Pour ceux d’entre vous qui ont raté le début ou ceux qui sont un peu perdu la maison, qui ne recule devant aucun sacrifice, vous offre la compilation des 6 premiers chapitres de la grande saga de l’été, le thriller qui fait péter les ventes, le bouquin qui s’arrache sur les plages…
Bon dimanche et bonne lecture…
Selon Vespasien « L’argent n’a pas d’odeur… pecunia non olet » mais, lorsqu’il est sale, il faut pourtant le blanchir, trouver des lessiveuses pour le recycler dans les canalisations officielles, légales. Toutes les organisations criminelles du monde mondialisé, quelle que soit leur appellation, ont besoin de débouchés dans l’économie « blanche », afin de faire circuler les capitaux amassés, d’atteindre de nouveaux territoires, de générer de nouveaux profits. Planquer les capitaux dans des paradis fiscaux c’est sortir du jeu, se priver de participer au festin offert par « l’économie légale »
Avoir pignon sur rue, s’insérer dans des entreprises comme les autres, des entreprises comme il faut, opérant souvent dans des secteurs modestes, peu voyants, telle est la première ambition des prédateurs criminels. Les lessiveuses doivent être de plus en plus monstrueuses car les volumes à blanchir augmentent de manière quasi-exponentielle. Le blanchiment s’avère toujours délicat, les mafias y laissent au passage beaucoup de plumes.
Ce premier saut réalisé, les canaux de l’économie mondialisée permettent à ces faux-nez de se développer, d’investir, de se fondre dans le paysage, mais, comme l’appétit vient en mangeant, et que les managers criminels en col blanc pratiquent le même jeu que leurs frères des multinationales, la phase ultime pour eux consiste à racheter des marques prestigieuses.
Ces incultes, ces nouveaux riches vénèrent les marques.
Et quoi de plus prestigieux qu’un saint-émilion grand cru classé A ?
L’histoire qui suit, que vous allez suivre tout au long de ce mois d’août, n’est pas un conte, ni une affabulation, mais une enquête minutieuse, très Isabelle Saporta, menée par un fin limier de la lignée des privés mythiques, qui vous permettra de découvrir un monde sans pitié, où tous les coups tordus sont permis, un univers de rapaces avides, de traîtres, d’adeptes du double jeu, de gens bien comme il faut capables de trahir pour un plat de lentilles, de hobereaux prétentieux et vénaux, de journalistes stipendiés, d’officiers ministériels achetables, de femmes fatales, et bien sûr de volaille politique à la recherche de blé à picorer.
Que la fête commence !
- Je commençais à m’emmerder ferme…
Ma vie, depuis que je suis tout petit, par pure paresse, a rarement emprunté des chemins de traverse, je me suis toujours contenté de suivre les mêmes routes qu’eux, comme le chantait Brassens. Et puis, un jour où, comme à l’ordinaire, je me faisais royalement chier, j’ai fait la connaissance, façon de parler, de Marie de Saint-Drézéry, marquise de Bombon. Sans déconner ce fut le genre St Paul se vautrant de son cheval sur le chemin de Damas ou, pour faire plus contemporain, comme Paul Claudel rencontrant Dieu, à 18 ans, derrière un pilier de Notre Dame de Paris.
Je vous raconterai ça par le menu un peu plus loin.
Si je vous cause de Marie de Saint-Drézéry aujourd’hui c’est qu’elle vient de sortir, à l’instant, de mon somptueux bureau de « Conseil en affaires réservées ».
Adelphine, je l’ai choisie pour son prénom, ma collaboratrice, qui passe son temps à lire des romans abscons, son idole est bien évidemment Alain Robbe-Grillet le père du Nouveau Roman, la veille, avait interrompu ma sieste pour m’annoncer de sa voix sucrée d’annonces faites à Orly « J’ai au bout du fil une fille au nom imprononçable qui sollicite un rendez-vous… »
- Donnez-le-lui !
- J’chais pas comment faire mon ordinateur pédale dans la semoule ?
- Je suppose que vous savez encore vous servir d’un crayon pour noter, sur un de vos nombreux post-it, le jour et l’heure de ce rendez-vous ?
- Pas vraiment patron je suis une gauchère contrariée…
- Passez-la-moi espèce de cruche !
- Ce n’est pas gentil de dire ça de moi, hier vous m’avez dit que j’étais une perle rare…
- Oui, oui, hier c’était hier, aujourd’hui c’est aujourd’hui…
- Ça c’est bien envoyé chef ! Je vous la passe, j’ai au moins retenu son prénom : Marie…
Pour ne rien vous cacher mon bureau de « Conseil en affaires réservées » ne croulait pas sous les affaires, sur la lancée de ma période « privé minable » je continuais de ramasser de sombres histoires de fesses, de cocus, de mal-baisés, d’éclopés de la vie, qui ne me rapportaient pas gros. Faire du fric j’en avais rien à péter, du pèze j’en avais à ne savoir qu’en faire, ce que je recherchais c’était l’aventure, l’adrénaline, le truc tordu, le borderline, de gros poissons, des Serbes féroces, des oligarques russes plein aux as, des politiciens véreux, d’intrigantes dont les longs compas arpentent le monde interlope, des salopes, des flics corrompus, du go fast bien faisandé, du noir bien noir comme l’encre de chine ou de seiche.
