(18) « il investit son argent sale dans l’économie souterraine au point de devenir le plus puissant chef mafieux du pays et il cherche aussi à blanchir ses revenus illégaux dans l’économie blanche
Lorsque je suis arrivé, mes deux motards de la Mouzaïa, bien moins flambards qu’hier, se tenaient serrés l’un contre l’autre, comme des poussins d’un jour, sur une banquette de skaï rouge de la brasserie Le saint Laurent au 10 rue des Saussaies. Je renouvelai leur ration d’expresso. Ils étaient dans leurs petits souliers les ramenards mais je ne profitai pas de mon avantage pour les enfoncer. Je les branchai sur l’arrivée de Neymar au PSG ce qui eut le don de les rasséréner.
Marie se fit attendre, normal, c’est une fille, sauf que pour l’occasion le coupable se nommait Collomb. « Il s’est pointé pour me saluer. Faut que vous sachiez que mon père d’adoption était très pote avec Raymond Barre qui a fini sa carrière comme maire de Lyon et a mis le pied à l’étrier au petit Collomb rien que pour faire chier le RPR de Chirac. Donc nous avons papoté de choses et d’autres, sans aborder notre sujet. Ça c’est du cambouis les mecs, à nous de nous en démerder. Dans ce genre d’affaire on n’est jamais couvert. Pigé !
Les bourrins opinèrent.
Le petit tout rond fit glisser une chemise cartonnée en notre direction : « C’est une note blanche qui fait le point sur l’origine de notre homme. Vous recevrez dans quelques jours une synthèse sur ce que nous savons de ses activités présentes et de sa dangerosité. Pour l’heure nous ne sommes en possession de rien qui puisse le coincer.
J’intervins :
- Vos collègues de la BRB pourquoi le filochent-ils ?
- On ne sait pas…
- Ça cloisonne toujours les mecs !
- Sans vouloir vous vanner, votre ami monsieur Collomb devrait être plus en mesure que nous de vous rencarder.
J’approuvai en soupirant.
Note blanche Le « commandant Arkan »
À 5 h 04 le 15 janvier 2000, à l’hôtel Intercontinental de Belgrade, trois hommes sont tués : Željko Ražnatovi¢, son ami Milenko Mandi¢ et son garde du corps, Dragan Gari¢ par Dobrosav Gavri¢, un ancien policier serbe qui blessé réussira à s’enfuir. Le « commandant Arkan », Željko Ražnatovi¢, défiguré, touché par trois fois à la tête baigne dans son sang. Une demi-heure après, transporté à l’hôpital, il respirait encore, avant de mourir.
Le « commandant Arkan » est né le 17 avril 1952 à Brežice en Slovénie, où son père, Veljko Ražnatović, un Monténégrin, qui servait comme officier dans l'aviation de l'armée populaire yougoslave (JNA), est stationné. Celui-ci gagna un haut rang grâce sa remarquable activité lors de la Seconde Guerre mondiale. Sa mère Slavka Josifović est serbe du Kosovo. Ballotté de ville en ville, au gré des affectations paternelles, il est élevé de façon sévère mais il se révèle très vite réfractaire à toute forme d’autorité.
Dès 16 ans, il écope d’une condamnation à un an de maison de correction pour une série de vols de sac à main. La suite est une litanie de braquages, de cambriolages, de condamnations, d’évasions, de fugues à l’étranger.
Après avoir purgé une peine de 3 ans, il s’expatrie et voyage en Europe, traquant les opposants politiques pour le compte de l’UBDA (police secrète yougoslave), poste qu’il doit à son protecteur Stane Dolanc, ami de son père et futur ministre de l’Intérieur du maréchal Tito. En échange de ses loyaux services, il bénéficie de protections, d’armes et de faux papiers, dont un passeport turc au nom d’Arkan.
Son casier judiciaire s’enrichit et il est alors classé par Interpol parmi les 10 criminels les plus recherchés et encourt 25 ans de prison pour l’ensemble de son œuvre. En mai 1985, Arkan choisit de rentrer au pays, à la tête d’un butin non négligeable et d’une sérieuse réputation de caïd.
La Yougoslavie se fissure, 10 ans à peine après la mort de Tito, le pays est au bord du gouffre. Des élections dans les différentes républiques démontrent que les peuples de l’ancienne fédération ne choisissent pas les mêmes voies politiques, et les tensions et violences nationalistes sont partout présentes. En dépit d’une relative popularité, le dernier Premier ministre de la république fédérale, Ante Markovi¢, échoue dans une ultime tentative de préserver l’unité du pays à travers une série de réformes économiques et sociales. Le président croate Franjo Tudjman et le Serbe Slobodan Miloševi¢ ne veulent pas lui laisser sa chance.
Arkan, jusqu’alors sorte de Jacques Mesrine narguant la police et l’institution carcérale, se transforme en un tueur sanguinaire. Il créé et commande à partir de 1991 une milice ultranationaliste appelée «les Tigres», dont de nombreux témoignages rapportent les exactions en Croatie - notamment en Slavonie orientale -, en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo.
