« Tout anticommuniste est un chien. » Sartre.
Dans mes années de construction à aucun moment je n’ai été tenté par le communisme, je sortais d’une Église et je n’avais aucune envie de m’enfermer dans une autre. Ce n’était pas simple en ce temps d’hégémonie du PCF sur la caste intellectuelle dites progressiste.
Ne pas adhérer certes mais j’aurais pu, a minima, comme beaucoup, être un compagnon de route ou pire « un idiot utile ». Pour autant, je n’ai jamais versé dans un anticommunisme militant, frontal mais le si tu n’es pas avec nous tu es contre nous ne m’a jamais ébranlé.
Dans ma Vendée profonde, le PCF ce n’était qu’une poignée de permanents adossés à des historiques, des staliniens obtus et sectaires ; la gauche non-communiste, la SFIO, n’était qu’un ramassis de petits bourgeois anticléricaux, arcqueboutés eux aussi à de vieilles lunes.
Désespérant !
Et puis, un jour, dans l’autorail Nantes-La Roche-sur-Yon, j’ai lu une interview de Michel Rocard dans Témoignage chrétien. J’avoue que je n’ai pas tout compris de la pensée complexe de Michel mais ça m’a semblé être un bon socle pour bâtir ma culture politique. Certes, le PSU était un vaste foutoir mais j’y trouvais mon compte car on y débattait et on y tentait de sortir du piège mortifère tendu par le PCF.
Même si ça peut vous paraître surprenant, mais la Roche-sur-Yon, avec le docteur Morineau, avec Saint-Brieuc, était un bastion du PSU, la direction nationale du PCF nous envoya l’un de ses fleurons, Laurent Casanova, un pur stalinien, pour sonder nos reins et nos cœurs. La rencontre fut un grand moment d’incompréhension mutuelle, ce jour-là, et c’était bien avant que Mitterrand engage le programme commun avec Marchais, j’ai compris que le PCF était un astre mort.
Dans le même ordre d’idées, j’ai toujours pensé que la stratégie de Mitterrand mènerait le PS à la tombe. Ce qui est fait, merci Macron.
Maintenant que je suis en vacances éternelles, je lis.
Je lis le tome 3 de la somme de Thierry Wolton Une Histoire mondiale du communisme : Les Complices. Même si l’auteur instruit à charge, il n’en reste pas moins vrai que les fameux compagnons de route du PCF, comme les « fascinés » néo-marxistes de la gauche, ne sortent pas grandis de cette histoire sanglante.
Pour expliquer sa façon de penser, Thierry Wolton rappelle que, jeune journaliste (à Libération, puis au Point), il a pu aller « derrière le rideau de fer ». « À 25 ans, j'ai pu rencontrer (les dissidents) Vaclav Havel, Adam Michnik, Andreï Sakharov. C'était extraordinaire. Vous rencontrez des gens qui ont compris le système, vous le racontent et vous donnent les clés pour le comprendre ». « Cela a été ma grande chance. »
La Révolution d’Octobre a 100 ans : Moscou ne croit plus en Lénine
Olivier Tesquet dans Télérama écrit :
« Devant un bortsch roboratif, Polina se ressert une généreuse louche de crème fraîche. En chassant une mèche auburn, l’étudiante en cinéma jette un œil par-dessus son épaule, un coup à gauche, un coup à droite. Par superstition peut-être, par éducation sûrement.
On ne badine pas avec les anekdot, ces blagues russes érigées au rang de folklore que la censure soviétique n’a jamais su réduire au silence. On se les offre au creux de l’oreille, en étouffant un rire nerveux, dans le brouhaha d’une gargote moscovite, rue Piatnitskaïa :
« Sur la place Rouge, il y a deux Vladimir, un assis et un couché.»
Le premier se cramponne au Kremlin depuis 1999. Le second y est adossé – les pieds devant – depuis près d’un siècle. Vladimir Vladimirovitch Poutine contre Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine. Cette année, le moins fringant des deux fête le centenaire de sa révolution, qui a irrémédiablement teinté de rouge les octobres slaves.
Un anniversaire ?
Quel anniversaire ?
Au stéthoscope, le visiteur du mausolée ne distingue rien d’autre que le ronron effroyablement banal d’un climatiseur. Pourtant, derrière la vitre pare-balles d’un sous-sol à 17 degrés où les touristes asiatiques continuent de se presser fébrilement, Lénine est le macchabée le plus encombrant de Russie. »
Statue décapitée de Lénine à Kotovsk, en Ukraine, en décembre 2013.
