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1 octobre 2017 7 01 /10 /octobre /2017 06:00
« Écrire l'histoire de nos cafés serait, à peu de choses près, écrire l'Histoire de France.»

Cette phrase tirée du livre Bistrots. Reportages parisiens de Jean Vertex chez Louis Querelle éditeur, 228 p., 1935, recouvre-t-elle encore aujourd’hui une réalité sociale, culturelle ?

 

J’en doute.

 

À de rares exceptions, ces lieux ont disparus de nos villes et de nos villages, soit physiquement, soit en changeant de peau sous les effets de leur « modernisation », de leur standardisation par des chaînes ou des distributeurs…

 

Si l’on égrène, dans l’ordre alphabétique, les synonymes de l’appellation : café à la française, les vieux comme les nouveaux : assommoir, bar, bistrot, boui-boui, bousin, brasserie, buffet, buvette, cambuse, estaminet, mastroquet, pub, taverne, troquet…  on prend la mesure de ce basculement d’un monde vers un autre.

 

La France des bistrots a disparue, celle où, comme l’écrit Vertex « Tout se termine au petit matin, à la sortie du métro, «dans l'odeur d'ail, de friture, de cigarette éteinte, de guimauve trop chaude, et de pernod tiédi.»

 

Pour lui le café, «c'est le moyen terme entre le salon et la rue, le chez-soi et le chez-autrui.»

 

« Jean Vertex commence sa difficile enquête dans les gares:

 

Les cafés des abords des lignes PLM sont peuplés de chevillards en blouse, de courtiers en pinard cossus et décorés, d'Italiens ravaleurs de façades coiffés de chapeaux verts, de Savoyards dont la besace exhale des odeurs de fromage, de servantes proprettes aux joues roses encaustiquées, aux yeux étonnés et candides. On y voit des marins amateurs de vin blanc, aux bérets insolents, aux hanches excessives, aux pompons trop serrés et trop volumineux, matelots d'opérette connaissant la marine ignorant la mer...»

 

Puis il y a les bistrots de sous-préfecture, «avec quadragénaires chargés de famille, magistrats austères, conservateurs d'hypothèques, supérieurs assomptionnistes, généraux en retraite à Cahors et sénateurs fatigués.» Passons ensuite aux «Bistrots d'escroqueries et d'affaires malsaines», pleins de faisans qui, «en quittant la prison, font leur première visite pour le bistrot où ils savent retrouver leurs combines.»

 

Le 9 janvier 2009 je postais une chronique :

 

Qu’il est loin l’âge d’or des buffets de gare… lettre à Guillaume Pepy président de la SNCF

 

« Le temps des voyages, des excursions, des balades a-t-il définitivement laissé la place à celui des migrations, celles des fins de semaine, celles des grandes et petites vacances : les fameux chassés croisés, celles des charters, où, en cohortes serrées, pressées, plus personne ne prend le temps de se poser, de se restaurer ? Alors, dans tous les lieux drainant les grands flux : les gares, les aires d’autoroute et les aéroports, les points de restauration, à quelques rares exceptions, s’apparentent à des bouis-bouis, chers, malpropres, proposant le plus souvent une nourriture indigne que même un quelconque Mac Do n’oserait pas servir. Sous le prétexte, souvent justifié, que les voyageurs ne sont qu’en transit, qu’ils ne viennent pas dans ces lieux pour le bien manger, que c’est dans tous les pays pareil, le traitement qu’on nous inflige donne de notre beau pays, qui se vante d’être celui de la bonne chère, une image déplorable. »

 

La suite ICI 

 

Quant aux sous-préfectures elles auront bientôt disparues…

 

Le bistrot à la française, modèle d’authenticité locale souple et adaptable, est-il en train de disparaître ?

ICI

 

Aujourd’hui, les cafés ne sont plus que des lieux de passage, de transit, de stationnement de solitude, et sur les terrasses des cafés il suffit d’observer les couples, les groupes, pour s’apercevoir que l’attention des uns et des autres est aspirée par le petit écran de leur Smartphone.

