Édouard Philippe est-il réduit au rang de «marionnette» d'Emmanuel Macron?
Collaborateur, répétiteur ou marionnette?
Au point de faire disparaître cette fonction, comme le réclame Jack Lang ou Benoît Hamon ces jours-ci? Au point d'en faire un simple «collaborateur», comme Nicolas Sarkozy avait qualifié un jour François Fillon?
« Non, il n'est qu'un répétiteur », juge le patron du groupe PS Olivier Faure.
« Dans l'humiliation d'un premier ministre, personne n'est allé si loin", assurait Jean-Luc Mélenchon dans Le JDD.
« C'est une marionnette », dit carrément un député Les Républicains quand on lui demande à quoi lui fait penser le premier ministre qui prononce le mardi 4 juillet son discours de politique générale.
De la gueule de qui se fout-on ?
Tout ce petit monde blablate, les commentateurs, éditorialistes brodent à qui mieux mieux, oublieux de l’Histoire, ignorants de ce que fut le lot et le sort des premiers Ministres de la Ve République : Michel Debré viré pour laisser la place à un inconnu banquier chez Rothschild : Georges Pompidou, ce dernier lui aussi viré au profit du docile Maurice Couve de Murville. Quant au sémillant Chaban-Delmas, tonitruant érecteur de la nouvelle société, répudié par Pompidou sous la pression du couple infernal Juillet-Garaud au profit d’un Messmer doigt sur la couture de son pantalon. Puis, sous VGE, Chirac démissionnant avec pertes et fracas afin de ne pas subir le joug du déplumé de Chamalières. Raymond Barre inaugura le modèle du premier Ministre résistant usé jusqu’à la corde, imité par un Pierre Mauroy indestructible puis plus tard par Fillon le taciturne qui couvait sa revanche. Mais le fin du fin du florentin Mitterrand fut la séquence : Rocard, Cresson, Bérégovoy : virer sans raison un des rares premiers ministres populaire après 2 ans de mandat pour le remplacer par une courtisane, rincée au bout de moins d’un an, Bérégovoy n’y survivra pas. Juppé s’est autodétruit. Le bonasse Raffarin exfiltré par Chirac au bénéfice du flamboyant Villepin. Dernier de la liste : le transparent Jean-Marc Ayrault jeté au bénéfice de son ennemi le plus cher Manuel Valls.
Et puis, dans l’indifférence générale, dimanche dernier :
Pierre Le Texier @pierre_lt
Il y a un an jour pour jour (déjà !) Michel Rocard nous quittait. Tristesse encore.
J’étais présent à la cérémonie d’hommage aux Invalides. À la sortie, sous le porche, pour la première fois j’ai croisé Emmanuel Macron accompagné de son épouse Brigitte, tout près d’eux : François Hollande très entouré, de Manuel Valls et d’Anne Gravoin son épouse très entourés, un peu loin Benoît Hamon, le en chef des frondeurs, plastronnait.
Bien évidemment je n'ai pas, comme tout le monde, anticipé la résistible ascension de ce jeune homme mais, sa singularité, m’intrigua. Je décidai donc de mieux le cerner, d’aller au-delà des images plaquées de ses détracteurs, de me renseigner sur les étapes de son parcours de premier de la classe à qui tout réussi. La pâte de cet homme était loin d’être celle d’un soufflé.
Bref, dès qu’il se déclara En Marche j’ai suivi son parcours, sans le partager, j’ai fait mon temps, mais je vis en lui, surtout après la défaite de Juppé à la Primaire de la Droite, le meilleur rempart à la MLP, mais aussi le seul capable de faire imploser l’ambiguïté du PS de Mitterrand.
Mission accomplie, et au risque de passer pour un provocateur je suis persuadé que, contrairement au discours ultra-majoritaire, le couple que forme Emmanuel Macron avec Édouard Philippe est l’un des plus conforme à l’esprit de la Ve République.
Pour moi, et je ne fais partie des adulateurs de Macron, celui-ci a réalisé ce que le Rocard Premier Ministre d’une France Unie, qui ne le fut pas, une fois chassé par le Prince : faire imploser le PS, le transformer en grand parti démocrate assumant à la fois l’héritage du Congrès de Tours et les enseignements de la social-démocratie des pays du Nord. Il ne l’a pas fait car son passé de militant, d’abord à la SFIO, puis au PSU, et enfin de rallié au PS dans le cadre des Assises du Socialisme. La deuxième gauche a échouée, Macron et sa garde rapprochée en ont fait leur miel, jusqu’où ira la recomposition du paysage politique, nul ne le sait et surtout les professionnels de la profession du journalisme qui devraient comprendre que le dégagisme, cher au Jean-Luc, qui détestait Rocard, s’applique aussi à eux.
Dans son livre Si ça vous amuse Chroniques de mes faits et méfaits, Michel Rocard évoque au chapitre XII sa nomination à Matignon : Mieux que Président, Premier Ministre :
« Beaucoup se sont étonnés que j’accepte de devenir Premier Ministre de François Mitterrand alors que nos relations sont exécrables depuis plus de vingt ans.
