L’enfer est pavé de bonnes intentions.
La crise laitière qui a mis au grand jour ce qu’est devenu ce secteur pour sa plus grande part : la collecte d’un minerai dont le prix est fonction de la conjoncture laitière internationale. Depuis la disparition des quotas laitiers les économistes du secteur use d’une formule agréable : la volatilité des prix.
L’illusion de la régulation, sans outils physiques de régulation, a fait long feu.
En août 2016 le Monde découvrait l’eau chaude : « Dans le secteur laitier, c’est l’acheteur qui fixe les prix. Depuis deux ans, les prix d’achat du lait chutent, au détriment des producteurs ».
Belle découverte, comme si le secteur laitier était une exception, tous les secteurs agricoles, dans une économie ouverte de matières premières, depuis que les outils de régulation des politiques communes de l’Union ont été jetés aux orties, sont soumises à l’état des marchés mondiaux, régionaux et nationaux.
Rien ne ressemble plus à un litre de lait collecté ici qu’un litre de lait collecté là, même le lait bio est soumis à la confrontation offre demande, les collecteurs privilégient donc la ressource la moins coûteuse. Il existe un marché spot du lait.
Pendant tout un temps la conjonction d’une gestion régionalisée des quotas laitiers, privilégiant les zones de montagne, et d’une fixation par le CNIEL d’un prix national du lait a permis à la France laitière de préserver encore un équilibre entre un Grand Ouest hyper-productiviste et des zones moins privilégiées.
Mais, patatras la Commission Nationale de la Concurrence a mis le holà, il est interdit de fixer un prix plancher du lait.
Alors nos beaux esprits de la rue de Varenne et d’ailleurs n’ont eu de cesse de nous vendre deux concepts qui allaient permettre de réguler ce bel ensemble soumis à la concurrence : la contractualisation et les organisations de producteurs.
En soit ils sont satisfaisant sauf qu’ils se heurtent aux dures réalités de terrain qui font que les producteurs sont depuis des décennies entre les mains de leurs collecteurs privés et coopératifs et que beaucoup d’entre eux, au vu des échecs économiques des groupements de producteurs, des coopératives incapables pour la plupart de bien valoriser le lait, répugnent à se lier dans ses fameuses OP.
Pour avoir passé 18 mois en tant que médiateur entre les producteurs et les grands opérateurs laitiers je puis vous assurer que les réactions des producteurs sont parfois déroutantes et n’entrent pas dans les clous de la rationalité économique développée par nos hauts-fonctionnaires.
La contractualisation, chère à Bruno Le Maire, a consolidé la main ferme des grands collecteurs. sur leurs producteurs.
Alors, changeons, inversons les facteurs, faisons en sorte que ce soient les producteurs qui fixent leurs prix en fonction de leur prix de revient.
Génial !
Moi je veux bien mais pour rendre opérante la réforme il va falloir lever deux obstacles de taille : le prix de revient moyen recouvre de fortes disparités régionales et régionaliser le prix d’achat du lait risque d’accélérer la déprise laitière ; le poids des entreprises laitières qui, en dépit de l’inversion, garderont la main sur la conclusion du contrat.
Le coût de la production laitière pondéré en fonction du volume de lait produit par exploitation, a été calculé pour neuf régions laitières (voir graphique).
Vu les différences de structure d’une région à l’autre, les résultats finaux des coûts de production pour les neuf régions laitières varient entre 34 centimes par kilo de lait dans les régions côtières (Grand Ouest) et 49 centimes dans les régions montagneuses (Sud-est).
Dans l’ensemble, le coût de production du lait dans les régions laitières en 2013 s’élevaient à environ 40 – 45 centimes d’euros par kilo de lait (Grand Est, Nord-Picardie, Normandie, Poitou-Charentes, Sud-Ouest.
Mettre en avant les obstacles, les difficultés ce n’est pas faire preuve de défaitisme mais prendre en compte la réalité qui ne cadre pas souvent avec les bonnes intentions des discours.
Pour lever ces obstacles, ce qui est possible et souhaitable, il faut commencer par le commencement et remettre le droit de la concurrence sur de bons rails, ceux permettant une forme de protection pour les producteurs des zones en déprise. Traiter un producteur sous-smicard comme un agro-éleveur intensif relève de l’ineptie. Attention aussi à ne pas tomber dans le miroir aux alouettes de la montée en gamme, de la valorisation par les fameux signes de qualité, des circuits courts pour ses producteurs à la ramasse. Ces segments sont déjà occupés par des producteurs bien implantés commercialement et s’imposer sur ces marchés exige des ressources humaines, financières, techniques qui ne sont pas à la portée de beaucoup d’entre-eux.
Donc tout est possible mais de grâce ne pas croire ou faire accroire que l’on peut, dans les secteurs dominés par de grands groupes, d’une production de minerai mondialisé, de commodities, à une production artisanale de valeur, sans ériger des protections, des outils de régulation. La PAC avait beaucoup de défauts, normal ce sont des hauts-fonctionnaires français qui l’ont couché dans les textes, mais elle avait un grand mérite c’est de constituer une exception dans les rapports de force mondiaux. C’est bien pour cette raison que les USA n’ont eu de cesse, au travers du GATT d’abord, puis de l’OMC de la détruire.
