Horreur, malheur, clameurs sue les réseaux sociaux lorsque Pascal Ory déclare sur France-Inter à un Nicolas Demorand estomaqué et confit dans ses images d’Epinal de gauchiste reconverti : « Mussolini était le Mélenchon de 1914 »
L’imparfait d’Ory, absolument justifié, a mis en transes tout le petit monde des Insoumis pour qui bien évidemment l’inventeur du fascisme ne pouvait qu'être dès l'origine qu’un type d’extrême-droite.
Ory a raison lorsqu’il affirme que « Mussolini était entouré d'anciens militants d'extrême-gauche" » « Il popolo d'Italia » (« Le peuple d'Italie »), le nom du journal lancé par Mussolini quand il fait dissidence en 1914.
En juillet 1902, Benito Mussolini s'exile en Suisse pour éviter le service militaire. Il vit d'un travail de manoeuvre sur les chantiers tout en militant activement dans les milieux syndicaux et socialistes. Il rencontre les réfugiés bolcheviques et fait connaissance avec les thèses de Lénine. Il apprend aussi l'allemand et le français.
En 1904, de retour en Italie, il se résout à accomplir son service militaire.
À partir de 1909, il se consacre au journalisme et prend en Romagne la direction d'un hebdomadaire socialiste, La Lotta di classe. Il publie par ailleurs un virulent pamphlet anticlérical.
Qualifié d'agitateur politique, il grimpe dans la hiérarchie du Parti socialiste et prend en 1912 la direction du journal national du Parti socialiste Avanti ! à Milan.
À l'aube de la Première Guerre mondiale, les socialistes prônent la neutralité de l'Italie et la non-intervention à la guerre. Mussolini, qui a reçu des subsides du gouvernement français, se convertit quant à lui à l'interventionnisme.
Dans un nouveau quotidien, Il Popolo d'Italia, qu'il fonde grâce au soutien financier de la malheureuse Ida Dalser, il prône l'entrée en guerre de l'Italie et s'engage volontairement comme soldat lorsque l'Italie entre en guerre en 1915 du côté des Alliés français et anglais.
La guerre est une expérience-clé pour Mussolini (comme pour Hitler). Il y forge ses idées sur la militarisation des partis, la violence et le nationalisme. Gravement blessé en 1917, il retourne à la vie civile et au journalisme, à la tête du Popolo d'Italia.
Après la guerre, Mussolini rompt sans rémission avec ses anciens amis socialistes et s'oppose à leurs velléités pacifistes et internationalistes. Ses options nationalistes recueillent de plus en plus d'écho dans le pays.
Ory n’a pas suggéré que Mélenchon allait faire la jonction avec l’extrême-droite, il affirme à juste raison selon moi que le populisme, c'est le renouvellement réussi de la pensée de droite dans un style de gauche.
Le passage de Florian Philippot, ex-admirateur du Che : Chevènement bien sûr, au Front National jusqu’à sa sortie en est la démonstration. La distinction jésuite entre les électeurs FN et l’adhésion aux idées du FN permet d’entretenir ce mélange comme ça été le cas pour le vote hostile au traité européen : pas de pincettes pour un NON très brun-rouge.
Dans la même logique, Pascal Ory affirme ensuite que le populisme n'est rien d'autre qu'un point de convergence entre les deux extrêmes, allant jusqu'à forcer le trait :
Il poursuit : « le fascisme est une version radicale du populisme qui va jusqu'au bout ». Ainsi Pascal Ory estime que « Si Trump gagne, c'est parce qu'il est un populiste soutenu par les républicains »
On fait du bon populisme avec la convergence des extrêmes de droite et de gauche.
Revenons à Mussolini :
« Ainsi, le fascisme révolutionnaire séduit-il aussi bien le patriotisme exalté de Giuseppe Ungaretti, l'irrationalisme antidémocratique et destructeur de la forme de Luigi Pirandello, que la volonté réactionnaire de restauration de l'ordre classique de Curzio Malaparte. Cette diversité permet de s'interroger sur l'existence véritable d'une culture fasciste, sur l'existence d'un transformisme culturel durant le régime de Mussolini, et de poser les problèmes en termes de rupture ou de continuité. Si les courants intellectuels du début du siècle ont favorisé le fascisme en Italie, celui-ci ne s'est jamais identifié à eux pour en tirer son idéologie. Le comportement des intellectuels sombrant dans l'adoration servile de la dictature confirme la "trahison des clercs". Mais ces attitudes n'engagent que les individus et non pas les concepts qu'ils ont défendus. La culture italienne du début du siècle a joué un rôle indéniable dans l'avènement du fascisme. En lui fournissant des éléments pour l'action et pour la propagande, elle a sans doute contribué à l'élaboration du style fasciste. Mais elle reste étrangère au régime de Mussolini qui ne parvient pas à dépasser le stade d'un comportement pour élaborer une culture fasciste authentique. »
« Il ne s'agit pas donc de "lyncher" les innombrables intellectuels italiens qui collaborèrent avec le fascisme à des degrés divers (Pirandello, Brancati, Malaparte, Silone, D'Annunzio etc.) mais de comprendre le pourquoi. Or, on ne peut que constater que le régime inspira à toutes ces personnes une véritable fascination, qui allait bien au-delà de la simple contrainte. D'ailleurs, la situation en France n'était guère très différente : cf. Céline, Drieu de la Rochelle etc. »
Lorsque le régime fasciste tombe que l’Italie se libère et devient une République Thierry Wolton note :
« Les intellectuels qui ont flirté avec le fascisme ne sont pas vraiment dépaysés chez les communistes. Ils retrouvent dans le PC le vieux fonds anticapitaliste et antilibéral qui fut aussi celui de Mussolini, un socialiste radical à l’origine, rappelons-le. La coloration rouge-brun du fascisme n’est pas incompatible avec le rouge-brun du communisme, comme on le sait. »
« Exister, produire, écrire sous le fascisme nécessitaient de pactiser avec le régime, au mieux par le silence, au pis en lui prêtant serment d’allégeance. La mauvaise conscience des intellectuels les conduit à vouloir se racheter.
