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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 06:00
Le chai du château d’Ô, saint-émilion grand cru classé A, était plein de corps étrangers (7)

(7) le milieu bordelais me gonfle… ça se voit et ça se sait. Depuis toujours les mouches à merde me tournent autour

 

Adelphine prépara mon costume, le bleu marine à revers Kennedy, ma chemise, une rose parme, mes chaussettes en fil d’Écosse, rose aussi mais plutôt fuchsia, et mes Richelieu gold. Elle tailla ma barbe à la tondeuse. « Je vais vous conduire aux Climats sur mon scooter comme ça vous serez pile poil à l’heure !

 

  • L’exactitude est la politesse des rois !

 

  • Prêt à faire le baisemain ; j’rigole chef !

 

Adelphine pilotait son petit bolide avec un art consommé de la débrouillardise, en respectant pour autant le code ce qui lui permettait d’injurier copieusement les beaufs en 4X4 et ceux aux gros culs posés sur de monstrueux scooters. Elle connaissait Paris comme ses poches. Nous arrivâmes deux minutes avant l’heure « Faites une exception à la règle, mangez tout ce qui vous fait envie, buvez bon, moi je vais faire une  razzia de livres chez Gallimard… »

 

Je montai prestement les marches des Climats où je fus accueilli avec courtoisie. Le lieu était magique. « Je déjeune avec mademoiselle de Saint-Drézéry… » et alors ce fut comme si j’avais déclaré « sésame ouvres-toi ! » les visages de mes interlocuteurs s’éclairèrent d’un large sourire. Carole, la patronne, me conduisit jusqu’à une table dans le jardin. Le temps était tendre, le ciel pur, les clients affichaient des mines réjouies. Alors que je m’apprêtais à m’asseoir je croisai le regard effaré de Lucette Durand ma banquière aux mille talents. Elle s’empourpra. Je fis celui qui ne l’avait vu, elle était en compagnie de Michel Houellebecq, d’Antoine Gallimard et d’un inconnu. On me servit des amuses bouches raffinés, le sommelier Frank-Emmanuel, très rock-and-roll, me proposa une coupe de Crémant de Bourgogne de chez Picamelot.

 

Marie de Saint-Drézéry apparut en haut des marches vêtue d’une petite robe toute simple, en popeline, blanche à petits pois rouge, avec des sandales lianes. Tous les regards convergèrent vers cette grande bringue dégingandée, tachée de son, au regard espiègle, dont le visage enfantin était bordé de tresses interminables. Frank-Emmanuel le sommelier la pilota, l’air hilare, jusqu’à moi. De nouveau je croisai le regard de ma banquière qui me fusillait. Ça me plaisait.

 

Je me levai, Marie me claqua deux bises. Nous trinquâmes à notre future collaboration et nous commandâmes :

 

Elle : araignée des côtes bretonnes, artichaut Salammbô cuit à la grecque garnie d'araignée au naturel. Onctueux de burrata et bouillon frais de crevette grise / céleri branche / crustacés…

 

Ris de veau maison Vadorin doré au sautoir croustifondant, boulgour cuisiné et jus de veau relevé d'angustura. Pâte de citron Amalfitano et ravigote d'avocat.

 

Pêche blanche florale rôtie dans un sirop aux baies des Bataks ; crème légère parfumée au Bourbon Géranium, sorbet aux pêches fraiches et siphon au crémant extra brut Gruhier.

 

Moi : homard bleu en deux services : - Queue enrobée d'un beurre doux au Noilly Prat ; fine purée d'abricots au Viré Clessé, girolles et thé vert matcha.

 

                                                            - Pince au basilic, gaspacho d'amande et concombre Battaglione.

 

Cochon Iberico entrecôte saisie au sautoir, fondue d'oignons doux des Cévennes et tempura de fleurs de courgette farcie à la ricotta et aromates. Jus court à la sauge.

 

Fraises de saison maison Bourjot, biscuit cuillère imbibé, mousseline de petit pois, marmelade et fraises au naturel ; Crème glacée à la verveine.