 

La sociabilité s’est transférée sur les fameux réseaux sociaux qui eux-mêmes, sont, selon une chronique, sont aussi en train de mourir.

 

Tout va si vite !

 

« La belle aventure aura duré dix ans. Avant 2007, nous étions déconnectés, isolés dans nos villages, amis de quelques-uns, reliés à pas grand monde le temps d’une vie. Puis Facebook et Twitter ont changé la donne. Nous nous sommes parlé, d’un pays à l’autre, en petits messages puis en photos et vidéos. Nous sommes devenus bavards et curieux les uns des autres, sous le regard moqueur des sentinelles de la dignité, politiciens, médias, amis incrédules et inquiets pour notre propension à « raconter nos vies à des inconnus »...

 

Enfin les politiciens, les médias et les amis incrédules ont rejoint la partie, découvrant enfin leur intérêt à se connecter à l’autre. Pour finir ce sont eux qui occupent l’espace tandis que l’impulsion d’origine a disparu.

 

Désormais le terrain de jeu est quantifié, quadrillé, scruté et manipulé.

 

Il est une fenêtre sur le bruit du monde, l’écume des mots déposés sans filtre à la merci du premier visiteur unique. Vous ouvrez Twitter et vous cherchez au milieu d’une montagne d’ordures le petit caillou qui brille, en souvenir d’un temps que les moins de vingt ans ne veulent même pas connaître.

 

Foire d’empoigne des anti-contre, antichambre de l’ennui sponsorisé, Twitter et peu à peu Facebook se transforment en déversoirs de notre dépression collective, calculée par datas et par affinités »

 

La suite ICI 

 

La boîte à bouquins de Forestier : la France vue du bistrot

« Je ne sais pas qui était Jean Vertex, sinon qu'il se nommait en réalité Jean-Maris Sau, qu'il était journaliste, qu'il a composé des chansons, écrit des films et fréquenté les rades. Né en 1904, mort en 1971, voilà tout. C'est maigre. Mais j'ai mis la main sur un exemplaire de son livre, «Bistrots», publié par l'éditeur Louis Querelle en 1935, et illustré par d'Esparbès, Gen-Paul, Sennep. »

 

Lire ICI

 

Sous-titré «Reportages parisiens», le bouquin est une promenade de comptoir en comptoir, la Gauloise à la bouche et le verre de Sauvignon à la main. Le principe, énoncé par Willy, est simple:

 

Écrire l'histoire de nos cafés serait, à peu de choses près, écrire l'Histoire de France.»

Gravures sur le zinc

Au Diable Vert rue saint Merry, une clochard devant son premier verre en confidence lui dit : - Place toi là pour voir le défilé !

Mais sur le miroir du comptoir un petit écriteau ravive la mémoire de ce client trop empressé :

                            Surtout n’oubliez pas de payer

                                même

                          si vous buvez pour oublier.

Ailleurs dans la ville, sur la grisaille des murs, le socle des statues, les tables des cafés, le plâtre des WC d’autres sentences sont gravées ou titubantes dans les rues à haute voix proférées :

Mon lit c’est le ruisseau

mon trottoir l’oreiller

le flic c’est mon cauchemar

le vin mon rêve doré.          Debout les ivre-morts

                                  révérend-père Ricard

                                 le dernier verre du condamné

                                            beaucoup

                                   l’ont bu dans les tranchées.

                                         Tu m’as quitté

                                                      Beauté

                                                  A m’en rendre

                                                  malade

                                                 je bois à

                                                    ta santé

Buvez ceci est mon eau

signé Saint Galmier 

         quand

le chameau                                           

entre

       le bistrot est désert

L’alcool tue mais pas n’importe qui

Plus le verre est épais

plus le vin est cher et mauvais         

 

 Que de grands verres

 on pourrait remplir avec les

                         petits verres que les larmes ont fait verser

le mauvais buveur

vit sous l’Empire de la Boisson

le bon

dans sa révolution

     Méfiez-vous du Brandy corse

                 Buvez du rouge

            jamais de fine Napoléon

Bacchus ne disait pas que c’était

          son sang

il avait horreur des Appellations

                            Contrôlées

J.C chassa les marchands de

vin du Temple

Son père n’aimait pas la concurrence.