Moravia fut-il fasciste ?
« La célébrité de l’écrivain l’amène à collaborer à diverses revues du régime fasciste et surtout à fréquenter le salon, alors recherché, de Margherita Sarfatti, l’une des plus influentes et intelligentes collaboratrice du Duce… »
« Il est certain que l’écrivain est animé de sentiments hostiles à la bourgeoisie dont l’univers s’incarne autant dans l’Angleterre que dans les USA. Son récit de ce qu’il voit dans ce pays apparaît avant tout de circonstance (se faire bien voir du régime). Mais en 1941, Moravia qui se dit communiste, espère leur victoire. En réalité, ce qui anime l’écrivain, comme le révèle plus tard l’une de ses œuvres les plus connues, Le Conformiste, c’est son anti-antifascisme. […] Moravia est plus hostile à la bourgeoisie libérale qu’au fascisme, sans pour autant adhérer à celui-ci. Parler d’un « antifascisme passif » nous semble bien plus exact. Sceptique, désabusé, amer, il accepte le fascisme et s’en sert (…)
FRÉDÉRIC ATTAL
Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle
Peuple souverain : de la révolution populaire à la radicalité populiste
De Pascal Ory
Gallimard, 2017
Notre conjoncture historique ramène au-devant de la scène une série de questions sur ce que fut l'expérience politique du XXe siècle. L'anniversaire de la révolution d'octobre 1917 fournit l'occasion naturelle de les examiner. Cet essai s'efforce d'y apporter des réponses précises. Qu'est-ce que le populisme? Une idéologie de synthèse qui permet à la droite de trouver le chemin des classes populaires en adoptant un style de gauche. Qu'est-ce que la radicalité? Une mythologie qui rapproche les extrêmes dans un rejet commun de la réforme et du compromis et facilite, le cas échéant, la circulation de l'un à l'autre. Dans certaines conditions de température et de pressions politiques, la radicalité de gauche ou la radicalité populiste peuvent accéder au pouvoir. Elles en font alors un usage qui satisfera, en proportions variées, le goût de l'absolu qui anime les radicaux et la servitude volontaire qui anime les populistes. Cela donne ce qui mérite le nom de «catastrophe».
Pascal Ory : "Mussolini était le Mélenchon de 1914"
Pascal Ory nous parle de la notion de populisme dans son livre "Peuple souverain" aux éditions Gallimard. Le recours au peuple est-il synonyme de liberté? Comment illustrer la notion de populisme...
FRÉDÉRIC ATTAL
Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle
« La figure de l'intellectuel naît, en Italie, avec le XXe siècle. Animés de l'ambition de forger la culture nationale et de former les élites – voire de s'y substituer –, ces hommes ont épousé toutes les passions politiques de leur temps : nationalisme, fascisme, communisme, libéralisme, catholicisme, socialisme.
Or, quel que fut leur engagement, différentes manières de le comprendre et de l'exercer se sont succédé en fonction du contexte historique. Aux côtés des prophètes comme D’Annunzio, Moravia, et Pasolini, prédominants durant les périodes de crises (entrée dans la Grande Guerre en 1915, stratégie de la tension), coexistent, dans la première moitié du siècle, des philosophes comme Croce ou Gentile. Puis, dans une Italie en pleine mutation, c’est la figure du sociologue qui domine, l’intellectuel-expert, plus en prise avec l’actualité, chargé d’orienter les choix de la classe politique, d’accompagner les vicissitudes du réformisme en Italie.
Cette histoire intellectuelle d’une ampleur et d’une précision inédite (elle est suivie de plus de 500 notices biographiques) est bien plus qu’un outil indispensable pour comprendre l’Italie : elle constitue une typologie de l’engagement intellectuel d’une grande richesse, à même d’être adaptée à de nombreux contextes.
Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’histoire, Frédéric Attal a consacré sa thèse de doctorat à l’étude des intellectuels napolitains après 1945. Il est maître de conférences à l'École normale supérieure de Cachan et est l’auteur d’une Histoire de l’Italie de 1943 à nos jours (2004) »