Photo Guillaume Herbaut
Il était une foi : la révolution selon Lénine par Gilles Heuré toujours dans Télérama
Extraits
« Après la victoire contre l’Allemagne, c’est bien Staline, le Géorgien moustachu auquel le PCF voue une admiration sans bornes, qui fait vibrer les militants. Oublié, Vladimir Ilitch ? Pas encore. Il reste le père fondateur et le « cœur » de la doctrine grâce à ses œuvres (Que faire ?, L’Etat et la révolution), dont la lecture est obligatoire, et parfois fastidieuse, pour les jeunes communistes d’après-guerre…
Culte de la personnalité
L’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, revenant dans Paris-Montpellier (1982) sur sa période communiste du début des années 1950, se souviendra avec humour de ses efforts pour ingurgiter « l’inepte » Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine. Mais les paroles de granit ne doivent pas rester lettre morte. Pour Jean-Toussaint Desanti, philosophe et ancien résistant (qui reviendra sur le tard sur cette période d’aveuglement), en 1949, Lénine, « ferme », « lucide », « porte-parole du prolétariat », « accoucheur de l’Histoire », combattant donc savant, est le « philosophe nouveau », contrairement aux autres philosophes qui, eux, n’ont fait qu’« interpréter » le monde. L’étoile de Lénine brille de nouveau lorsque celle de Staline décline.
Mort en 1953, le dictateur géorgien meurt une seconde fois lors du XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique qui, en février 1956, sort de sa chapka le concept bien peu marxiste de « culte de la personnalité » pour dénoncer « l’intolérance » et « la brutalité » du Petit Père des peuples, comparé aux « mesures sévères face aux classes exploiteuses qui s’opposaient à la Révolution », donc répression et déportations justifiées, prises par Lénine « dans des cas d’une extrême nécessité ».
Mise en cause du stalinisme et réflexion antitotalitaire
Après ce coup de tonnerre qui ébranle le PCF, il faut revenir aux fondamentaux. Dans Pour Marx (1965), Louis Althusser, soutiendra encore que la spécificité de l’action révolutionnaire de Lénine transcende la simpliste analyse historique : « Un petit homme est toujours là, dans la plaine de l’Histoire et de notre vie, cet éternel “moment actuel” ». Quoiqu’un peu alambiquées, les louanges de ces intellectuels, en pleine guerre froide, sont mieux charpentées que l’anathème sartrien de 1965 : « Tout anticommuniste est un chien. »
D’autres cataclysmes vont survenir dans les années suivantes et ébranler l’image du fondateur du parti bolchevique. Dans le sillage de L’Archipel du goulag (1974), de Soljenitsyne, la mise en cause du stalinisme et la réflexion antitotalitaire s’attaquent aux racines du bolchevisme. L’ouverture des archives soviétiques dans les années 1990, après la chute de l’URSS, permettra encore aux historiens de dépoussiérer les mythes, de pointer la filiation idéologique entre Lénine et Staline et l’implacable chronologie du système totalitaire. La chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS et des pays satellites vont enfouir Lénine dans l’Histoire. Le modèle occidental, sa société de consommation et sa liberté politique, mais pas forcément économique, feront sauter les chapes de plomb. Pour un temps. Ils sont bien peu aujourd’hui à souffler sur les cendres de Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, personnage historique du passé d’une illusion.
Le cinéaste Alexandre Sokourov a visité l’ancien camp stalinien Perm-36, devenu un musée. Il en sort bouleversé et frustré. Il y a encore une profonde réflexion à mener pour donner à ce lieu plus d’envergure, confie-t-il à ce journal régional dans une interview au long cours.
Extraits :
- Vous avez dit que seuls les Russes étaient capables de se haïr et de s’infliger mutuellement de telles tortures, que ce serait le propre de l’homme russe. Quelle est la nature de ce phénomène ?
Je me suis exprimé durement… Sous le coup de l’émotion… Peut-être est-ce parce que la frontière entre la raison et l’âme, le cœur, est très ténue dans le caractère russe. Je parle du peuple en tant que tel, et non des individus. Un peuple capable de vivre dans n’importe quelles conditions, capable de faire abstraction de ce qui se passe autour. C’est une prédisposition très funeste. Et nous le sommes comme personne. C’est un malheur.
- Mais ce n’est pas une prédisposition génétique, pour utiliser un mot à la mode ?
Elle est héréditaire… Elle s’est forgée progressivement : peu d’exigences quant à la qualité des rapports sociaux, une capacité à choisir le bouc dominant dans le troupeau et à marcher derrière lui. J’ai voyagé et je voyage beaucoup. J’ai vu comment les peuples créent leurs systèmes et dans quel état de “santé” ils les maintiennent. Dans quelle mesure un peuple est l’auteur de son système, dans quelle mesure il est l’auteur de son État, etc. En ce sens, nous sommes proches des Latino-Américains. Mais nous avons notre singularité, parce que nous connaissons une saison froide qui nous oblige à nous replier et à nous soumettre encore davantage.
