleur à crever

 

Un, deux, trois et ainsi de suite jusqu’à vingt-trois… Recroquevillés sur eux-mêmes, les dix-huit hommes et les cinq femmes blottis dans le noir et une chaleur à crever ne devinent pas que le colonel sent la fenêtre devenir concave sous sa paume. Il leur parle régulièrement pour les distraire des bruits d’enfer venus de l’étage supérieur, une armoire qui vole, une cloison qui s’effondre. « Je change de main », prévient-il. Et ensuite : « Changement de main effectué ! » « On se compte », répète-t-il aussi. Lui a dénombré 24 personnes, un autre 23, il voit qu’il s’est trompé mais sait aussi que, dans ces moments-là, celui qui commande doit sembler infaillible. Ce sera 24, donc, y compris pour la petite histoire.

 

Il faut aussi affronter la pluie qui s’infiltre sous la porte. Elle monte peu à peu : 5 centimètres, 10, chacun a désormais les pieds dans l’eau. Le colonel conseille de se protéger le visage, il craint les éclats de verre si la vitre de la fenêtre se brise. L’une attrape une bassine et la pose sur sa tête, l’autre s’abrite sous une veste. Lui-même couvre son profil droit (côté fenêtre) avec la moustiquaire de son paquetage militaire : « Si elle pète, je serai le premier », se dit-il.

 

« Vous vous taisez ! Il fait déjà trop chaud et ça fait monter la température », lance-t-il quand il sent poindre la panique et qu’il entend un sanglot. Naïma réconforte le chef de cabinet de la préfète. « Allez, m’sieur Effantin, ça va aller. Envoyez des pensées positives à vos enfants et à votre famille. »

 

Combien de temps restent-ils ainsi ? Cinq heures ? Six ? Le colonel sent tout à coup que la fenêtre lui résiste moins : Saint-Martin entre dans l’œil du cyclone, une demi-heure d’accalmie pour reprendre des forces avant le retour de l’ouragan et commencer de mesurer le désastre. Siegmund pousse la porte en éclaireur et découvre le premier le champ de ruines. C’est Ravage à la préfecture : le bureau dont la porte avait lâché n’existe plus, ou presque ; de la salle de réunion vitrée, il ne reste plus que le sol en marbre roux.

 

Ciel blanc, mer jaune

 

L’un chasse les fourmis de ses jambes, une autre fonce aux toilettes, un troisième grille une cigarette. De leur côté, les militaires filent chercher des rations, fromage de chèvre fondu en boîte, terrine forestière, au cas où, ainsi que des bouteilles d’eau et des lampes. L’un d’eux apporte un tabouret à Mme la préfète, en prévision du retour du cyclone. Elle refuse tout net : « Tout le monde les fesses dans l’eau », ou du moins sur les coussins rouges attrapés dans un salon. Même réponse ferme de la préfète au chef d’escadron qui lui suggère d’appeler les gendarmes en renfort : « Pas question de les mettre en danger eux aussi. »

 

Cette fois, heureusement, le vent est moins violent. De plein nord, il a tourné à l’ouest. Le lieutenant-colonel a moins de mal à tenir la porte, Siegmund Barjazet a eu le temps de déplacer une armoire entre lui et la porte. Les 24 – qui sont en réalité 23 – s’accroupissent à nouveau, « la tête dans les genoux ! », sans imaginer que, une semaine plus tard, le « G24 », comme ils s’appellent en riant, se retrouvera pour dîner autour du président Emmanuel Macron.

 

Tandis que les hurlements des furies s’apaisent, un militaire part en « reco » : trop tôt, le vent reste violent. On entend la pluie tomber plus dru, signe que le cyclone s’éloigne pour de bon. Le ciel est blanc, la mer jaune. Il est 7 heures 30 du matin, Irma a bel et bien tourné le dos à Saint-Martin.

 

Les 23 sont là, devant la préfecture en ruine, heureux de respirer. Le premier à se retourner note que le fort construit au XVIIIe siècle a tenu bon, tout comme le Christ du calvaire et les briques réfractaires de l’ancien four de la garnison. La préfecture, au contraire, est ravagée, comme jamais dans l’histoire de France. Tant pis pour la maquette et les projets d’architecte, ensevelis ou emportés par le vent : ils ne servent plus à rien. Certains pensent aux Marianne et aux documents vierges, passeports et autres, conservés dans les coffres-forts : un butin précieux dans cette île où défilent toutes les nationalités d’Amérique du Sud et des îles les plus pauvres des Caraïbes (Haïti, Saint-Domingue, Cuba…). Il faudra aller les chercher demain.

 

« C’est Sarajevo »

 

Devant eux, ruisselante de pluie, Marigot ressemble à un entrelacs de toits de tôle couleur brique ou vert tilleul, de façades déglinguées et de gouttières de traviole. Les dentelles en bois blanc ajouré, détails charmants des façades de l’île, gisent sur les trottoirs. Des voitures sont empilées les unes sur les autres. Des voiliers posés sur la route du port comme des gros oiseaux morts. Les arbres, grillés par le sel, ont viré au marron ou au gris en une nuit. Pas une silhouette n’émerge avant un long moment dans les rues inondées.

 

La préfète tire sur un cigare, son péché mignon. Sa Nissan a « pris l’auvent de la préf sur la tronche », relève-t-elle, mais Anne Laubiès préfère observer de ses jumelles de marine les différents quartiers de l’île, Concordia, Agrément, Saint-James, Bellevue. Elle s’attarde sur le Causeway, ce pont si pratique qui permet de rejoindre l’aéroport Princess Juliana, du côté néerlandais de l’île, discerne ses pylônes, mais pas son tablier.

 

« C’est Hiroshima », glisse-t-elle après un silence. « Sarajevo, plutôt », corrige, en habitué des terrains de guerre, le lieutenant-colonel Peyre, dans son treillis de camouflage, l’un et l’autre conscients qu’aucun mot de la panoplie militaire ne peut décrire le spectacle ahurissant qui s’étale devant eux.

 

Coupée du monde pendant plusieurs jours, sans Internet ni réseau téléphonique, Anne Laubiès ne comprendra que beaucoup plus tard qu’Irma, ravageant l’île et causant 9 morts directes, plus de 300 blessés, et probablement quelques disparus, porte aussi le nom d’une catastrophe de l’ère des informations mensongères, les « fake news » comme disent les internautes. Il s’est dit tout et n’importe quoi, sitôt l’ouragan parti vers la Floride : centaines de cadavres flottant sur la mer, prisonniers imaginaires enfuis dans la nature, gendarmes ligotés… Sur les réseaux sociaux, c’était le grand déballage, la revanche contre les médias « menteurs ».

 

Entre deux réunions, elle apprend ainsi par ses amis du « G24 » qu’elle a été l’une des premières victimes de cette désinformation. Radio Caraïbe International et les réseaux sociaux l’ont dite, au choix, enfuie, blessée, virée ou remplacée. Devant nous, la préfète balaie d’un geste : « Je n’avais accès à rien. Ça m’a protégée. » Puis elle se sauve dans sa Nissan cabossée pour une visite à Sandy Ground, l’un des quartiers pauvres de l’île, un rendez-vous côté néerlandais avec le gouverneur de Sint Maarten, et un point sur la future tempête Maria, la petite sœur d’Irma.

 

 

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commentaires

P
Pierre LAZAREFF ne disait il pas que publier une erreur et un rectificatif cela faisait 2 informations ?<br /> Mais c'était un autre temps et une boutade de grand patron qui s'y connaissait en matière de nouvelles
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