« Quand vous verrez passer un cycliste rêvassant, ne vous fiez pas à son allure inoffensive et bonasse : il prépare la conquête du monde».
Didier Tronchet, Petit Traité de Vélosophie
Ce que j’aime le jour de mon anniversaire c’est primo : faire la fête avec les amis, deuxio recevoir des marques d’affection de ceux-ci et tertio recevoir d'eux des petits cadeaux.
L’art du cadeau est un art difficile, en effet l’important c’est bien sûr le geste, pas la grosseur du chèque, et cerise sur le gâteau c’est de savoir taper juste, de faire plaisir en faisant un choix au plus près du cœur.
Mon amie Isabelle Spiri me connaît bien, elle connaît mon goût immodéré pour les petits livres qui peuvent se glisser dans une poche et, bien sûr, mon goût du vélo.
Elle m’a donc offert pour mon anniversaire « Le goût du vélo » au Mercure de France.
Textes choisis et présentés par Hélène Giraud.
Au XIXe siècle, la bicyclette constitue une révolution et bouscule les conservatismes. Moyen de locomotion, et parfois d’émancipation, elle devient aussi un sport. Le Tour de France, créé en 1903, attire les plus grandes plumes : le vélo se répand dans les classes populaires, qui voient leur quotidien transcendé dans les aventures de « Coppi le charcutier » ou du « mitron Bobet ». Aujourd’hui, le vélo n’est plus réservé aux dimanches, aux campagnes ou aux athlètes : il est de plus en plus présent dans les villes. On le pare de nouvelles vertus : il rime avec sobriété, autonomie, responsabilité, convivialité. Balade en compagnie de Émile Zola, Maurice Leblanc, Jules Romains, Louis Nucéra, Pierre Sansot, Philippe Delerm, Érik Orsenna, Odon Vallet, Alphonse Allais, Jerome K. Jerome, Alfred Jarry, René Fallet, Albert Londres, Antoine Blondin, Paul Fournel, Éric Fottorino et bien d’autres…
Lettres de noblesse pour la petite reine ICI
Les textes choisis par Hélène Giraud sont concis, joliment introduits, éclairés avec rigueur. Son livre trame une roue de fantaisies qui donne ses lettres de noblesse à la geste cycliste. Albert Londres, Antoine Blondin, Eric Fottorino participent aux échappées d’un ouvrage promis à un beau succès de librairie, tant il fédère les curiosités et la convivialité autour d’une locomotion jamais aussi dans l’air du temps.
Jean – Louis ANTOINE
« Jésus dans la Côte du Golgotha»
Barrabas, engagé, déclara forfait.
Le starter Pilate, tirant son chronomètre à eau ou clepsydre, ce qui lui mouilla les mains, à moins qu’il n’eût simplement craché dedans – donna le départ.
Jésus démarra à toute allure. En ce temps-là, l’usage était, selon le bon rédacteur sportif saint Matthieu, de flageller au départ les sprinters cyclistes, comme font nos cochers à leurs hippomoteurs. Le fouet est à la fois un stimulant et un massage hygiénique. Donc, Jésus, très en forme, démarra, mais l’accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d’épines cribla tout le pourtour de sa roue avant.
On voit, de nos jours, la ressemblance exacte de cette véritable couronne d’épines aux devantures de fabricants de cycles, comme réclame à des pneus increvables. Celui de Jésus, un sigle-tube de piste ordinaire, ne l’était pas.
Les deux larrons, qui s’entendaient comme en foire, prirent de l’avance.
Il est faux qu’il y ait eu des clous. Les trois figurés dans des images sont le démonte-pneu dit « une minute ».
Mais il convient que nous relations préalablement les pelles. Et d’abord décrivons en quelques mots la machine.
Le cadre est d’invention relativement récente. C’est en 1890 que l’on vit les premières bicyclettes à cadre. Auparavant, le corps de la machine se composait de deux tubes brasés perpendiculairement l’un sur l’autre. C’est ce qu’on appelait la bicyclette à corps droit ou à croix. Donc Jésus, après l’accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l’on veut sa croix.
Des gravures du temps reproduisent cette scène, d’après des photographies. Mais il semble que le sport du cycle, à la suite de l’accident bien connu qui termina si fâcheusement la course de la Passion et que rend d’actualité, presque à son anniversaire, l’accident similaire du comte Zborowski à la côte de la Turbie, il semble que ce sport fut interdit un certain temps, par arrêté préfectoral. Ce qui explique que les journaux illustrés, reproduisant la scène célèbre, figurèrent des bicyclettes plutôt fantaisistes. Ils confondirent la croix du corps de la machine avec cette autre croix, le guidon droit. Ils représentèrent Jésus les deux mains écartées sur son guidon, et notons à ce propos que Jésus cyclait couché sur le dos, ce qui avait pour but de diminuer la résistance de l’air.
Notons aussi que le cadre ou la croix de la machine, comme certaines jantes actuelles, était en bois.
D’aucuns ont insinué, à tort, que la machine de Jésus était une draisienne, instrument bien invraisemblable dans une course de côte, à la montée. D’après les vieux hagiographes cyclophiles sainte Brigitte, Grégoire de Tours et Irénée, la croix était munie d’un dispositif qu’ils appellent « suppedaneum ». Il n’est point nécessaire d’être grand clerc pour traduire : « pédale ».
Juste Lipse, Justin, Bosius et Erycius Puteanus décrivent un autre accessoire que l’on retrouve encore, rapporte, en 1634, Cornelius Curtius, dans des croix du Japon : une saillie de la croix ou du cadre, en bois ou en cuir, sur quoi le cycliste se met à cheval : manifestement sa selle.
Ces descriptions, d’ailleurs, ne sont pas plus infidèles que la définition que donnent aujourd’hui les Chinois de la bicyclette : « Petit mulet que l’on conduit par les oreilles et que l’on fait avancer en le bourrant de coups de pied. »
Nous abrégerons le récit de la course elle-même, racontée tout au long dans des ouvrages spéciaux, et exposée par la sculpture et la peinture dans des monuments « ad hoc ».
Dans la côte assez dure du Golgotha, il y a quatorze virages. C’est au troisième que Jésus ramassa la première pelle. Sa mère, aux tribunes, s’alarma.
Le bon entraîneur Simon de Cyrène, de qui la fonction eût été, sans l’accident des épines, de le « tirer » et lui couper le vent, porta sa machine.
Jésus, quoique ne portant rien, transpira. Il n’est pas certain qu’une spectatrice lui essuya le visage, mais il est exact que la reporteresse Véronique, de son Kodak, prit un instantané.
La seconde pelle eut lieu au septième virage, sur du pavé gras. Jésus dérapa pour la troisième fois, sur un rail, au onzième.
Les demi-mondaines d’Israël agitaient leurs mouchoirs au huitième.
Le déplorable accident que l’on sait se place au douzième virage. Jésus était à ce moment dead-heat avec les deux larrons. On sait aussi qu’il continua la course en aviateur… mais ceci sort de notre sujet.