 

Pour le liquide ce fut :

 

  • SaintAubin 1er cru Les Murgers des dents de chien 2014 Dominique Derain

 

  • VosneRomanée les jachées 2013 Jean-Yves Bizot

 

  • Clos de Monsieur Noly PouillyFuissé 2003 Domaine Valette

 

Marie sortit de son sac à dos une chemise cartonnée qu’elle posa devant moi. « Tu liras ça à tête reposée, Tarpon. C’est une bonne synthèse de notre petite affaire… Pour ne pas te faire languir, en deux mots, je te dresse le tableau : comme tu le sais Tarpon j’ai le plus beau portefeuille de GCC de Bordeaux… mais comme tu le sais aussi le milieu bordelais me gonfle… ça se voit et ça se sait. Depuis toujours les mouches à merde me tournent autour. Les grosses, les assureurs, les zinzins, les blindés jusqu’aux yeux : Bernard, François et les autres ; les petites aussi qui me prennent pour une fofolle frivole prête à se laisser séduire par le premier con venu ; bref pas de quoi fouetter mon Lénine ! (le chat de Marie) Le fait nouveau c’est l’irruption soudaine dans ma cour d’un drôle d’oiseau : donnons-lui un nom de code pour ne pas attirer l’attention Aadvark…

 

  • Pardon, d’où tu sors ce nom d’oiseau ?

 

  • De l’afrikaans, c’est un cochon de terre, un oryctérope du Cap, sorte de fourmilier…

 

  • Tout l’art du contrepied, je te reconnais bien là Marie

 

… donc Aadvark m’a téléphoné, tout miel, faut dire qu’il venait tout juste de recevoir une nouvelle fessée judiciaire, le grand jeu avec violons, jouez hautbois et résonnez musettes… les excuses hypocrites « vraiment chère madame, je suis désolé de n’avoir pu jusqu’à aujourd’hui prendre rendez-vous avec vous qui occupez une place si particulière dans notre petit monde des GCC ; comme vous le savez je sillonne le monde et lorsque je rentre chez moi je me replonge dans mes vignes… elles sont ma vie mes vignes… je suis un terrien…» Je l’ai laissé s’essouffler avant de placer la première banderille « vous souhaitez que nous nous voyions à Paris je suppose… c’est plus discret ! » Il a protesté mollement. J’ai placé ma seconde banderille plus vénéneuse « mes lopins de terre vous intéressent… ». Grand blanc, désarçonné, il a bafouillé « Vous êtes fidèle à votre réputation, comtesse…

 

Là, mon sens n’a fait qu’un tour je l’ai mouché sèchement « laissons de côté les quartiers de noblesse car, là comme ailleurs, il faut séparer le bon grain de l’ivraie ! Ne pas mélanger les torchons et les serviettes. Cher monsieur, proposez-moi des dates, un lieu à Paris et nous nous rencontrons. Ça vous va ? » À l’autre bout, je ne sais pas lequel puisque nos fichus Smartphone n’ont plus de fil, j’ai cru entendre un ouf  de soulagement. L’homme au sécateur d’argent s’embarquant pour la Chine le lendemain me demanda si cette date me convenait et si le Grand Hôtel m’allait.

 

 Aadvark, crinière au vent, tirant sa valise à roulettes, a déboulé sous la verrière du Grand Hôtel rouge comme une pivoine. Il devait avoir bien gueuletonné. Je l’ai de suite mis à l’aise. « Cher collègue – c’est la dénomination la plus neutre que j’avais trouvé le concernant – je vous sais fort occupé, laissons de côté les préliminaires, venez-en de suite aux faits qui me valent le plaisir de cette rencontre… » Il esquissa un petit sourire avant de se jeter à l’eau.

 

Un mystérieux groupe d’investisseurs avait pris langue avec lui, via un cabinet d’avocats d’affaires américain Parker-Parker&Parker, pour racheter ses parts dans le capital de son château d’Ô. Rien de très original dans cet intérêt, Aadvark, l’air entendu, me confia que depuis le nouveau classement de saint-émilion c’était en permanence qu’on le sollicitait. Il s’épongea le front. Le fait nouveau c’est que cette proposition était assortie d’un gros bonus pour lui s’il me convainquait de vendre mon portefeuille de propriétés au même groupe… »

 

  • Pourquoi vous ?

 

  • Sans vous paraître prétentieux sans doute du fait de ma grande influence dans le vignoble…

 

  • Vous avez le bras long cher Aadvark…

 

  • J’ai toujours eu un sens aigu du service des autres, je me dévoue corps et âme pour développer la notoriété de notre beau vignoble…

 

  • Et dans le cas présent avec un putain de jackpot !

 

  • Je n’ai rien demandé…

 

  • Mais vous venez m’en parler…

 

  • Oui mais c’est pour une autre raison.

 

  • Laquelle ?

 

  • L’affaire sent mauvais…

 

à suivre...

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