(12) à propos, saviez-vous que la gendarmerie de Libourne vient d’ouvrir une enquête sur la disparition de Touron ?
Ce déjeuner était pour moi une première, après mûre réflexion et approbation de Marie, j’avais opté pour une stratégie attentiste : voir venir, attendre le moment favorable pour porter l’estocade. Plutôt que d’étaler ma science toute fraîche, avec le risque de commettre des bourdes, j’ai laissé Aadvark venir à moi en me contentant de placer, à bon escient, de pertinentes remarques montrant que je n’étais pas un perdreau de l’année en matière de GCC. Mon seul souci résidait dans le fait que je me devais de boire, de déguster, pour cadrer avec mon statut de grand amateur, le vin d’Aadvark, très tendance Parker bodybuildé. Ce que je fis, à petites lampées, en émettant de brefs commentaires extatiques qui eurent l’heur de plaire à Aadvark qui avait un bon coup de fourchette et une bonne descente.
Le dindon devrait être à point au dessert je le laissai donc s’épandre et se répandre, se laisser de plus en plus aller dans la conversation. Je me garderai bien de transcrire les horreurs qu’il me livra sur une putain de salope qui l’avait roulé salement dans la farine, l’avait humilié au Palais. Moi, j’opinais, il était chaud bouillant tant et si bien qu’il me proposa de m’introniser à la prochaine Jurade. « C’est trop d’honneur cher ami, si je puis me permettre cette familiarité… » Aadvark se rengorgea, dans mon fors intérieur je me suis dit c’était le moment de le prendre à contre-pied.
C’est pile poil l’instant où le grain de sable se glissa dans ma belle mécanique : Aadvark s’était soudain redressé en affichant un sourire béat « J’ai demandé à ma douce et tendre de nous rejoindre pour le dessert… ». En me relevant, je réprimai difficilement un rictus de désagrément avant pratiquer un baisemain des plus conventionnels. Marie m’avait entrainé, ça peut te servir dans ce milieu qui se la pète m’avait-elle dit. Elle avait raison. Aadvark fit avancer un Yquem d’un millésime dont je ne me souviens pas. Je hais ces putains de millésimes !
Que faire ?
Battre en retraite en bon ordre en attendant une situation favorable ?
Impossible !
L’urgence impliquait que j’aille au charbon.
Je déteste les liquoreux ! Première estimation : « la vulgaire à décoiffer les adeptes les plus chics du Ferret… » n’était pas si vulgaire que ça et surtout c’était elle qui portait la culotte… Blitzkrieg ! Foncer dans la brèche. C’est à elle que m’adressai « Je fais un étrange métier chère madame, il est assez frustrant, je vais à la pêche au gros…
- J’adore la pêche au gros monsieur Tarpon !
- Sauf que tu ne la pratiques pas…
Le ton ironique confortait ma stratégie. J’embrayais avec le même ton qu’elle « sauf chère madame que les gros poissons que je chasse, façon de parler, c’est vous…
- Nous ! s’exclamèrentils de concert.
Sans leur laisser le temps de reprendre leur souffle je déballais ma marchandise. Aadvark, interdit, virait du cramoisi au rouge brique ; elle ne cillait pas sauf qu’à la fin elle s’exclama :
- C’est une épidémie !
- Pardon…
Aadvark en dépit d’un état d’attrition avancé, réussit tout de même à bafouiller « admettez que votre marché est très surprenant…
- J’en conviens mais, si j’ai bien saisi la remarque de madame, c’est du réchauffé…
- Vous allez vite en besogne Tarpon…
- Cesse de jouer les vierges effarouchées nous sommes la cible d’un tir groupé, laissons monsieur Tarpon nous dire qui le mandate…
- Je ne sais pas !
- Vous vous fichez de nous !
- Absolument pas, mon cabinet a reçu pour mission de tâter le terrain.
- Mais cette mission ne vous est pas tombée du ciel via l’archange Gabriel…
- Bien sûr, tout ce que je puis vous révéler c’est que lors de la visite de Poutine à Versailles, où j’étais invité, un membre du cabinet de Macron m’a remis un pli.
- Les Russes alors ?
- Je l’ignore…
- Comment ferezvous pour transmettre notre réaction à vos ou votre mystérieux mandataire ?
- Il me recontactera. Je lui répondrai qu’il n’est pas le premier sur le coup…
- Pas si vite, pas si vite Tarpon… discutons…
Et nous avons discuté.
Le poisson était ferré me restait plus qu’à attendre pour le remonter ou non. Mon seul souci en quittant pédestrement le Logis de la Caserne : qui était le poisson : Aadvark ou son omniprésente moitié ? Les deux ?
Allais-je trancher ce nœud gordien ou suivre mon intuition ?
Je consultai par téléphone la gorge profonde qui m’avait convoyé, elle confirma à 100 % mon intuition : il nous fallait concentrer nos investigations sur la permanentée d’Aadvark. Nous lui attribuâmes le nom de code d’Agrippine. Toujours des A, allez savoir pourquoi !
Julia Agrippina dite Agrippine la Jeune, née le 6 novembre 15 apr. J.-C. à Ara Ubiorum – morte assassinée dans sa villa de Baule près de Baies sur ordre de Néron entre le 19 et le 23 mars 59, est la sœur de Caligula, empereur de 37 à 41, l’épouse de Claude, empereur de 41 à 54, et la mère de Néron, empereur de 54 à 68. Elle est en outre la descendante directe d’Auguste, empereur de 27 av. J.-C. à 14, et petite-nièce et petite-fille adoptive de Tibère, empereur de 14 à 37.
Dare-dare je convoquai Adelphine sur zone pour prendre en charge la filoche d’Agrippine, ce que je ne pouvais faire puisqu’elle me connaissait. Marie actionna ses infiltrés au château d’Ô pour qu’ils nous informent en temps réel des déplacements d’Agrippine.
Le soir-même nous étions tous en place. Nous allâmes tous discrètement dîner dans l’un des châteaux de Marie. L’ambiance était joyeuse, nous carburions aux vins nu, lorsque l’une de nos gorges profondes disent « à propos, saviez-vous que la gendarmerie de Libourne vient d’ouvrir une enquête sur la disparition de Touron ? »
à suivre...