Je n’ai pas compté le nombre de fois où Emmanuel Macron, dans son discours de Rungis, a utilisé les mots filières et interprofessions.
La notion de filière n’est guère opérante économiquement car elle n’est que le constat physique de l’imbrication des opérateurs économiques qui produisent, transforment, distribuent les biens alimentaires. Elle permet d’agréger des chiffres, de publier des statistiques permettant d’évaluer le poids des uns et des autres. Il n’y a pas à proprement parler de pilotes dans une filière, elles sont dominées par les industriels eux-mêmes soumis au diktat de la GD.
Comme nous sommes un peuple génial, pour « piloter » ces ensembles nous avons inventés les interprofessions et, pour faire bon poids, les avons fait financer par des Cotisations Volontaires Obligatoires, les CVO.
La CVO c’est simple comme une volonté exprimée par des organisations dites représentatives, pour faire joli on les nomme familles professionnelles, un vote accouchant d’un prélèvement rendu obligatoire par la puissance publique : arrêté conjoint du Ministère de l’Agriculture et du Ministère de l’Économie et des Finances.
Conséquence : tout le monde paye sans pour autant se sentir représenté par les organisations professionnelles, c’est surtout vrai du côté des agriculteurs de tous poils, je dis ça pour les vignerons qui ont toujours tendance à se croire différents des paysans.
Ce système a été inventé par un énarque, membre du cabinet de Christian Bonnet, qui fut mon patron à l’ONIVIT sur la base d’un raisonnement simple, celui que font les fiscalistes, plus l’assiette est large plus le rendement est bon. Cette manne permettra de faire fonctionner des zinzins où les OPA pourront piloter la filière.
Ce fut assez vrai dans le secteur laitier tant que l’Interprofession fixait le prix d’achat du lait mais tout l’édifice s’est lézardé lorsque la Commission Nationale de la Concurrence a mis le holà. Dans le secteur des grandes cultures, ils ont mis en place des fonds financiers : Unigrains et Sofiprotéol qui leur ont permis d’intervenir économiquement. Unigrains par exemple a permis la constitution du groupe Bigard en lui cédant ses parts dans Socopa. Sofiprotéol devenu le groupe Avril opère dans le biodiesel, les semences Limagrain, les aliments du bétail, les œufs…
Dans le secteur des viandes ça n’a jamais fonctionné, comme pour les fruits et les légumes.
Dans le secteur du vin, les interprofessions ont essentiellement agit en placardant des affiches et en finançant de la publicité. Le pilotage de la filière s’opérant soi-disant dans la section spécialisée vin de FranceAgrimer sous la houlette d’un apparatchik Jérôme Despey pur produit du syndicalisme majoritaire (ex-président des JA et VP de la FNSEA).
L’article ci-dessous de Marie-Josée Cougard dans les Échos fait un assez bon état des lieux.
Multiples, les interprofessions agricoles sont, pour les plus grandes d’entre elles, devenues des théâtres politiques.
Ultra organisée, l'agriculture française regorge de représentations dans tous les secteurs de production, dont beaucoup ne sont plus adaptées à une Europe désormais largement ouverte sur le monde. La plupart ont été créées dans les années soixante ou soixante-dix. C'est le cas des interprofessions, dont le fonctionnement a été codifié par la loi du 10 juillet 1975 pour que se concertent les agriculteurs et leurs clients, industriels, négociants, etc. Emmanuel Macron demande au monde agricole d'en faire de véritables instances de décision économique.
Les interprofessions ou filières sont aujourd'hui plus de soixante. Toutes au départ avaient l'ambition de partager des décisions d'ordre économique. Elles ont à vrai dire longtemps rempli leurs objectifs, jusqu'au moment où il a été décidé de réformer la politique agricole européenne (PAC). Cela s'est fait par vagues successives, jusqu'à mettre l'agriculture communautaire en prise directe sur les marchés mondiaux. D'une logique de négociation politique sur les aides à l'agriculture, l'Union européenne est passée à une logique économique, qui ne s'est pas toujours imposée dans les cénacles agricoles.
