Une explication paresseuse de l’apparition de cette qualité supérieure voudrait qu’au fur et à mesure du temps qui passe ont ait observé que certains emplacement de la Côte bourguignonne étaient préférables à d’autre. On en conclut que le vin s’est peu à peu amélioré grâce à des apports œnologiques, dans une séquence d’évènements dont, à vrai dire, le déroulement n’apparaît jamais très clairement. La documentation existante n’offre aucune prise à cette interprétation, puisque l’historiographie du vignoble affirme au contraire l’excellence des vins de Bourgogne depuis les temps les plus reculés. La critique « moderniste » cherche donc à disqualifier ces témoignages constants et motivés, qu’elle traite avec condescendance et dont elle n’admet pas la valeur probante. En nous appuyant sur des preuves que nous espérons convaincantes, nous défendrons une thèse tout à fait opposée, dont l’un des mérites est de ne pas ridiculiser les témoignages irréfutables du passé, qui révéraient la qualité de certains crus et les mettaient au premier rang.
Le vignoble de la Côte bourguignonne fut créé au temps de Rome par les « clarissimes » Éduens, qui avaient jugé que la physionomie de son terroir correspondait exactement aux prescriptions d’une œnologie d’origine méditerranéenne, déjà très anciennement constituée à l’époque de la fondation. C’est par l’application des enseignements œnologiques venus de l’Orient ancien, que fut mis en place un parcours de la qualité nouveau, raffiné et efficace, qui a créé le « vin naturel » produit dans le quart nord-est de la Gaule. Dès le IVe siècle nous savons que des consommateurs de haute volée appréciaient les vins du Pagus Arebrignus (premier nom du vignoble bourguignon) car ils échappaient à la lourdeur des vins liquoreux, qui occupaient depuis des siècles le devant de la scène.
Cet immense labeur œnologique que fut le changement de « genre » du grand vin, fut démultiplié en des milliers de problèmes difficiles à résoudre qui durent être exécutés en un ordre rigoureux. Leur solution ne fut pas trouvée soudainement à l’aube de l’époque contemporaine, comme on veut nous le faire croire aujourd’hui. Jamais, en effet la réputation des grands vins de la Côte n’aurait pu s’établir durablement si leur élaboration avait été fautive dès le point de départ. Nous opposerons ce constat de bon sens à l’actuelle théorie du progrès œnologique, qui, sur ce point, nous paraît en décalage complet avec la réalité.
Nous ferons donc l’économie de l’énigme historique, de la date de naissance de la qualité. Beaucoup d’études consacrées au vignoble la supposent récente, ce qui obscurcit dans sa formulation moderniste un fait très simple : les critères du bon vin d’hier, sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui et le parcours de la qualité des « genres » bourguignons, inventé dès le IIe siècle après J.-C., est demeuré stable dans ses principes, sinon dans ses modalités, depuis les origines. Au lieu de mettre en doute le discernement et la compétence des vignerons d’autrefois, nous présumerons au contraire la solide cohérence du « projet œnologique bourguignon» à travers le temps.
Dès le premier siècle, en effet, le vigneron ne ménage pas sa peine pour implanter sa vigne sur un coteau pierreux et ensoleillé. Il néglige les terres limoneuses et humides, trop productives et, selon toute vraisemblance, cherche aussi à s’approprier le pinot, cépage originaire de la Gaule du nord-est, reconnu comme le vecteur unique du « bon vin de la Côte qui doit être récolté parfaitement mûr. Au cœur des rues tortueuses des « paroisses » de la Côte, on présumera sans risque d’être démenti, l’existence d’une « cuverie » convenablement aménagée, nécessaire à l’élaboration d‘un vin de qualité, même si toute trace de sa construction est aujourd’hui effacée. On supposera aussi que des soins attentifs, longuement décrits dans les ouvrages spécialisés, ont été mis en pratique : futaille bien rincée, soutirages soigneux pour éliminer les impuretés, cuves de taille suffisante pour vinifier une récolte entière, etc. Le résultat de ce travail incessant et minutieux, est évidemment un « bon vin »… qui ne peut manquer de ressembler au nôtre.
Au-delà de quelques différences superficielles, c’est la parfaite « cohérence œnologique » de ces opérations successives, qui a donné au vin de Bourgogne sa réputation, malgré les terribles crises d’une longue histoire de plus de vingt siècles. Cette hypothèse solide est facilement opposable aux certitudes mal étayées d’un « progrès » observé dans d’autres domaines de la technique, mais inadapté au cas particulier d’une œnologie de haut vol, qui très tôt perfectionnée en Bourgogne, peut seule expliquer les succès passés et présents de ses grands crus.
à suivre demain : Le préjugé de la maladresse