Je commençais à m’emmerder ferme.
Avant d’aller plus loin dans cette narration je me dois de préciser : primo, que je ne couche pas avec Adelphine, elle n’aime que les filles ; deuxio : qu’Adelphine a fait khâgne, hypokhâgne, reçue à Normale Sup mais elle a préféré s’embaucher comme chocolatière chez Jacques Genin avant de bifurquer pour bosser chez moi ; tertio, que ceux qui ne sont pas contents aillent se faire voir chez Plumeau comme me le disait ma grand-mère paternelle !
Adelphine, après deux tentatives infructueuses, « moi, en dehors de la Grosse Pomme, je suis larguée grave… » me connecta enfin avec la mystérieuse Marie :
- Marie de SaintDrézéry, bonjour Tarpon, sacré farceur !
Si j’avais eu un dentier je l’aurais avalé…
(2) Qu’est-ce que je me suis fait chier à Saint-Guénolé !
Tarpon, c’est moi bien sûr, mais, je dois à la vérité de vous révéler que ce nom est ma nouvelle raison sociale. Mon patronyme officiel, celui de mes papiers, c’est Desboires. Hubert Desboires. Sans contestation ce nom allait comme un gant à mon géniteur qui, tout au long sa vie, les a alignées comme des écheveaux saucisses pur porc. Ma mother, elle, était une Laforêt. Z’ont jamais mis un trait d’union à leurs noms vu que leur union n’a duré que le temps de me jeter hors du ventre de ma mère.
Le jour où j’ai viré de bord à 180°, barre toute, changé de vie quoi, j’ai aussi décidé de virer ce putain de nom. Si j’ai choisi Tarpon, un nom de poisson, c’est d’abord en hommage à Jean-Patrick Manchette mon idole, mais c’est aussi parce qu’Eugène Tarpon, pandore déchu pour avoir envoyé ad patres un plouc breton déversant son fumier sur la chaussée, poivrot invétéré, me ramenait à mon paternel qui, lorsqu’il était beurré à point comme un petit LU, sur le bord de mon lit, me marmonnait que j’étais le fils d’une mère maquerelle et que j’étais né un matin au 5 bis de la rue de la Grange aux Belles près du Canal Saint-Martin.
Délire d’ivrogne, ma mère, infirmière-chef à l’hôpital Beaujon s’était tirée, vite fait mal fait, quand j’étais encore un chiard braillard, avec un jeune interne boutonneux qui s’était empressé de s’installer comme toubib du côté de Bordeaux où sa famille possédait un château pissant du nectar, un GCC qu’y disaient dans les canards à pinard. Vu que ma génitrice me laissa tomber comme un baluchon de linge sale, il est vrai que je faisais alors encore pipi au lit, le pauvre hère qui me servait de père m’a lourdé. Destination immédiate : chez ma grand-mère paternelle, bretonne de son état, baignant dans l’eau bénite, empileuse de sardines à l’huile en usine à Saint-Guénolé.
Qu’est-ce que je me suis fait chier à Saint-Guénolé !
Même que j’ai fait enfant de chœur pendant un paquet d’années. Mémé sentait l’huile d’arachide et ronflait comme un sonneur de cornemuse. J’étais tout boulot, rond quoi, car la mémé me gavait comme une oie. Mon teint rougeaud avec des petits yeux de gorets et des cheveux tout filasse, mes courtes pattes et mes doigts potelés, mes frusques miteuses, m’handicapaient grandement auprès des gonzesses. Je me rattrapais en les faisant rigoler. Du bagout j’en avais, mémé disait que je tenais ça de ma salope de mère, ce qui me ravissait : pour une fois qu’elle m’avait donné quelque chose celle-là. Quand je poussais le bouchon trop loin mémé me calmait d’un beau revers de main. Des torgnoles j’en ai reçu, pas trop tout de même car je me rebiffais en menaçant la grand-mère de la dénoncer au curé.
J’ai toujours été un ramenard un peu flemmard. De mon père le seul truc que j’ai reçu en héritage c’est un goût très prononcé pour me foutre dans la merde et d’y patauger. Quand mémé a passé l’arme à gauche mon pater m’a flanqué en pension, mais, comme y pouvait plus raquer, les curés m’ont viré. C’est alors, qu’au lieu de rentrer à Paris, j’ai pris la route avec mon baluchon. La suite de ma courte histoire de routard ne présente guère d’intérêt, j’ai tout fait et j’ai rien fait, ma seule passion c’était les livres. M’en goinfrait. J’en volais. Carburer à l’imprimé me permettait d’exister. Je bouffais de tout mais, quand ça me tombait sous la main, je bouffais bien.
Chez moi, la limite entre ce qu’on appelle la vie, celle que tu vis, et celle que je forniquais dans ma tête, a toujours été très floue. Autour de moi, surtout mes employeurs car j’ai eu peu de gonzesses dans ma vie, on disait que j’étais toujours à côté de mes pompes, alors que ce qui me trottait dans la tête depuis longtemps c’était de mettre mes grôles dans celles des héros de Dashiell Hammett, que Manchette tenait pour « le meilleur romancier du monde depuis 1920 », de James Hadley Chase, Raymond Chandler… Les jours de déprime, je me trouvais prétentieux et velléitaire, alors pour remonter à la surface je me plongeais dans mes livres jusqu’à plus soif. Moral revenu au beau fixe je me glissais à nouveau dans la peau de mes héros.
