Ceux d’entre vous qui me lisent chaque matin savent que, en dépit de mon grand âge, ma plume aime à s’égarer sur des chemins qui mènent nulle part ou, plus exactement, qui s’aventurent dans les secrets de mon petit jardin d’intérieur.
Hier, j’ai cuisiné pour des invités. Mettre les mains dans la farine est le moyen le plus sûr pour permettre à son esprit de folâtrer.
En faisant mes courses j’ai à l’insu de mon plein gré fait la charité en versant chez le boulanger 1 euro pour 1 Love Baguette dans le cadre d’une opération nationale de l'association AIDES pour aider la recherche contre le Sida puis 3 euros à la supérette pour construire une école en Syrie.
Charité moderne, indolore, sans main tendue à la sortie de la messe.
En entrée, c’est là où je peux exercer ce qui me reste de créativité, j’ai dressé des assiettes sous-bois&mer sur un lit de salades. Soit en français : des petits cèpes, des noix fraîches de Saint-Jacques, des moules de bouchot sur des endives de plein champ, du cresson et du pissenlit. Le tout aspergé de vinaigre de miel et d’huile d’olive.
Pour le reste du repas, des pappardelle au ragù de cerf (préparé pour moi par l’ami Giovanni Passerini), un plateau de fromages pestilents à souhait : une boulette d’Avesnes d’enfer, et bien sûr la fameuse tarte aux pommes. ICI
Là-dessus 1 Clairet de chez Massereau.
Tout le monde était content d’avoir bien mangé et bien bu, merci petit Jésus…
Sur le soir, sur le fil d’infos, il m’est proposé un sujet qui me touche La photo de classe, un rituel toujours vivace. Je les ai toutes, ou presque, et sans nostalgie exagérée c’est toujours un plaisir de les regarder.
Avec elles, si tant est que je l’aurais oublié, je sais d’où je viens !
L’article souligne : « L'école publique de Jules Ferry se met aussi en scène. Enfants sagement alignés, instituteur ou institutrice vêtu sobrement au milieu du groupe d'élèves, cette photo de classe veut transmettre jusqu'aux tréfonds des campagnes l'excellence de l'école républicaine et laïque. L'école libre, elle, valorise les symboles religieux »
Si vous me reconnaissez sur la photo de l'école libre de la Mothe-Achard je vous offre une bouteille de Clairet.
La nuit passe là-dessus, je me lève de bonne heure : 5 heures, que vais-je leur raconter ?
Disserter sur l’hypocrisie du « Tout le monde savait… » à propos du producteur prédateur sexuel ou sur l’impudeur d’un Bertrand Cantat s’affichant à la Une des Inrocks pour faire la promo de son nouvel opus ?
Je ne m’en sens pas le courage.
Sur le premier sujet, Virginie Despentes dans Vernon Subutex dresse un portrait très ressemblant d’un producteur qui passe sa vie à se faire des lignes et à traquer des proies.
Quant à Cantat, grand pourfendeur, donneur de leçons, il a purgé sa peine humaine, mais bordel de merde qu’il ne vienne pas ramener à nouveau sa fraise. Et Dieu sait si j’ai aimé Noir Désir, pas vraiment Cantat.
J’en étais donc là lorsque mon esprit descendit l’escalier sans préavis, sous l’effet du discours ambiant sur la valeur travail, je me souvins de la fable de Jean de La Fontaine : Le Laboureur et ses Enfants.
Emmanuel Macron va causer à la télévision ce soir :
Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Je regarderons point Macron à la télévision mais descendant d’une lignée de laboureur, ne sachant ni le jour ni l’heure, je me demande toujours si j’ai pris le bon chemin…