Le virage amorcé par Emmanuel Macron ne pourra s’effectuer dans de bonnes conditions que si l’on sort de la logique mortifère dans laquelle la Commission Européenne, avec la complicité des Ministres de l’Agriculture et des Finances des pays membres, s’est engagée. Le verdissement des aides n’est qu’un leurre. La cohabitation entre une agriculture ferraillant sur les marchés mondiaux avec une agriculture paysanne ou artisanale exige que l’on mette en place des outils physiques de régulation.
Si le Comté se porte si bien c’est qu’il se protège, détermine les quantités à produire en fonction des débouchés, n’oublions jamais que les AOC étaient lors de leur création des instruments de protection, et non comme la vulgate stupide le proclame aujourd’hui des outils de promotion de la qualité.
Mais pour que l’imagination, qui prévalait à cette époque préhistorique où les dirigeants se plaçaient devant la troupe pour l’entraîner, soit au pouvoir un nécessaire ménage est à effectuer dans les grandes organisations corporatistes. La CNAOC est plus mobilisée sur le tire-bouchon de madame Buzyn que sur ce nécessaire aggiornamento.
J’ai, en 2000, fâché beaucoup de monde dans mon Rapport, qui n’avait rien de révolutionnaire, mais pendant un court moment le monde du vin s’est soumis à une intense réflexion mise ensuite sous le boisseau par Hervé Gaymard sur injonction de l’Elysée où Jacques Gravegeal régnait en maître.
Les Assises voulues par le Président de la République souffrent du mal que génèrent les technostructures publiques comme privées, le conservatisme lié à leur incapacité à prendre des risques, à anticiper, à innover.
- JeanFrançois Fortin, maître du lait
PHILIPPE LEGUELTEL 16/10/2017 ICI
- Combien coûte la production d’un litre de lait ?
LE MONDE | 23.08.2016 par Cécile Bouanchaud ICI
- Le coût de la production laitière en France European Milk Board ASBL 2013 ICI
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- Etats Généraux : carton plein d'Emmanuel Macron à quelques réserves près Pierre Christen | 16 Octobre 2017 | ICI
Un accueil favorable, y compris de la part de Michel-Edouard Leclerc
Du côté des transformateurs, l’accueil se révèle – sans surprise – favorable. « C’est le socle d’un sursaut positif pour toute la filière avec une volonté commune inédite de mettre fin à la guerre des prix », a commenté Jean-Philippe Girard, président de l’Ania, porte-parole de l’industrie alimentaire. Unanimité aussi pour les agriculteurs, de la FNSEA à la Confédération paysanne en passant par la Coordination rurale. Les distributeurs ont aussi globalement bien accueilli le discours du Président. La FCD (qui représente Carrefour, Géant Casino,…), par la voix de son secrétaire général Jacques Creyssel, s’est déclarée satisfaite que le président ait repris ses propositions. Pour les Mousquetaires, « plusieurs mesures vont dans le bon sens » , affirme Didier Duhaupand, président du groupement. Serge Papin, le p-dg de Système U, se montre lui-aussi satisfait que les propositions des ateliers aient été reprises. D’autant qu’il co-présidait l’atelier 5. Plus surprenante est la réaction de Michel-Edouard Leclerc, qui, à quelques jours de l’intervention présidentielle, a mené une vive campagne contre la hausse du SRP. Il s’est déclaré soulagé et satisfait. Soulagé car le Président a réservé le relèvement du SRP aux seuls produits alimentaires. Et satisfait, car le cap est mis sur « l’indispensable montée en gamme de la production agroalimentaire française ». Il s’est même déclaré plutôt favorable à l’encadrement des promotions : « Ce n’est pas une satisfaction mais une position issue d’un consensus devant une situation devenue un peu incontrôlée ».
La partie est loin d'être gagnée
On l’aura compris, aucun acteur clef n’a voulu jouer le rôle du vilain petit canard. Michel-Edouard Leclerc a bien saisi le risque d’isolement médiatique. Mais cette unanimité pourrait sembler étrange, si elle ne masquait pas quelques réserves, voire même quelques réticences qui n’ont pas tardé à s’exprimer.
Preuve que rien n’est joué dans cet ambitieux projet de transformation du modèle agricole français, Emmanuel Macron a suscité des sueurs froides dans les rangs de la FNSEA, en opposant le bio et les signes de qualité, « qu’il faut développer » et des modèles productivistes « qu’il faut arrêter ». Il a ainsi remis en cause la pertinence de certaines productions, qui ne pourront plus être compétitives face à la concurrence internationale. Et cité l’exemple des volailles destinées aux marchés moyen-orientaux, faisant une référence implicite aux difficultés de Doux. Il a également pointé l’immobilisme de la filière porcine, déplorant que le bio ne pèse que 0,5 % de la production. Pour la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, Emmanuel Macron a été « parfois caricatural ». Coop de France a réagi en soulignant que « ce n’est pas uniquement en inversant la construction du prix dans les contrats agricoles que l’on traitera de l’enjeu central de la compétitivité et de la performance ». Pour les coopératives agricoles et agroalimentaires, l’écart avec les compétiteurs européens est un pré-requis indispensable à l’analyse des références de prix de revient français à la production.En clair, le système français ne doit pas être déconnecté des prix mondiaux, s'il veut rester compétitif.