Et puis, un beau jour, tout a basculé sans que j’y sois pour grand-chose. Ça m’est tombé dessus, comme ça, sans prévenir. À l’époque je vivais en pavillon avec une veuve beaucoup plus âgée que moi tout en végétant comme vigile au Carrouf de Pontault-Combault. Tous les soirs je rentrais chez elle, la bicoque était à elle, comme un âne qui recule. La retrouver, son gros cul posé sur le canapé, face à sa télé, me déprimait. Y’avait jamais rien à bouffer. Par bonheur elle s’endormait devant sa télé ce qui me dispensait de la sauter. Le plus souvent je retardais l’échéance, au café des Sports, à coup de petits jaunes. La bande de bois-sans-soif avec qui j’étayais le zinc jouaient à tout ce qui pouvait se jouer. Moi pas, comme la chance et moi ne faisions pas très bon ménage, je préférais m’abstenir. Et puis un vendredi soir, alors que j’en avais fini avec ma tripotée de petits jaunes, suis allé pisser avant de m’en aller. Dans les chiottes, sur le dévidoir de PQ y’avait un formulaire de l’Euro-Millions. Il était déjà rempli, un gars devait l’avoir oublié. Je l’ai glissé machinalement dans ma poche de veste. En tirant la chasse je me suis mis à gamberger, l’aspiration rauque du siphon me précipitait dans le vide de ma vie.
En me rebraguettant je gueulais « Putain de merde, ducon bouges-toi les fesses ! » Tous ces gros cons alignés en rang d’oignons face à la caisse pour jouer me renvoyaient ma sale image à la gueule. Foutu, t’es foutu mec. Je fulminais. Péter un câble me pendait au nez. Fallait que je fasse sauter la soupape ! C’est Simone, la femme du patron, qu’est super bien roulée mais qu’a aussi la tronche de traviole, qui m’a dégoupillé en m’étalant un beau sourire. Ça m’a donné envie. Simone m’envoyait des pleins phares. J’ai triqué. J’ai joué. J’ai gagné. J’ai touché le pactole. J’me suis tiré sans prévenir ni Carrouf, ni mon tas.
Direction Paris, non pas pour mener la grande vie mais pour m’installer dans un petit bureau, au 6e sans ascenseur, que je louai, sitôt arrivé, au 17 de l’Impasse du marché aux chevaux dans le 5e arrondissement.
(3) « elle avait embrayé aussi sec sur des trucs et des machins qui pissaient du pognon comme des Prim’Holstein survitaminées. »
Tordu comme je suis, en débarquant à Paris j’avais choisi l’option Tarpon looser. Mon pognon je l’avais tout mis sur un compte à la Caisse d’Épargne. Pas question d’y toucher. Pour m’installer j’avais pioché dans mes maigres économies. C’était une question d’honneur vis-à-vis des mannes de mon con de vioque. J’allais relever le défi, le réhabiliter lui qui avait fini grabataire à l’hospice. Mes débuts furent calamiteux, un seul client qui me refila un chèque en bois. Têtu je m’accrochais en campant dans mon bureau, bouffant des sardines à l’huile et du camembert. Fallait être aussi con que moi pour vivre comme un mendigot alors que j’avais un gros magot qui roupillait sur un compte.
La chance ne sourit pas qu’aux audacieux mais aussi aux merdouilleux dans mon genre. Pour faire mes filoches je m’étais acheté un vélo d’occasion, un Raymond Poulidor violet. Ça allait bien à mon état de looser. Je pédalais dans Paris, surtout la nuit. C’est ainsi que je me suis retrouvé, un soir, dans un bar, une cantine d’altitude de Ménilmontant, tenue par des filles bien roulées. Elles m’ont déniaisé, mentalement j’entends. Au début, leurs vins qui puaient me ramenaient à la Bretagne et son lisier de gorets. Et puis je m’y suis fait. Ça m’a même guérit des petits jaunes. J’étais chez elles, dixit le gros Mao variqueux, comme un poisson dans l’eau. Reines d’la com qu’elles étaient, l’m’ont filé le virus : j’ai acheté un vieux Mac, un ordinateur quoi, et me suis torché un profil Face de Bouc aux petits oignons.
Addiction radicale !
Le démarrage fut du genre diesel, poussif, besogneux, les amis ne se bousculaient pas au portillon. Scotché à mon écran je guettais le moindre frémissement. Rien, morne plaine, peine perdue sur la Toile je n’existais pas. Alors je me suis mis à poster les photos de boutanches de vin nature, les vins à poils que j’éclusais à la cantine d’altitude, en dézinguant à tout va les Grands Crus Bordelais. Vengeance rance de ma part à l’égard du château Mandigot que ma très chère mère menait d’une main de fer car son époux avait d’autres chats à fouetter. Je retrouvais ma verve de gamin. Faut dire que dans le marigot de Bordeaux le matériau était de choix, un vrai bouillon de culture. Eugène Tarpon II « conseil en affaires réservées » attira sur son mur la fine fleur des mouches à merde tourbillonnant autour des crus. J’en profitai pour aller mettre mon tarin dans tous les bons coups de la profession.