Mais c'est en Bosnie-Herzégovine, contre les musulmans qu'il a promis de traquer partout, dans le moindre recoin du territoire yougoslave , que ses troupes, bien entraînées et équipées d'armements dernier cri, donnent la pleine mesure de leur terrifiant «talent». Dans les régions de Prijedor, Brcko, Zvornik, le long de la rivière Drina, elles appuient l'armée régulière selon une technique éprouvée: les fédéraux encerclent les villes, abandonnent aux paramilitaires les basses besognes de la purification ethnique et prennent ensuite le contrôle des localités vidées de leurs populations civiles non serbes.
Contrairement à d'autres croisés irréductibles du nationalisme, la signature des accords de Dayton et les concessions successives du président Milosevic ne l'écartent pas vraiment de l'entourage du pouvoir qu'il a toujours servi avec zèle. Le mercenaire a assuré ses arrières : il a déjà tâté de la politique en devenant, au début des années 90, député de... Pristina, où les Albanais, alors confinés dans une stricte situation d'apartheid, pouvaient l'apercevoir furtivement à son état-major du Grand Hôtel ou filant au volant de sa puissante Land Rover noire aux vitres teintées. Mais c'est sans grand succès qu'il tente de relancer sa carrière en fondant le Parti de l'Unité serbe, le plus extrémiste de tout l'échiquier politique.
Il se lance dans des affaires, financières et commerciales, pas toujours très nettes, achète des bureaux de change, devient propriétaire de restaurants. Et accède même à la présidence du modeste club de football de la capitale, Obilic, qu'il renforce grâce à son trésor de guerre et qu'il mène brièvement au sommet de la hiérarchie nationale aux côtés des deux géants, le Partizan et l'Etoile Rouge.
Parallèlement, fort de ses protections au sommet de l'appareil d'Etat, il pénètre les réseaux du milieu mafieux, qui ont pignon sur rue à Belgrade, et s'y fait autant d'ennemis qu'il y noue de juteux contacts. La rumeur affirme que sa garde rapprochée a déjà, plus d'une fois, déjoué de toute justesse des tentatives d'attentat. Il est vrai que, de même qu'on ne prête qu'aux riches, son statut de héros négatif absolu se gonfle volontiers de quelques mythes.
Le conflit qui embrase le Kosovo lui donne l'occasion de reprendre du service. Ses milices sont rapidement repérées aux points névralgiques de la province martyrisée, impliquées dans les opérations de déportations massives. Les Shiptares - appellation péjorative des Albanais -, on ne les consulte pas, on les commande, avait-il coutume de dire ; de toute façon, ils ont l'esprit limité, ils ne songent qu'à se reproduire comme des lapin.
Fanfaron, Arkan défie les soldats de l'Otan et leur promet, s'ils interviennent, un enfer pire que le Vietnam. Mais le «seigneur de la guerre», fatigué d'être en première ligne, demeure quelque peu en retrait. Désormais, il suit plus volontiers l'avance de ses hommes depuis ses bureaux de Belgrade qu'il ne les guide directement à l'assaut sur le terrain.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui l'a depuis longtemps placé sur sa liste secrète, se décide à rendre publique son inculpation pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Qu'il reçoit avec cet insupportable sourire ironique au coin des lèvres : « Qu'ils viennent me chercher s'ils l'osent. Qu'ils se rassurent: je les recevrai avec tous les honneurs qu'ils méritent»
Cynique, arrogant, Arkan n'a jamais rien regretté de son passé, niant, au mépris des évidences, les faits les plus graves qui lui étaient reprochés. Il se vantait même plutôt de ses faits d'armes, encouragé par le culte malsain que continuaient à lui vouer les plus radicaux de la cause serbe. Un jour, après qu'il eut «nettoyé» sans état d'âme la ville bosniaque de Bijeljina, la passionaria Biljana Plavsic, alors toujours proche de Radovan Karadzic et encore loin de se rallier aux exigences de la communauté internationale, l'accueille avec emphase, en le qualifiant de pur héros serbe.
Fin calculateur, habile manipulateur, il plaçait aussi sa vie privée, avec complaisance, sous les projecteurs médiatiques. Lorsqu'il épouse en troisièmes noces la pulpeuse chanteuse Ceca, la « Madonna des Balkans » une vedette nationale de la scène turbo folk, la musique en vogue en Serbie, les journalistes se pressent à la cérémonie. Et il y apparaît à cheval, devant l'église orthodoxe, en uniforme d'apparat d'officier tchetnik - les combattants royalistes du général Mihajlovic lors de la Seconde Guerre mondiale.
En Bosnie, en Croatie, au Kosovo, ils sont des milliers à avoir espéré, sinon régler directement leurs comptes avec lui, au moins le voir en rendre à ses juges, dans le box des accusés du prétoire de La Haye. Mais, ultime rebondissement de l'histoire, c'est finalement dans son fief même de Belgrade, où il se croyait invincible, où il affichait avec morgue son sentiment d'impunité, que sa compagne de toujours, la violence, s'est brutalement retournée contre lui.
Zeljko Raznjiatovic abandonne à leur sort une femme et huit enfants. Le «Commandant Arkan» laisse derrière lui un nombre indéterminé de victimes.
Ranko Raznjiatovic dit Arkan Jr est l’un d’eux.
à suivre...