La raison première est qu’avec une certaine immodestie je me considère comme porteur d’une vision un peu rénovée du socialisme démocratique, plus adapté au marché, plus innovante sur le plan social. Un second élément entre en jeu : ma religion est faite sur les attitudes politiques et financières, non seulement du président lui-même mais aussi de l’essentiel de son entourage proche. En acceptant d’être nommé à Matignon, je sais que la tâche ne sera pas facile, mais j’aurai aussi une fonction de protection de mon pays devant certaines orientations aux dérives possibles.
Enfin, même s’il est partiel, voilà un formidable poste d’autorité. On y fait des choses et j’en ferai beaucoup : certaines avec le président et son accord, quelques-unes dans le silence et sans son approbation, parce que relevant d’une compétence primo-ministérielle. D’autre carrément contre lui à force de ténacité. Quelquefois, nous allons jusqu’au conflit. J’en gagne beaucoup, mais il m’arrive aussi d’en perdre […] Au milieu de ces tensions permanentes, je peux néanmoins discuter ou chercher à infléchir ses ordres tout en tenant, par loyauté, à ne jamais lui désobéir formellement. »
C’est sur l’un de ces désaccords, le mode de scrutin des élections régionales qu’il a licencié, congédié Rocard…
« Ma relation avec Mitterrand, comme probablement en temps de vraie cohabitation politique, fait partie des plus mauvais rapports président/Premier Ministre de l’histoire. Il faut le savoir. »
Alors vous comprendrez que, là où il se trouve, Michel Rocard se marre lorsqu’il lit les conneries à propos du couple Macron/Philippe.
« Un discours ? Non, une révolution »
Dans sa chronique, Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », estime que l’objectif du président, lundi à Versailles, n’était pas d’effacer son premier ministre mais de confirmer l’ampleur de la révolution qu’il entend conduire dans le pays.
LE MONDE | 04.07.2017 par Françoise Fressoz
CHRONIQUE. Tous ceux qui avaient accusé Emmanuel Macron de vouloir faire de l’ombre à son premier ministre en parlant avant lui se sont fourvoyés. Leur champ de vision était trop court. Ils se sont trompés sur la nature du discours au Congrès, prononcé lundi 3 juillet à Versailles par le chef de l’État.
L’objectif de M. Macron n’était pas d’effacer son chef de gouvernement auquel échoit au contraire la lourde tâche de dérouler le contenu précis des réformes et d’en assurer l’exécution. Sa visée était de confirmer l’ampleur de la révolution qu’il entend conduire dans le pays depuis que, le 6 avril 2016, lui, l’ancien ministre de l’économie de François Hollande, s’est mis en marche pour tout changer.
La nouvelle société que tente de faire émerger le nouvel élu est fondamentalement libérale. Elle mise sur l’autonomie de l’individu, son dynamisme, sa capacité à saisir sa chance dans un environnement économique et social qui aura été profondément transformé pour le lui permettre.
De cette mise en mouvement, le chef de l’État attend tout : un changement de mentalité, un sursaut d’optimisme, un surcroît de citoyenneté, la victoire sur le populisme. Dans son discours, le mot « liberté » domine tous les autres, c’est pourquoi les castes, quelle que soit leur nature, sont dans le collimateur. A commencer par celle des élus qui ont failli.
Logiciel idéologique
En s’appuyant sur « le mandat du peuple », M. Macron poursuit avec détermination le dynamitage du vieux monde politique qu’il avait entamé pendant sa campagne. Devenu le garant des institutions, il les redessine à sa façon. Après avoir réinvesti symboliquement la charge présidentielle, il refaçonne le Parlement en annonçant qu’il veut couper d’un tiers le nombre des élus, instiller une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif, refondre la procédure parlementaire et réformer de fond en comble le Conseil économique social et environnemental (CESE).
Partout, un maître mot, « l’effectivité », par opposition au déni de réalité, au manque de résultats, aux discours qui tournent à vide. Il y a quelque chose de vertigineux, dans un pays démocratique, à voir un seul homme conduire le changement avec une telle détermination. « C’est Louis-Philippe et Louis Napoléon à la fois ! », s’était indigné François Mitterrand lorsque de Gaulle avait, en septembre 1958, accouché de la Ve République mais il avait, ensuite, fallu vingt-trois ans au leader socialiste pour transformer son combat en victoire, accéder au pouvoir et finalement se couler dans les habits du monarque.
On mesure à cette aune le chemin que devront parcourir les opposants à M. Macron qui, pour l’heure, se divisent en deux camps : les « irréductibles » tendance Jean-Luc Mélenchon – le chef de file de La France insoumise – qui, au nom de la VIe République, mènent un double combat, institutionnel et social, contre le nouveau locataire de l’Elysée auquel ils dénient, en raison de l’ampleur de l’abstention, toute légitimité démocratique. Et puis les autres, sonnés par la défaite, qui préfèrent minimiser la portée du discours présidentiel, « creux », « vide » assènent-ils, parce que, pour répondre, il faudrait que leur logiciel idéologique soit à jour. Et cela prendra des mois, si ce n’est des années.