Ma surface médiatique croissait.
Tout ça était bel et beau mais pour ce qui est des clients Nada !
Au tout début août, étant à sec, je m’apprêtais à déclencher le Plan Orsec. L’idée me vint alors de solliciter un prêt auprès de ma Caisse d’Épargne. Ma conseillère financière, Mlle Durand, qui me harcelait avec constance pour que je fasse de juteux placements avec mon magot, me reçut illico. Ma proposition de solliciter un prêt la jeta dans une forme d’attrition ricanante. Elle bafouilla, me jeta des regards suppliants, m’implora. Je lui concédai l’ouverture d’un Livret A en échange d’un prêt de 1000 euros pour assurer mon mois. Son sourire désespéré, alors qu’elle remplissait la montagne de papiers pour le prêt, vainquit mes dernières résistances. Bandant ce qui me restait de courage, tout à trac, je lui déclarai :
- Je serais ravi que vous acceptiez de dîner avec moi pour que nous discutions de mes placements…
Elle rougit et me dit oui.
Nous dînâmes aux baguettes, et moi, salopiaud que je suis, pendant tout le dîner je ne pensais qu’à ma braguette. Lucette, oui mademoiselle Durand se prénommait Lucette, après m’avoir conseillé pour le choix des mets à numéros avait embrayé aussi sec sur des trucs et des machins qui pissaient du pognon comme des Prim’Holstein survitaminées. Nous buvions du thé. Je contemplais Lucette d’un air, qui se voulait intéressé, alors que dans ma petite tête j’élaborais des plans cul avec elle qui pensait que je buvais ses paroles.
Je réglai l’addition.
Il fallait que je me jette à l’eau. Elle me devança :
« Et si vous veniez chez moi prendre un verre cher monsieur Tarpon ?
Je restai un instant coi avant d’opiner.
Lucette m’embarqua dans une Austin Cooper rouge lie de vin qu’elle pilota comme une formule 1 sur le circuit de Monaco. Loin de me foutre les chocottes sa conduite me plongea dans un état extatique vu que, pendant tout le trajet, je visionnai avec gourmandise l’activité trépidante de ses cuisses fermes qui allaient et venaient sous sa mini-jupe de cuir noir.
Elle habitait dans le XIIIe, tout au haut d’une tour de Chinatown. « Houellebecq est mon voisin, il est très gentil, nous bavardons souvent lorsque le soir nous promenons nos chiens… » me dit-elle dans l’ascenseur.
« Putain, elle a un clebs, y va falloir que je joue à « Ha ! Qu’il est beau ce toutou… je n’aime pas les bêtes ! »
L’appartement de Lucette était une bonbonnière à dominante rose fuchsia. Le clébard, couché sur le canapé, un Bouvier des Flandres, ne manifesta aucune animosité à mon égard se contentant de bailler à se décrocher les mandibules.
« Mettez-vous à l’aise monsieur Tarpon… » me susurra Lucette en disparaissant.
Pour être à l’aise y’ pas photo, j’étais super à l’aise dans mon saroual caca d’oie et ma chemise hawaïenne, je quittai même mes sabots suédois pour enfoncer profond mes panards dans la moquette de haute-laine. Fallait que je me grille un chichon pour pouvoir exprimer la quintessence de ma sève. Ce que je fis sous l’œil bonasse du monstre.
Lucette revint emmitouflée, façon de parler, dans un mini kimono transparent. Elle me tendit un petit verre de saké et entrepris, de ses doigts et agiles, de me mettre à nu. La fête commençait ! Elle me fit oublier que j’étais moche, gros et maladroit.
Tarpon lessivé, Tarpon essoré, Tarpon vidé mais Tarpon libéré…
Je restai faire la grasse matinée chez ma banquière experte.
Mademoiselle Durand, comme son nom de l’indique pas, était une vietnamienne adoptée par un couple du Kremlin-Bicêtre. Sans le savoir je venais d’avancer un pion essentiel sur l’échiquier de mon job de privé. Guilleret je regagnais mon bureau. Faisait beau, je me sentais un homme nouveau. Décidais de changer de peau. D’abord changer de bureau, je tapotai sur mon Mac pour dénicher une agence immobilière chalutant dans les bureaux de prestige. J’en trouvai une rue de Bourgogne dans le VIIe.
Y’a des jours comme ça où tout va, et même si les vaches maigres occupaient encore mon pré, ce jour se révélait être d’un excellent millésime.
(4) « après le succès planétaire de mon dernier opus, j’ai pris une année sabbatique dans un monastère au Népal »
Le VIIe arrondissement, c’est la quintessence des gens bien comme il faut qui ont élu, Edouard Frédéric Dupont de 1936 (95% de voix) à 1993, député de la plus belle circonscription de Paris. Maire de l'arrondissement depuis la réforme de 1983 jusqu’en 1995, surnommé Dupont des loges (en référence aux concierges ses plus fidèles alliées dans la chasse aux électeurs) son parcours politique est très représentatif d’une certaine Droite française (pétainiste mais pas collaborationniste, colonialiste mais gaulliste, proche du FN sans s’y agréger…). Maintenant y z’ont Rachida et y z’ont échappé à NKM.