- Quel stade d’évolution intérieure un homme investi du pouvoir sur les autres doit-il atteindre pour rester humain ?
Question très difficile. Essentielle. Il doit y avoir une base morale. Une grandeur d’âme initiale. L’homme ne doit pas répondre par l’hypocrisie, la trahison et le crime au pouvoir qu’il reçoit. Václav Havel, par exemple, était un tel homme. Par essence. Le pouvoir ne doit être donné qu’à des hommes pourvus d’idéaux humanistes. Ne votez que pour ceux qui placent les défis humains au-dessus des objectifs politiques. Je ne sais pas qui a fait l’éducation de Havel, mais c’est un homme qui a assumé la charge du pouvoir avec dignité, et permis à son pays de garder sa dignité. Ou du moins de passer un certain cap.
- Vous avez probablement souvent vu des hommes a priori honnêtes changer une fois investis du pouvoir ?
C’est plus compliqué que cela… Je ne connais aucun cas où le pouvoir aurait été donné à des gens ressemblant à ce que je décris. Tous arrivent au pouvoir avec un lourd bagage de problèmes personnels, de rancœurs. Pour mes films, je dois d’une certaine façon “plonger” dans cette question, l’explorer à fond. Et je dois dire que… comment formuler ça avec précision… Goethe disait que l’homme malheureux est dangereux. Le pouvoir ne revient qu’à des hommes écrasés par le poids des rancœurs, un subconscient tragique. En Russie, malheureusement, il n’en a jamais été autrement. Même les empereurs avaient ces problèmes, quoique moins lourds. Tous ceux qui ont été au pouvoir après la chute de la dynastie étaient des personnalités extraordinairement malheureuses en tant qu’hommes. Aucun n’a été heureux au pouvoir. Aucun n’y a trouvé une famille, le bonheur, des êtres aimés, des amis chers.
- C’est un peu désespérant.
Pourquoi désespérant ? C’est la vie, et la vie est désespérante par défaut puisque nous allons mourir. Peut-être y a-t-il des gens capables de l’éviter. Qu’est-ce que ça veut dire “désespérant”, “optimiste” ? Nous avons un cerveau, ce n’est pas pour rien.
Je parlais de la Russie. On ne peut donc rien y changer. Pour nous, la démocratie serait un mythe. Qu’est ce qui peut nous sauver dans ce cas ?
Le hasard. Un être supérieur pourrait émerger par hasard au sein de la société. Le pays aurait pu par exemple être dirigé par Galina Vichnevskaïa [cantatrice célèbre, épouse du violoncelliste Mstislav Rostropovitch]. Ou Andreï Sakharov [physicien nucléaire, père de la bombe H, militant des libertés civiques, Prix Nobel de la paix], mais il a commis beaucoup de grosses erreurs. Le cas de Boris Eltsine était très prometteur. Au sens moral, il était prêt. Mais la complexité des problèmes qu’il fallait résoudre dépassait ses compétences, malgré la qualité et le niveau de ses connaissances et de son intuition. Eltsine était formidable, je l’aimais beaucoup, lui et sa famille. Que Dieu le pardonne… Mais cela montre aussi que la situation russe était si complexe qu’il était objectivement difficile de trouver un homme qui ne se serait pas trompé dans ces conditions.
L’histoire russe a cela de particulier que le chef de l’État a toujours hérité de problèmes fondamentaux. Il n’est jamais arrivé qu’il puisse gérer uniquement les affaires courantes. Pas un dirigeant dans l’histoire de la Russie n’a accédé au pouvoir sans hériter de problèmes catastrophiques. Pas un. Mais je me trompe peut-être.
- Mais un homme seul pourrait-il seulement gérer cela ?
Un homme avec un programme humaniste et des convictions humanistes profondes. Seul un tel individu pourrait trouver une solution à ces problèmes. Et à la condition qu’il ait une qualité d’âme lui permettant de trouver, choisir des compagnons qui ne fassent pas trop d’erreurs. J’y crois. Et puis la loi doit être au-dessus du tsar. Ce qui n’a jamais été le cas.
[…]
- Les bolcheviques une fois au pouvoir ont rencontré le même problème. Mais ils s’en sont sortis.
Comment ? Par le meurtre, la terreur, une purge générale, par la mort. Tu ne veux pas te soumettre, tu es fusillé. Il n’y avait pas de dialogue avec la population. Ils ne savaient pas débattre. Ils ne savaient pas comprendre. Comment un commissaire venu de la rue pouvait-il trouver un langage commun avec le directeur de la Banque impériale de Russie ? Que pouvaient-ils dire lorsqu’on leur demandait les clés du coffre et tous les documents ? Très peu d’employés des banques sont passés du côté du nouveau pouvoir. Or c’était le système sanguin du pays.