….. et tant d’autres encore choses lues

Et retenues, entendues racontées.

                      Jacques Prévert

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commentaires

P
Superbe revue et numéro caractéristique de la qualité de la collection ici avec des photos de Robert DOISNEAU en cliché offset excusez du peu - comme les ouvrages des Éditions du ZODIAC ( Alsace romane par exemple ) et non les procédés électroniques contemporains.<br /> Travaillant ,dans mes jeunes années, à KEHL, de l'autre coté du Rhin je m'y rendais le matin tôt, à vélo, en traversant la zone portuaire ,trajet ponctué de bistrots. On voyait ouvriers et employés, avant "l'embauche" prendre un café arrosé suivit " d'un autre " en indiquant le verre de schnaps suivi de la "rincette" puis de la "re" jusqu'à " la der". A 7h30 le patron "avait fait sa journée" et les plats du jour à midi et les apéros de sortie du boulot avant de retrouver sa " bourgeoise" était "du gras" et quel gras, on payait en liquide, rien qu'en liquide; pas de carte bancaire en ce temps là.<br /> Et puisque notre historien matiné de sociologue de Taulier termine avec PRÉVERT il y a cet autre aspect du bistrot évoqué dans " La grasse matinée " du même Jacques qui, comme témoignage d'histoire et d'une époque reste curieusement d'actualité tout aussi cruelle que tente d'adoucir Restos du Coeur, Banque Alimentaire ou autre.<br /> <br /> La grasse matinée<br /> <br /> Il est terrible<br /> le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain<br /> il est terrible ce bruit<br /> quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim<br /> elle est terrible aussi la tête de l'homme<br /> la tête de l'homme qui a faim<br /> quand il se regarde à six heures du matin<br /> dans la glace du grand magasin<br /> une tête couleur de poussière<br /> ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde<br /> dans la vitrine de chez Potin<br /> il s'en fout de sa tête l'homme<br /> il n'y pense pas<br /> il songe<br /> il imagine une autre tête<br /> une tête de veau par exemple<br /> avec une sauce de vinaigre<br /> ou une tête de n'importe quoi qui se mange<br /> et il remue doucement la mâchoire<br /> doucement<br /> et il grince des dents doucement<br /> car le monde se paye sa tête<br /> et il ne peut rien contre ce monde<br /> et il compte sur ses doigts un deux trois<br /> un deux trois<br /> cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé<br /> et il a beau se répéter depuis trois jours<br /> Ça ne peut pas durer<br /> ça dure<br /> trois jours<br /> trois nuits<br /> sans manger<br /> et derrière ce vitres<br /> ces pâtés ces bouteilles ces conserves<br /> poissons morts protégés par les boîtes<br /> boîtes protégées par les vitres<br /> vitres protégées par les flics<br /> flics protégés par la crainte<br /> que de barricades pour six malheureuses sardines..<br /> Un peu plus loin le bistrot<br /> café-crème et croissants chauds<br /> l'homme titube<br /> et dans l'intérieur de sa tête<br /> un brouillard de mots<br /> un brouillard de mots<br /> sardines à manger<br /> oeuf dur café-crème<br /> café arrosé rhum<br /> café-crème<br /> café-crème<br /> café-crime arrosé sang !...<br /> Un homme très estimé dans son quartier<br /> a été égorgé en plein jour<br /> l'assassin le vagabond lui a volé<br /> deux francs<br /> soit un café arrosé<br /> zéro franc soixante-dix<br /> deux tartines beurrées<br /> et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.<br /> <br /> Jacques Prévert ( 1945 )<br /> <br /> P.S. A l'époque ou les duettistes de la "bien mangeance" commençaient à défrayer la chronique avant d'y régner en maitre ils plaçaient , en haut de l'affiche , le Buffet de la Gare de MILLAU.
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