La rue de Bourgogne est névralgique. En dépit de son étroitesse et de son sens unique elle irrigue les allées du pouvoir en reliant la place du Palais Bourbon : l’Assemblée Nationale à la rue de Varenne : l’hôtel de Matignon, l’hôtel de Villeroy : Ministère de l’Agriculture et d’autres hôtels abritant des ministères de moindre importance. Elle coupe les rues Saint Dominique : Ministère de la Défense, de Grenelle : Education Nationale, Industrie, Travail… Elle est stratégique donc cernée par des rues truffées de types qui passent leur temps enfermés dans des cars à jouer à la belotte ou à écouter de la musique sur leurs Smartphones dans des tenues très seyantes qui les font ressembler aux robots des jeux vidéo.
Cerise sur le gâteau, à l’angle de Varenne, est sis l’Arpège d’Alain Passard le nouveau roi des rutabagas et des topinambours.
Autrefois on trouvait de tout rue de Bourgogne ! De quoi se nourrir : boucher, épiciers, marchand de fruits et légumes, boulanger-pâtissier avec une mention spéciale à la maison Pradier qui a absorbé la maison Rollet (même dans le petit commerce la concentration ça existe ; on pouvait y trouver des fleurs chez le très classe Moulié ; on pouvait se faire couper les tifs chez Michel Caro avec sa vitrine signée PIEM ; on pouvait prendre son petit noir au Voltigeur ou au bar tabac l’Assemblée ; on pouvait y acheter son journal ou ses magazines chez le marchand ad hoc ou des livres au Dauphin ; on pouvait nettoyer son linge au pressing ; on pouvait se restaurer bien sûr : le Lotus Blanc pour les midinettes des Ministères, le Sac à dos pour les ingénieurs du Génie Rural des Eaux et des Forêts, les Glénan pour les invitations des membres du cabinet ; on pouvait se cultiver dans les galeries de peinture ; on pouvait acheter des meubles chics ; on pouvait chiner chez des antiquaires ; on pouvait dormir à l’hôtel Bourgogne&Montana et à l’hôtel du Palais Bourbon ; retirer de l’argent à la Société Générale ; acheter des médicaments dans les 2 pharmacies; y rêver au Club des Poètes…
L’agence sentait le pognon à plein tarin, je faillis être englouti comme dans des sables mouvants par la moquette de haute laine du bureau du gérant, un type qui ressemblait au Rastapopoulos de Tintin, le monocle en moins. Mobilier contemporain glacial comme une banquise, tableaux minimalistes au mur, boutons de manchettes perle de culture, costards trois pièces noir à fines rayures tennis, Richelieu black luisante sur chaussettes rouge Fillon, je déparais. L’empocheur de commission n’en laissa rien paraître, debout derrière son bureau, il me salua en m’indiquant d’un geste élégant que je pouvais poser mes grosses fesses sur l’un de ses fauteuils, puis, toujours aussi urbain m’interrogea sur le pourquoi de ma visite. En quelques phrases je lui fis part de mon désir de monter en gamme. Ce langage bien marqueté lui tira un léger sourire. Pour sûr je l’intriguais avec mon allure baba-cool à la Big Lebowski, catogan, chemise indienne, saroual, pieds-nus dans des sabots suédois et, bien sûr, fragrances de restes de combustion intensive de chichon. Que venais faire dans sa belle galère un individu de mon espèce ? En termes choisis il tenta de me faire comprendre que sa chalandise chalutait en des eaux où l’on ne rencontrait guère des petits poissons.
Dans une autre configuration j’aurais utilisé la manière forte, joué le tout pour le tout : de mon baise-en-ville en macramé, survivance de ma période de beaufitude, j’aurais extirpé une enveloppe que j’aurais déposé, l’air de rien, à portée de ses belles mains aux ongles manucurés, et, sans lui laisser le temps de réagir, je lui aurais balancé d’un air détaché en me levant brusquement : « où est-ce que je peux pisser ? » Avec le pot-de-vin, le bakchich, faut toujours ménager les susceptibilités, prendre en compte les mines de vierge effarouchée, la morale, la déontologie, le dessous de table ça se palpe dans la discrétion. Certes tout homme est achetable, ce n’est qu’une question de prix, mais il ne faut jamais insulter l’avenir.
Là je la jouai people en lui plaçant d’un air dégagé « après le succès planétaire de mon dernier opus, j’ai pris une année sabbatique dans un monastère au Népal » en lui tendant l’état de ma fortune attestée par miss galipettes ma banquière Le bourgeois du VIIe, qui va à la messe à Sainte Clotilde, donne au denier du culte et à la quête, a autant de flair de l’épagneul breton qui l’accompagne à la chasse, lorsqu’on lui présente les stigmates de la bonne et palpable fraîche, il tombe en arrêt. De courtois il passa à obséquieux. Nous fîmes rapidement affaire, un 180 m2, dernier étage donnant sur le Champ de Mars, rue Charles Floquet, que je visitai en le visionnant sur le grand écran d’un home-cinéma. Il me fit signer une chiée de papiers, me tendit un trousseau de clés et me raccompagna en me donnant de petites tapes sur l’épaule comme si nous avions gardé les vaches ensemble. Sa collaboratrice, très bon chic bon genre, collier de perles sur chemisier blanc col claudine, jupe droite bleue marine, cheveux tirés en chignon, n’en revenait pas. Mes démons refoulés furent à deux doigts de resurgir, je faillis balancer à mon nouvel obligé de la joindre à mon bail mais le pauvre petit sourire mélancolique qu’elle affichait me ramena à la raison. Rastapopoulos ne devant pas être un as de la chose, je ne voulais pas ajouter à son malheur.