[…]
- Donc, enfin, il y aurait du changement ? Ça veut dire quelque chose, non ?
Oui, ça veut dire “quelque chose”. Parce que Poutine comprend, sans le moindre doute, que le changement est inévitable. Il sait ce qui se passe dans le pays. Il appelle par leurs noms une incroyable quantité de fonctionnaires et de personnels qui l’entourent. Et il sait tout d’eux. Selon moi, il y a très peu de personnes à qui il peut faire confiance. Et à juste titre. Donc lorsqu’il nomme Maxime Rechetnikov, cela indique qu’il y a une tendance, une voie que le président a décidé d’emprunter. Parce qu’il ne peut plus en être autrement. Même en apparence.
Si le musée parle de ceux qui étaient de ce côté des barbelés, et de ceux qui étaient de l’autre côté, de la vie des uns, et des autres…
Alors on comprendra pourquoi il était si difficile de vivre là-bas. On comprendra pourquoi c’était si difficile pour les “politiques”. Et dans quelle mesure, dans quel sens, c’était difficile. Car eux, les “politiques”, étaient des gens sensés, dotés d’une conscience, d’une dignité indestructible. Ils ont été confrontés à une cruauté tenace, une profonde barbarie. Et cela sous deux aspects. De la part de l’État à travers l’administration, et de la part d’un système pénal infiniment brutal et sale. Sali de toutes parts, par la bassesse sociale, par la lâcheté de la justice, par la bestialité physiologique et le cauchemar.
Ildar Dadine [jeune militant d’opposition, condamné en 2015 à trois ans de colonie pénitentiaire, libéré au bout de quatorze mois après avoir dénoncé des actes de tortures sur sa personne] raconte qu’il n’a flanché qu’une fois – lorsqu’on lui a dit qu’il allait être violé devant le directeur de la colonie pénitentiaire. Car cela aurait immanquablement eu lieu. Mon Dieu, mon Dieu, et cela ne se passe pas du temps de Beria [le chef de la police politique de Staline, a la réputation cruelle], mais aujourd’hui, aujourd’hui !!! Publiquement, ouvertement, dans une institution publique… Et Dadine savait parfaitement qu’il ne l’oublierait pas, quelle que soit la direction qu’allait prendre sa vie ensuite. On allait briser en lui quelque chose de plus important que tout le reste. Mais c’est absolument normal pour la prison russe, où toutes les limites ont été franchies. Elles l’étaient déjà à l’époque. C’est vrai que du temps de Brejnev les gardiens étaient plus tendres avec les politiques. Mais les droits communs étaient les mêmes. La vie sexuelle est toujours aussi cauchemardesque dans ces camps. Ce qui s’y passe est indescriptible, indicible.
- Il y a un début à tout cela.
Au début, il y a eu la lutte désespérée des prisonniers pour leur survie et ce qui leur restait de dignité. Désespérée parce que chaque prisonnier comprenait que sa dignité et sa vie ne dépendaient que de lui seul. De ce qu’il ferait bien ou mal pour lui. Piétiner son prochain pour sauver sa peau ? Cela a existé. Le système pénitentiaire est construit dans de nombreux pays sur l’avilissement physique et moral.
- C’est probablement plus simple ainsi.
Oui, c’est plus simple, bien sûr. Et finalement, c’est parfois l’unique forme possible d’existence. Elle se situe au-delà de la morale et de l’immoral. C’est une sorte de nouvelle catégorie à laquelle on ne pense pas, pris dans l’agitation des luttes économique, politique, confessionnelle. Elle existe déjà. C’est une troisième catégorie. Je ne sais pas comment elle s’appelle, mais elle est là. Toute la littérature, tout l’espace que nous assimilons avec l’esprit et le cœur se trouve d’un côté ou de l’autre. Dostoïevski a été le premier à oser faire d’un criminel un personnage légendaire. Cet escalier que gravit Raskolnikov [héros du roman Crime et châtiment], ce monologue génial, grandiose du point de vue littéraire, a fait d’un simple, d’un vulgaire criminel, une figure symbolique. Le meurtre est devenu un objet d’étude en sciences humaines. Ce qui n’était probablement pas le cas avant Dostoïevski. Et Dostoïevski lui-même a compris, en approchant du dénouement, qu’il n’avait pas la réponse. Le repentir après la déportation… Peu importe, il a tué. Comment échapper à cela ? Repentir ou pas, il s’en souvient malgré tout. Et son âme s’en souvient, et son esprit. On n’échappe pas à ça. Et il n’a pas vraiment tranché pour lui-même, si ce meurtre était juste ou pas.