(10) le journal d’une nonne de campagne by Adelphine Sarrazin
Si Tarpon savait, mon profil sur face de bouc était bidouillé, arrangé à ma sauce pour planquer mes nobles origines. En effet, mon géniteur est le comte Enguerrand de Tanguy du Coët qui m’a prénommé Pervenche comme sa maîtresse. Ma sainte et soumise mère souhaitait Adelphine comme sa bien-aimée grand-mère, et bien sûr elle abdiqua. M’attribuer cet étrange prénom c’était lui rendre justice, pour Sarrazin c’était un mélange entre Albertine, l’auteur de l’Astragale, et mon amour pour les galettes de blé noir.
Pour le reste je m’en étais tenu à la réalité.
J’avais aussi omis de signaler que j’étais l’auteure d’un mémoire très engagé :
« Le métayage ou la survivance du servage au profit des grands latifundiaires de la noblesse ».
Cet opus touffu, gentiment orienté, avait bien évidemment comblé d'aise mon comte de père qui comptait parmi les plus grands propriétaires foncier de la région et qui, à ce titre, présidait la section des bailleurs ruraux.
Joseph Potiron, qui m'avait guidé et conseillé pour ce travail, représentait l'image vivante de la pertinence de ma thèse. Les Potiron c’était, comme le disait Joseph, avec un sourire, une vraie famille, solide, où le patriarche, Donatien, soixante et onze ans, avait appris à ses sept enfants « à ne pas être des valets ».
Dans ce pays, où la vigne voisine les vaches et des boisselées de blé, la cave est un lieu entre parenthèses. Au café, les joueurs d'aluette, se contentaient de « baiser » des fillettes, ce qui, dans le langage local, consiste à descendre petit verre après petit verre, des petites bouteilles d'un tiers de litre à gros culot, emplies de Gros Plant ou de Muscadet. Ils picolaient.
À la cave, le rituel était différent. Certes c'était aussi un lieu d'hommes mais le vin tiré directement de la barrique s'apparentait à une geste rituelle, c'était un soutien à la discussion. Dans la pénombre, le dimanche après-midi, tels des conspirateurs, les hommes déliaient leur langue. Ces « peu diseux » disaient ; ils se disaient, ce qu'ils n'osaient dire à l'extérieur. Échappant à la chape qui pesait sur eux depuis des millénaires, ils se laissaient aller. Les maîtres et leurs régisseurs en prenaient pour leur grade, surtout ces derniers, supplétifs visqueux et hypocrites. Ces hommes durs et honnêtes se donnaient la main pour soustraire du grain à la part du maître. Le curé, lui aussi, recevait sa dose, en mots choisis, il ne fallait pas blasphémer tout de même. Pour lui taper sur le râble, ils raillaient leurs bonnes femmes, culs bénites, auxiliaires dévotes de leur servitude. Et quand le vin les y poussait un peu, les plus chauds, versaient dans leurs exploits de braguette.
Chez les Potiron, la JAC aidant, leur prosélytisme un peu naïf, ce tout est politique, avait bien du mal à briser la carapace de servitude affichée par beaucoup de ces hommes méfiants vis à vis de l'action collective. Alors le Joseph il donnait l'exemple, se surexposait, ne se contentant pas de récriminer dans le dos des maîtres. Syndicalement il leur tenait tête. Qui peut imaginer aujourd'hui que le Joseph s'était trimballé dans le patelin avec un drapeau rouge flottant sur son tracteur ? On l'avait traité de communiste, ce qu'il n'était pas. Comme dans l'Espagne de la guerre civile les bonnes âmes lui ont taillé un costard de quasi-violeur de bonnes sœurs.
C’était mon quart d’heure politique…
Le cambouis m’attendait.
Comme j’allais devoir, sans doute, beaucoup voyager au cul d’Aadvark, donc être contrainte d’utiliser mes vrais papiers d’identité j’ai été obligé de tout déballé à Tarpon qui s’est gondolé « c’est tout bon, si, pour une raison ou pour une autre, tu es dans l’obligation d’entrer en contact avec ta cible, ta particule et tes vrais quartiers de noblesse ça le fera bander… »
Pour autant je n’allais pas abandonner Adelphine Sarrazin dans la peau de laquelle je m’étais glissée avec délice, j’ai donc décidé d’ouvrir un blog le journal d’une nonne de campagne by Adelphine Sarrazin, où chaque jour je consignerais ma filature d’Aadvark.
Le 4 août : ma rencontre avec Houellebecq
« Ce Houellebecq m'avait dérangé. Il m'énervait même si son style atone, minimal, s'élevait parfois jusqu'à devenir Bovien. Son Tisserand, l'un de ses personnages, venait de détruire mon postulat de la laideur. Ce type « dont le problème - le fondement de sa personnalité, en fait - c'est qu'il est très laid. Tellement laid que son aspect rebute les femmes, et qu'il ne réussit pas à coucher avec elles. Il essaie de toutes ses forces, ça ne marche pas. Simplement elles ne veulent pas de lui… » Ce type grotesque, lamentable, j'avais envie de tirer la chasse d'eau sur lui mais je ne pouvais pas. Que pouvait-il faire ce laid, en dehors de se résigner, d'épouser une moche, d'aller aux putes ou de devenir riche ?
Note de lecture d’Extension du domaine de la lutte
Je reçois à l’instant un e-mail d’une de nos gorges profondes de Saint-Émilion « Avant de disparaître Touron aurait été vu dans un bar-tabac de Libourne, en compagnie d’un vigneron naturiste ramenard avec lequel il est en cheville, rond comme une queue pelle… »
à suivre...