(3) « elle avait embrayé aussi sec sur des trucs et des machins qui pissaient du pognon comme des Prim’Holstein survitaminées. »
Tordu comme je suis, en débarquant à Paris j’avais choisi l’option Tarpon looser. Mon pognon je l’avais tout mis sur un compte à la Caisse d’Épargne. Pas question d’y toucher. Pour m’installer j’avais pioché dans mes maigres économies. C’était une question d’honneur vis-à-vis des mannes de mon con de vioque. J’allais relever le défi, le réhabiliter lui qui avait fini grabataire à l’hospice. Mes débuts furent calamiteux, un seul client qui me refila un chèque en bois. Têtu je m’accrochais en campant dans mon bureau, bouffant des sardines à l’huile et du camembert. Fallait être aussi con que moi pour vivre comme un mendigot alors que j’avais un gros magot qui roupillait sur un compte.
La chance ne sourit pas qu’aux audacieux mais aussi aux merdouilleux dans mon genre. Pour faire mes filoches je m’étais acheté un vélo d’occasion, un Raymond Poulidor violet. Ça allait bien à mon état de looser. Je pédalais dans Paris, surtout la nuit. C’est ainsi que je me suis retrouvé, un soir, dans un bar, une cantine d’altitude de Ménilmontant, tenue par des filles bien roulées. Elles m’ont déniaisé, mentalement j’entends. Au début, leurs vins qui puaient me ramenaient à la Bretagne et son lisier de gorets. Et puis je m’y suis fait. Ça m’a même guérit des petits jaunes. J’étais chez elles, dixit le gros Mao variqueux, comme un poisson dans l’eau. Reines d’la com qu’elles étaient, l’m’ont filé le virus : j’ai acheté un vieux Mac, un ordinateur quoi, et me suis torché un profil Face de Bouc aux petits oignons.
Addiction radicale !
Le démarrage fut du genre diesel, poussif, besogneux, les amis ne se bousculaient pas au portillon. Scotché à mon écran je guettais le moindre frémissement. Rien, morne plaine, peine perdue sur la Toile je n’existais pas. Alors je me suis mis à poster les photos de boutanches de vin nature, les vins à poils que j’éclusais à la cantine d’altitude, en dézinguant à tout va les Grands Crus Bordelais. Vengeance rance de ma part à l’égard du château Mandigot que ma très chère mère menait d’une main de fer car son époux avait d’autres chats à fouetter. Je retrouvais ma verve de gamin. Faut dire que dans le marigot de Bordeaux le matériau était de choix, un vrai bouillon de culture. Eugène Tarpon II « conseil en affaires réservées » attira sur son mur la fine fleur des mouches à merde tourbillonnant autour des crus. J’en profitai pour aller mettre mon tarin dans tous les bons coups de la profession.
Ma surface médiatique croissait.
Tout ça était bel et beau mais pour ce qui est des clients Nada !
Au tout début août, étant à sec, je m’apprêtais à déclencher le Plan Orsec. L’idée me vint alors de solliciter un prêt auprès de ma Caisse d’Épargne. Ma conseillère financière, Mlle Durand, qui me harcelait avec constance pour que je fasse de juteux placements avec mon magot, me reçut illico. Ma proposition de solliciter un prêt la jeta dans une forme d’attrition ricanante. Elle bafouilla, me jeta des regards suppliants, m’implora. Je lui concédai l’ouverture d’un Livret A en échange d’un prêt de 1000 euros pour assurer mon mois. Son sourire désespéré, alors qu’elle remplissait la montagne de papiers pour le prêt, vainquit mes dernières résistances. Bandant ce qui me restait de courage, tout à trac, je lui déclarai :
- Je serais ravi que vous acceptiez de dîner avec moi pour que nous discutions de mes placements…
Elle rougit et me dit oui.
Nous dînâmes aux baguettes, et moi, salopiaud que je suis, pendant tout le dîner je ne pensais qu’à ma braguette. Lucette, oui mademoiselle Durand se prénommait Lucette, après m’avoir conseillé pour le choix des mets à numéros avait embrayé aussi sec sur des trucs et des machins qui pissaient du pognon comme des Prim’Holstein survitaminées. Nous buvions du thé. Je contemplais Lucette d’un air, qui se voulait intéressé, alors que dans ma petite tête j’élaborais des plans cul avec elle qui pensait que je buvais ses paroles.
Je réglai l’addition.
Il fallait que je me jette à l’eau. Elle me devança :
« Et si vous veniez chez moi prendre un verre cher monsieur Tarpon ?
Je restai un instant coi avant d’opiner.
Lucette m’embarqua dans une Austin Cooper rouge lie de vin qu’elle pilota comme une formule 1 sur le circuit de Monaco. Loin de me foutre les chocottes sa conduite me plongea dans un état extatique vu que, pendant tout le trajet, je visionnai avec gourmandise l’activité trépidante de ses cuisses fermes qui allaient et venaient sous sa mini-jupe de cuir noir.
Elle habitait dans le XIIIe, tout au haut d’une tour de Chinatown. « Houellebecq est mon voisin, il est très gentil, nous bavardons souvent lorsque le soir nous promenons nos chiens… » me dit-elle dans l’ascenseur.
« Putain, elle a un clebs, y va falloir que je joue à « Ha ! Qu’il est beau ce toutou… je n’aime pas les bêtes ! »
L’appartement de Lucette était une bonbonnière à dominante rose fuchsia. Le clébard, couché sur le canapé, un Bouvier des Flandres, ne manifesta aucune animosité à mon égard se contentant de bailler à se décrocher les mandibules.
« Mettez-vous à l’aise monsieur Tarpon… » me susurra Lucette en disparaissant.
Pour être à l’aise y’ pas photo, j’étais super à l’aise dans mon saroual caca d’oie et ma chemise hawaïenne, je quittai même mes sabots suédois pour enfoncer profond mes panards dans la moquette de haute-laine. Fallait que je me grille un chichon pour pouvoir exprimer la quintessence de ma sève. Ce que je fis sous l’œil bonasse du monstre.
Lucette revint emmitouflée, façon de parler, dans un mini kimono transparent. Elle me tendit un petit verre de saké et entrepris, de ses doigts et agiles, de me mettre à nu. La fête commençait ! Elle me fit oublier que j’étais moche, gros et maladroit.
Tarpon lessivé, Tarpon essoré, Tarpon vidé mais Tarpon libéré…
Je restai faire la grasse matinée chez ma banquière experte.
Mademoiselle Durand, comme son nom de l’indique pas, était une vietnamienne adoptée par un couple du Kremlin-Bicêtre. Sans le savoir je venais d’avancer un pion essentiel sur l’échiquier de mon job de privé. Guilleret je regagnais mon bureau. Faisait beau, je me sentais un homme nouveau. Décidais de changer de peau. D’abord changer de bureau, je tapotai sur mon Mac pour dénicher une agence immobilière chalutant dans les bureaux de prestige. J’en trouvai une rue de Bourgogne dans le VIIe.
Y’a des jours comme ça où tout va, et même si les vaches maigres occupaient encore mon pré, ce jour se révélait être d’un excellent millésime.
à suivre