Clés en poche qu’allais-je faire ?
Je me tâtai, façon de parler, par quel bout commencer ? Mon Raymond Poulidor, attaché à un poteau de stationnement interdit, m’attendait. Dans ma petite Ford d’intérieur je me marrais « si Rastapopoulos m’avait vu arriver en un tel équipage, pas sûr qu’il m’ait reçu ? » Sur le trottoir, après avoir fait quelques pas, je me retrouvai nez à nez avec une grande Psyché qui trônait dans la vitrine d’un antiquaire. Le choc ! J’ai marmonné « Pute borgne, t’es vraiment pas présentable… » Furax, mais déterminé, je me suis mis de suite en chasse : « commencer par le haut, les tifs ! ». Où aller ? Je n’avais pas la queue d’une idée vu que jusqu’ici c’était mes nanas qui me les rafraîchissaient. J’ai détaché ma monture, l’ai enjambé pour remonter la rue de Bourgogne jusqu’à la rue de Varenne, là j’ai viré à gauche, suis passé devant Matignon, arrivé au boulevard Raspail j’ai hésité, et puis je me suis souvenu que, lors d’une filature, celle d’un vieux sénateur libidineux, j’avais stationné devant un salon de coiffure en faisant semblant de consulter les tarifs affichés. Bon plan, se payer une coupe à 90 euros entrait à merveille dans ma nouvelle vie ! Je rattrapai le boulevard Saint-Germain par la rue du Four afin de remonter la rue de Tournon.
Suis rentré chez Massato.
(5) « j’ai élevé la futilité au rang d’un art, cher monsieur. N’est pas Lucchini qui veut… Moi je ne lis pas Freud lors de mes pauses… »
La réceptionniste, une grande asperge très chic, beau décolleté, n’a pu réprimer une forme de panique, sa bouche peinte de rose fuchsia n’arrivait à proférer aucun son, ses yeux verts amande roulaient dans un océan de stupéfaction et ses magnifiques ongles carminés tapotaient nerveusement le comptoir. Même si j’ai l’air con je sais y faire dans ces cas-là. Pour la détendre j’lui ai joué du Big Lebowski pur sucre, en anglais étasunien, version côte Ouest, large sourire à l’appui, pour décrocher un rendez-vous avec un petit génie de la coupe à la Massato. Ça a marché. Je fus pris en mains par un autre mannequin à la plastique irréprochable afin d’entrer dans la chaîne de production.
Mon arrivée dans la salle de shampouinage à l’étage, sorte de serre exotique, exclusivement peuplée de rombières désœuvrées du 6e arrondissement, a fait l’effet de l’irruption d’un porcu neru corse dans une volière de perruches. Une petiote toute boulotte, toute timide, m’a fait enfiler un peignoir japonais, puis elle m’a installé dans un fauteuil à bascule. En m’y rendant je me suis remonté ostensiblement les roubignolles. Sous les casques ces dames durent me vouer aux gémonies. « Ce pays part en couilles, pardon en quenouilles. » La séance qui suivit, test de température de l’eau, massage lent et continu de mon cuir chevelu par la jeune shampouineuse, me mit en état d’érection. Par bonheur l’ampleur de mon saroual m’évita une insurrection. En quittant l’étage je saluai ces dames d’un tonitruant : « femmes, je vous aime… » qui fit sourire la gentille boulotte que j’arrosai d’un large pourliche.
Au bas de l’escalier m’attendait mon coupeur de tifs, un grand blond tout maigre à boucles d’oreilles, enserré dans un fuseau mastic noir qui moulait son petit cul de poulain, chaussé de santiags en fausse peau de lézard de Rautureau, tout en haut son torse plat abritait un marcel déchiré. Tatoué comme un matelot il me tendit une main pleine de bagues que je serrais énergiquement. Le garçon était babillard. Il tenta de me dissuader d’adopter une coupe de légionnaire. « Je vais vous faire un superbe dégradé… » En temps ordinaire il aurait eu droit à un « Tu m’obéis et tu fermes ta gueule ! » mais, appliquant mon revirement de jurisprudence, je me contentai d’un « Faites comme bon vous semble » résigné. Ça l’a motivé même s’il l’était déjà ayant zieuté l’épaisseur du pourliche que j’avais octroyé à la shampouineuse. Virevoltant autour de moi, il taillait à la fois ma toison filasse et une croustillante bavette sur sa vie trépidante de noctambule.
