Cette phrase tirée du livre Bistrots. Reportages parisiens de Jean Vertex chez Louis Querelle éditeur, 228 p., 1935, recouvre-t-elle encore aujourd’hui une réalité sociale, culturelle ?
J’en doute.
À de rares exceptions, ces lieux ont disparus de nos villes et de nos villages, soit physiquement, soit en changeant de peau sous les effets de leur « modernisation », de leur standardisation par des chaînes ou des distributeurs…
Si l’on égrène, dans l’ordre alphabétique, les synonymes de l’appellation : café à la française, les vieux comme les nouveaux : assommoir, bar, bistrot, boui-boui, bousin, brasserie, buffet, buvette, cambuse, estaminet, mastroquet, pub, taverne, troquet… on prend la mesure de ce basculement d’un monde vers un autre.
La France des bistrots a disparue, celle où, comme l’écrit Vertex « Tout se termine au petit matin, à la sortie du métro, «dans l'odeur d'ail, de friture, de cigarette éteinte, de guimauve trop chaude, et de pernod tiédi.»
Pour lui le café, «c'est le moyen terme entre le salon et la rue, le chez-soi et le chez-autrui.»
« Jean Vertex commence sa difficile enquête dans les gares:
Les cafés des abords des lignes PLM sont peuplés de chevillards en blouse, de courtiers en pinard cossus et décorés, d'Italiens ravaleurs de façades coiffés de chapeaux verts, de Savoyards dont la besace exhale des odeurs de fromage, de servantes proprettes aux joues roses encaustiquées, aux yeux étonnés et candides. On y voit des marins amateurs de vin blanc, aux bérets insolents, aux hanches excessives, aux pompons trop serrés et trop volumineux, matelots d'opérette connaissant la marine ignorant la mer...»
Puis il y a les bistrots de sous-préfecture, «avec quadragénaires chargés de famille, magistrats austères, conservateurs d'hypothèques, supérieurs assomptionnistes, généraux en retraite à Cahors et sénateurs fatigués.» Passons ensuite aux «Bistrots d'escroqueries et d'affaires malsaines», pleins de faisans qui, «en quittant la prison, font leur première visite pour le bistrot où ils savent retrouver leurs combines.»
Le 9 janvier 2009 je postais une chronique :
Qu’il est loin l’âge d’or des buffets de gare… lettre à Guillaume Pepy président de la SNCF
« Le temps des voyages, des excursions, des balades a-t-il définitivement laissé la place à celui des migrations, celles des fins de semaine, celles des grandes et petites vacances : les fameux chassés croisés, celles des charters, où, en cohortes serrées, pressées, plus personne ne prend le temps de se poser, de se restaurer ? Alors, dans tous les lieux drainant les grands flux : les gares, les aires d’autoroute et les aéroports, les points de restauration, à quelques rares exceptions, s’apparentent à des bouis-bouis, chers, malpropres, proposant le plus souvent une nourriture indigne que même un quelconque Mac Do n’oserait pas servir. Sous le prétexte, souvent justifié, que les voyageurs ne sont qu’en transit, qu’ils ne viennent pas dans ces lieux pour le bien manger, que c’est dans tous les pays pareil, le traitement qu’on nous inflige donne de notre beau pays, qui se vante d’être celui de la bonne chère, une image déplorable. »
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Quant aux sous-préfectures elles auront bientôt disparues…
Aujourd’hui, les cafés ne sont plus que des lieux de passage, de transit, de stationnement de solitude, et sur les terrasses des cafés il suffit d’observer les couples, les groupes, pour s’apercevoir que l’attention des uns et des autres est aspirée par le petit écran de leur Smartphone.
La sociabilité s’est transférée sur les fameux réseaux sociaux qui eux-mêmes, sont, selon une chronique, sont aussi en train de mourir.
Tout va si vite !
« La belle aventure aura duré dix ans. Avant 2007, nous étions déconnectés, isolés dans nos villages, amis de quelques-uns, reliés à pas grand monde le temps d’une vie. Puis Facebook et Twitter ont changé la donne. Nous nous sommes parlé, d’un pays à l’autre, en petits messages puis en photos et vidéos. Nous sommes devenus bavards et curieux les uns des autres, sous le regard moqueur des sentinelles de la dignité, politiciens, médias, amis incrédules et inquiets pour notre propension à « raconter nos vies à des inconnus »...
Enfin les politiciens, les médias et les amis incrédules ont rejoint la partie, découvrant enfin leur intérêt à se connecter à l’autre. Pour finir ce sont eux qui occupent l’espace tandis que l’impulsion d’origine a disparu.
Désormais le terrain de jeu est quantifié, quadrillé, scruté et manipulé.
Il est une fenêtre sur le bruit du monde, l’écume des mots déposés sans filtre à la merci du premier visiteur unique. Vous ouvrez Twitter et vous cherchez au milieu d’une montagne d’ordures le petit caillou qui brille, en souvenir d’un temps que les moins de vingt ans ne veulent même pas connaître.
Foire d’empoigne des anti-contre, antichambre de l’ennui sponsorisé, Twitter et peu à peu Facebook se transforment en déversoirs de notre dépression collective, calculée par datas et par affinités »
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La boîte à bouquins de Forestier : la France vue du bistrot
« Je ne sais pas qui était Jean Vertex, sinon qu'il se nommait en réalité Jean-Maris Sau, qu'il était journaliste, qu'il a composé des chansons, écrit des films et fréquenté les rades. Né en 1904, mort en 1971, voilà tout. C'est maigre. Mais j'ai mis la main sur un exemplaire de son livre, «Bistrots», publié par l'éditeur Louis Querelle en 1935, et illustré par d'Esparbès, Gen-Paul, Sennep. »
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Sous-titré «Reportages parisiens», le bouquin est une promenade de comptoir en comptoir, la Gauloise à la bouche et le verre de Sauvignon à la main. Le principe, énoncé par Willy, est simple:
Écrire l'histoire de nos cafés serait, à peu de choses près, écrire l'Histoire de France.»
Gravures sur le zinc
Au Diable Vert rue saint Merry, une clochard devant son premier verre en confidence lui dit : - Place toi là pour voir le défilé !
Mais sur le miroir du comptoir un petit écriteau ravive la mémoire de ce client trop empressé :
Surtout n’oubliez pas de payer
même
si vous buvez pour oublier.
Ailleurs dans la ville, sur la grisaille des murs, le socle des statues, les tables des cafés, le plâtre des WC d’autres sentences sont gravées ou titubantes dans les rues à haute voix proférées :
Mon lit c’est le ruisseau
mon trottoir l’oreiller
le flic c’est mon cauchemar
le vin mon rêve doré. Debout les ivre-morts
révérend-père Ricard
le dernier verre du condamné
beaucoup
l’ont bu dans les tranchées.
Tu m’as quitté
Beauté
A m’en rendre
malade
je bois à
ta santé
Buvez ceci est mon eau
signé Saint Galmier
quand
le chameau
entre
le bistrot est désert
L’alcool tue mais pas n’importe qui
Plus le verre est épais
plus le vin est cher et mauvais
Que de grands verres
on pourrait remplir avec les
petits verres que les larmes ont fait verser
le mauvais buveur
vit sous l’Empire de la Boisson
le bon
dans sa révolution
Méfiez-vous du Brandy corse
Buvez du rouge
jamais de fine Napoléon
Bacchus ne disait pas que c’était
son sang
il avait horreur des Appellations
Contrôlées
J.C chassa les marchands de
vin du Temple
Son père n’aimait pas la concurrence.
….. et tant d’autres encore choses lues
Et retenues, entendues racontées.
Jacques Prévert