Conflits
Tant et si bien que les grandes interprofessions, comme celles de la viande ou du lait, sont souvent devenues davantage des théâtres d'expression politique que des lieux de décisions sur les marchés. Résultat, de belles empoignades entre producteurs et industriels, et des conflits impossibles à dénouer. Au point que les impétrants ont fini par prendre l'habitude de faire appel au ministre de l'Agriculture en place pour tenter de dénouer les conflits. Dans de nombreux cas, les situations se sont avérées si complexes qu'il a fallu trouver un médiateur et les plus grands groupes industriels les boycottent fréquemment.
A l'inverse, les interprofessions plus restreintes dans leur champ d'action fonctionnent parfaitement. C'est le cas du CIVC, le comité interprofessionnel du vin de champagne: les vignerons trouvent chaque année un accord sur les prix du raisin et ils s'entendent avec les maisons de champagne sur un rendement à l'hectare et un niveau de stock. C'est également vrai de l'interprofession du comté ou du roquefort où les industriels acceptent de rémunérer sans sourciller le lait à des prix deux fois supérieurs à celui que reçoivent les autres. De crise on ne parle jamais. Les marchés sont circonscrits et les intérêts de chacun bien compris. Une logique à méditer.
Marie-Josée Cougard
@CougardMarie
Pour donner une couleur viticole à cette chronique je vous livre l’état d’un conflit qui oppose le négoce bourguignon à la CAVB organe représentatif des vignerons bourguignons.
A l’attention des Président-e-s d’ODG et des membres des commissions du BIVB représentant la CAVB
Mesdames, Messieurs,
Lors de la conférence de presse sur le millésime 2017, organisée par le BIVB le 20 septembre dernier, son Président, Louis-Fabrice Latour, a annoncé aux journalistes son souhait de se voir reconduire, ainsi que le Président délégué représentant la viticulture, à la tête de l’interprofession.
Ainsi, il a délibérément et publiquement ignoré le vote démocratique organisé par la CAVB au mois de juillet dernier qui a vu notre Conseil d’administration élire Jean-Michel AUBINEL représentant de la viticulture à la future présidence du BIVB.
Par la suite, Jean-Michel AUBINEL a rencontré Louis Fabrice LATOUR et Pierre-Henri GAGEY. Au cours de cet entretien, ces derniers lui ont fait savoir qu’ils ne le laisseraient pas accéder à la présidence du BIVB.
Les vignerons du Conseil d’administration du BIVB ont souhaité avoir un débat sur cette ingérence dans la vie interne de la CAVB lors du dernier Conseil d’administration du BIVB.
Malgré plusieurs demandes, le Président du BIVB n’a pas voulu aborder cette question importante.
Les vignerons ont donc décidé de quitter la salle et ont tous écrit un courrier à l’attention de Président du négoce, Frédéric Drouhin, dénonçant cette attitude et sollicitant une discussion sur cette situation inacceptable. En effet, il est urgent de savoir si cette initiative malheureuse est le fait de quelques personnes ou la position de la famille du négoce. Ce qui provoquerait une véritable rupture dans le contrat qui lie nos deux familles, à savoir le respect des décisions de chacune des deux composantes de l’interprofession.
Dans l’attente, la viticulture ne participera plus aux réunions (Comité Permanent, Conseil d’administration, Assemblée générale et commissions) du BIVB.
Vous trouverez ci-joint le courrier envoyé vendredi dernier à Frédéric DROUHIN, Président du négoce bourguignon, signé par tous les vignerons, membres du Conseil d’administration du BIVB.
La CAVB tiendra un Conseil d’administration la semaine prochaine qui débattra notamment des suites éventuelles.
Il paraissait important que chacun-e d’entre vous soit informé-e.
Je reste à votre disposition pour toute information complémentaire.
Bien cordialement
Thomas NICOLET
Directeur
06 99 74 03 73 / t.nicolet@cavb.fr
Affaire à suivre, je ne parle pas des chicayas du BIVB mais du pilotage des filières par les Interprofessions pour mener à bien les fameuses montées en gamme chères au Président Macron.