Le gus n’était pas dépourvu d’humour et, surtout, il ne se prenait pas au sérieux « j’ai élevé la futilité au rang d’un art, cher monsieur. N’est pas Lucchini qui veut… Moi je ne lis pas Freud lors de mes pauses… Son patron avait eu sur lui cette saillie, il l’appelait la Lucchina, « faute de se meubler le derche elle se meuble l’esprit »… J’adore ! Et, vous ? » Il avait ponctué sa question d’un petit rire de crécelle. Je lui concédai que c’était bien vu ce qui le plongea dans un ravissement extatique. « Vous êtes un dur, vous, un bourru, un modèle comme on en fait plus… J’adore !» D’ordinaire je l’aurais mouché, je n’aime pas les pédés mais il avait le coup de ciseau magique, je contemplais sa geste dans le grand miroir, du grand art ! Quand il eut terminé son office je me fendis même d’un merci agrémenté d’un pourliche royal qui lui tira des gloussements de plaisir. « Si vous revenez, demandez Seb… J’ai été ravi de vous coiffer ! » Le jour fut vraiment à marquer d’une pierre blanche car, tout de go, je lui demandais « Seb pour un costar vous iriez où ? » Sa réponse fusa « Chez Paul Smith, boulevard Raspail ! »
Je suis donc allé chez Paul Smith. La totale : costars, chemises, cravates, chaussettes, pompes et une écharpe… en sortant je déposai mes brailles pourries et mes sabots dans la poubelle jaune d’un immeuble. Me restait plus qu’à renouveler mes calcifs, je fis un petit saut au Bon Marché pour m’acheter un lot de caleçons Calvin Klein. Passer des largesses des sabots suédois à la godasse à bout pointu me causait quelques soucis pédestres, il fallait que je m’habitue. Mais pour l’heure il fallait que je bouffe ! J’avais une folle envie de pasta. Je chopai un taxi en maraude : « Rue du Dahomey, à l’Osteria Ferrara. » Quand j’suis rentré dans la salle, Fabrizio le chef, qui était accoudé au bar, ne m’a même pas reconnu. D’un pas tranquille, en tortillant un peu du derche, je suis allé m’asseoir à ma table habituelle. Le grand miroir du bar me renvoyait l’image d’un mec qui me plaisait bien, rien à voir avec la tronche de looser que je trimballais depuis que mes gonades avaient pris du volume. À propos de volume je décrétai qu’il fallait que je fonde pour perdre le pneu qui pendouillait autour de ma taille. En commandant mes raviolis à l’encre de seiche, je décrétai que j’allais me mettre aux carottes râpées et à la feuille de laitue, puis j’ai repensé au conseil que m’avait donné Fred « une barbe de 3 jours ajouterai une touche de séduction à votre virilité brute… »
Alors, du moins je l’espère, vous commencez à comprendre que, lorsque Marie de Saint-Drézéry, au téléphone, m’a balancé qu’elle tenait un affaire à faire sauter la République, je me suis dit que j’allais enfin accéder au Graal des privés mythiques.
Pour ceux qui ne sont pas au parfum, Marie de Saint-Drézéry, marquise de Bombon, en 2011, a foutu un bordel noir dans le long fleuve tranquille des Primeurs de Bordeaux, tant et si bien qu’un courtier influent déclara tout à trac à une AG du CIVB : « L’ouragan sur les Primeurs se prénomme Marie »
Marie, avant de débarquer à la gare Saint Jean, vivait dans un grand loft de la place Fürstenberg, à quelques pas de Saint Germain-des-Prés, en compagnie de son chat dénommé Lénine, en souvenir du séjour de celui-ci, avec sa mère et sa sœur l'été 1909, dans le village briard de Bombon et de Tintin au Congo un mainate religieux qui jurait comme un charretier. Orpheline très jeune, elle avait été élevée par un couple d’excentriques américains, grands amis de son défunt marquis son père, amateurs d’art contemporain et de bonne chère. Pour être proche de la vérité Marie poussa telle une herbe folle, loin de l’école, baguenaudant dans le quartier où les habitués du Flore la laissaient picorer dans leur assiette et vider leur verre.
Toute tachetée de son, le nez en trompette, de grands yeux vairons, des cheveux de foin, un long cou entre des épaules frêles et aucun goût pour se vêtir, sa dégaine lui avait valu le surnom de hérisson. De temps en temps elle faisait des extras au rayon charcuterie de Monoprix rien que pour le plaisir de voir passer les chalands et de s’empiffrer de Rosette de Lyon. Si ses clients avaient su que cet épouvantail à moineaux se trouvait être l’unique héritière de beaux châteaux à Bordeaux, rien que des Grands Crus Classés, sur que notre Marie aurait eu plus de succès. Elle s’en fichait d’avoir du succès. Jamais elle n’avait mis les pieds sur ce qui serait un jour ses propriétés car elle était allergique à tout ce que la campagne peut générer comme pollen ou autres trucs allergènes. Ses deux oncles et trois tantes, tous sans descendance, géraient dans une société en commandite simple son futur bien et lui versaient une rente qui suffisait à son bonheur.
Si vous souhaitez en savoir plus allez donc baguenauder ICI L’Intégrale de la grande saga de l’été « L’Ouragan sur les Primeurs se prénomme Marie »
(6) « Ouais, je fais dans le naturisme…biodynamique chez Dominique Derain… »
Avant de m’installer dans mon 180 m2 de l’avenue Charles Floquet je demandai à Emmaüs de vider mon appartement de l’Impasse du marché aux chevaux, y’avait pas grand-chose de potable à l’intérieur mais fallait tout de même pas que je renie tout à fait ma vie d’avant. Ensuite, j’embauchai Adelphine via Face de Bouc. Au premier message elle me prit pour un gros relou qui n’en voudrait qu’à ses belles petites fesses. Je la rassurai de suite en lui annexant, en MP, son futur contrat de travail qui tenait en quelques lignes mais avec tout en bas un gros chiffre. Rendez-vous fut pris dans un petit restau vegan de son choix. Nous emballâmes l’affaire en deux temps trois mouvements et je découvris les mérites de son régime pour effacer mon pneu.
Sa première mission fut de meubler la baraque selon ses goûts, sans restriction budgétaire, ce qu’elle fit avec un art consommé des mélanges et un certain sens des économies. Cette fille était une perle rare, je le lui dis. Nous pendîmes la crémaillère sur le mode vegan avec tout de même une bouteille de champagne de Pascal Agrapart.
Plusieurs semaines s’écoulèrent dans un calme plat. Adelphine attaquait vaillamment Claude Simon, par la face Nord, dans la collection de la Pléiade. Elle gribouillait des notes et des citations sur des post-it qu’elle collait partout dans l’appartement pour que je les lise « ça vous servira dans la conversation dans les dîners en ville, chef… » ; ce que je ne faisais pas bien sûr.
Notre vie était réglée comme du papier à musique, Adelphine réglait tout. Depuis le premier jour elle campait dans la lingerie de l’appartement qu’elle avait transformé en caverne d’Ali Baba. Nous pouvions tenir un siège de plusieurs mois sans souci alimentaire. Je me laissais vivre. Coq en pâte, certes, mais soumis à un régime alimentaire drastique et à une pratique intense de la cardio-musculation. Adelphine avait transformé l’une des chambres en salle de sport. Je pédalais. Je ramais. Je fondais.
Et puis, vint l’annonce faites par Marie, j’ai toujours détesté ce cul-béni hypocrite de Claudel.
- Marie de Saint-Drézéry, bonjour Tarpon, sacré farceur !
- Que me vaut l’honneur de cet appel marquise ?
- Arrête ton char à bancs Tarpon ! T’as pas toujours pété dans la soie, sors le train d’atterrissage, faut qu’on se voit au plus vite j’ai besoin de m’attacher tes services de clébard truffier…
- Mes références sont minces… euh… madame…
- Fais simple Tarpon, moi c’est Marie !
- Noté Marie mais qu’est-ce qui vous fait penser que je suis votre homme pour je ne sais quoi faire d’ailleurs ?
- Tarpon j’ai lu ce que tu as écrit sur Face de Bouc à propos du monde merveilleux des GCC de Bordeaux. T’es taillé pour foutre ton groin dans le lisier qui est en train de se répandre sur le merveilleux terroir des 2 Rives…
- Si vous le dites…
- Tarpon entre nous c’est le tutoiement sinon tu perpétues ton statut de larbin…
- Noté Marie quand est-ce que nous nous voyions ?
- Demain, je t’invite à déjeuner aux Climats rue de Lille.
- T’as virée bourguignonne Marie ?
- Ouais, je fais dans le naturisme…biodynamique chez Dominique Derain…
- Tu es en de bonnes mains.
- J’suis devenue experte en emplissage de cornes de vaches ça me change des gros cons de Saint-Émilion…
- T’as toujours beaucoup aimé le style de Norbert Le Forestier le winemaker botté !
- Tu ne saurais si bien dire Tarpon, portes-toi bien, à demain, 13 heures aux Climats.
Dès que j’eu raccroché j’ai hélé Adelphine « Préparez-moi un mémo sur les Climats de Bourgogne ! » Nous continuions de nous vouvoyer ça nous permettait de garder la bonne distance. Elle afficha un sourire carnassier « Après la banquière exotique vous vous attaquez à une marquise, vous montez en gamme patron ! »
- Taisez-vous gourgandine, j’entre enfin dans le vif du sujet ! Je vais enfin justifier ma raison sociale, me hisser à la hauteur des plus grands…
- Vous lisez trop de romans policiers patron, si vous me permettez ce conseil : va vous falloir redescendre sur terre sinon vous allez vous aller atterrir sur le ventre…
- Pas faux, vous êtes un bon coach Adelphine…
- Ne me passez pas trop de pommade, dites-moi plutôt ce que je vais devenir ?
- Vous continuez d’être mon officier d’ordonnance Adelphine. Sans vous je ne peux rien faire…
- Arrêtez patron sinon je vais chialer.
Ses yeux s’embuèrent, je l’enveloppai de mes bras pour la rasséréner. C’était la première fois que ça m’arrivait. Ça me troublait car, comme vous avez pu le constater, j’suis du genre grossier. Je n’aime pas les gens, ils me font tous chier, tout me fait chier d’ailleurs. Chez nous c’est génétique, le genre ADN qui a foiré dans les grandes largeurs de génération en génération. Suis un handicapé du cœur mais j’me plains pas, je n’aime pas les handicapés. Je ne m’aime pas non plus ! Comme si tout ça ne suffisait pas à mon bonheur j’ajoutais à mon CV : ramier, râleur, procrastinateur, menteur, arrogant, provocateur et prétentieux.
Qu’est-ce qui avait changé ?
Peut-être que je commençais à m’aimer ?